La climatologie de 2013 continue à se corser sérieusement… inquiétant ! Un état de la situation au 28 Mai 2013 dressé par Jean-Sébastien Gion, Master en Aménagement des Ressources Naturelles à l’UPS de Toulouse qui vit à Bagnères de Bigorre.
Petit rappel sur Janvier, Février et Mars 2013
(Cf. l’article du 14 Février 2013 « record absolu de précipitations »)
Ces trois premiers mois de l’année ont connu des précipitations particulièrement élevées: 323 mm. en Janvier, 219 mm. en Février et 125 mm. en Mars soit un cumul considérable de 667 mm. (la normale est de 287 mm.) soit 2,3 fois plus que la moyenne pour ces trois mois de l’année . Si l’on ajoute Décembre 2012, le cumul atteint pile 800 mm. (69 % des précipitations d’une année en 4 mois seulement !)
Quant à la température moyenne de ces trois premiers mois, elle à été de 0,8° inférieure à la normale: 5,6° contre 6,4° , un élément important qui a permis à la neige de descendre en moyenne 150 m. plus bas que d’habitude. Le cumul de neige est donc à l’image des précipitations reçues sous forme de pluie en plaine: en comptant Décembre 2012, au 31 Mars 2013 le cumul de neige vers 1900 m. était de 9,50 m. environ et de 12 m. vers 2400/2500 m.
Avril et Mai 2013
(et cf.: les tableaux joints des classements des mois d’Avril et de Mai de 1982 à 2013)
Sur la moyenne établie sur 30 ans, ce sont les mois les plus pluvieux de l’année (122 mm. pour chacun d’entre eux). Seuls, 1 mois d’Avril sur 3 et 1 mois de Mai sur 3 peuvent être qualifiés de beaux.. Les 2/3 restant sont soit pluvieux, soit frais, soit les deux à la fois.
Avril et Mai 2013 ne dérogent pas à la règle en cumulant des précipitations bien supérieures à la moyenne (293 mm.) et des températures inférieures voire largement inférieures à la moyenne, en particulier pour Mai qui prend la toute première place pour les températures les plus basses avec 3,4° en dessous de la moyenne ! (Mai 1984 arrive en 2ème position avec 3° en dessous de la moyenne puis 1991, 3ème place) avec 2,8° de déficit
Le 17 Mai à l’aube, les températures étaient négatives au dessus de 800 m. provoquant un premier grillage par le gel des jeunes feuilles de Hêtres. Dimanche 26 Mai, l’isotherme 0° descendait encore plus bas, à 700 m., entraînant un 2ème grillage du Hêtre. Il faudra attendre début Juin environ pour observer la belle couleur rousse qui sera prise par la hêtraie (comme cela était déjà arrivé après les gels du 14 Mai 1995 et du 07 Mai 1997)
Le pire, c’est que ces deux mois particulièrement pluvio-neigeux succèdent aux trois premiers cités ci-dessus. Bilan au 28 Mai, nous en sommes à un cumul de 978 mm. de pluie (84 % des précipitations de l’année en 5 mois seulement) dont on peut estimer que la majeure partie est bloquée sous forme de neige au dessus de 2000 m. (La photographie prise sur les pentes du Tourmalet le 26 Mai montre l’enneigement impressionnant pour cette période de l’année).
Le cumul de neige
Il a donc été gigantesque depuis le 1er décembre 2012: 11 m. environ à 1900 m.,15 à 16 m. vers 2400/2500 m. et vraisemblablement 18 m. vers 2700 m. (pour mémoire, le cumul annuel moyen enregistré au sommet du Pic du Midi de Bigorre est de 9 m., la moyenne étant établie sur 30 ans de relevés)
Au 25 Mai, le manteau neigeux était donné pour une épaisseur* de 3,25 m. de neige aux lacs d’Ardiden (2445 m;). Si, par exemple, la masse volumique moyenne des deux premiers mètres cinquante du manteau est de 300 kg./m3, on peut estimer que l’équivalent d’une lame d’eau de 750 mm. se trouve stockée, là haut, sous forme de neige, ce qui représente 6 à 7 mois de précipitations normales !
* L’épaisseur du manteau se mesure perpendiculairement à la pente, la hauteur: verticalement.
Et au mois de Juin…
Le service des routes a un travail phénoménal à accomplir pour ouvrir les cols d’Aubisque et du Tourmalet. Pour ce dernier, au 26 Mai, le déneigement a été fait jusqu’au dernier virage avant le col Tourmalet (vers 2080 m. d’altitude) côté La Mongie. L’épaisseur de neige sur le bord de route atteint fréquemment les 4 m. mais il y a de fortes accumulations de 7 à 8 m. au niveau de la combe qui n’a pas été encore percée… Côté Barèges, ce n’est pas mieux, si ce n’est pire…
Gros problèmes également pour les éleveurs. Au 26 Mai, les estives en ombrée étaient totalement impraticables à partir de 1700/1800 m, en soulane il y a des zones libérées jusque vers 1900/2000 m. mais il faudra bien compter de toutes façons une quinzaine de jours avant que l’herbe ne verdisse après la fusion de la neige.
La floraison de toutes les espèces sub-alpines et alpines est considérablement retardée et il est vraisemblable qu’il restera nombres de zones où la floraison ne pourra avoir lieu vu une persistance du manteau neigeux prévisible. En revanche, l’ importance du manteau neigeux de l’hiver (et du printemps) devrait entraîner une très belle floraison des rhododendrons (avec retard) et une très belle fructification des myrtillers (sauf gel toujours possible par les temps qui courent)
Risque naturel par inondation
Mais c’est la situation future des cours d’eau qui est préoccupante… En analysant la situation d’aujourd’hui on peut constater qu’ en fin de mois de Mai, nous nous trouvons dans la configuration des conditions qui avaient provoqué les grandes crues du 23 Juin 1875…mais il manque heureusement encore une étape qui, pour le moment, n’est pas arrivé et qu’ il faut espérer ne jamais arriver… Pour comprendre, il faut comparer les deux situations et découper le scénario en 4 étapes:
– L’ étape 1 est accomplie: les très fortes précipitations neigeuses de l’hiver 2012-2013 la rendent similaire (et peut-être même à un niveau supérieur) à l’ hiver 1974-1975
– L’ étape 2 est également accomplie: ce sont les précipitations élevées du printemps, au dessus de la normale: + 12 % en Avril et + 43 % en Mai (chiffre arrêté au 28 Mai),
– L’ étape 3 reste à faire mais elle aura obligatoirement lieu: le futur redoux va attaquer la fusion de l’énorme charge de neige… les hydrologues des bassins Adour/Garonne suivent l’évolution de près. Cette étape de redoux peut se passer, en fait, de plusieurs manières:
- – Si la remontée des températures est lente, cela devrait pas trop mal se passer même si cela baigne un peu en aval.
- – Si le redoux est très marqué, les côtes d’alerte vont être atteintes voire, dépassées.
- – mais le pire serait la mise en place d’ un vent à effet de Fœhn* (vent du Sud ou vent d’Espagne ou Balaguère), les cours d’eau réagiront violemment, les côtes déjà élevées des 9 et 10 Mai 1991 et des 10 et 11 Avril 1994 seront dépassées avec, à l’évidence, de gros problèmes sur les bassins de la Garonne et de l’Adour. Pour ce dernier, gare à la région de Peyrehorade (réunion des Gaves de Pau et d’Oloron) et à la confluence avec l’Adour à Port-de-Lanne ainsi que tout l’aval.
* Différence entre la fusion de la neige par redoux classique et par effet de Fœhn
Les masses d’air poussées par un vent du Sud sont amenées à sauter les Pyrénées; en ascendance sur le versant espagnol, ces masses d’air se détendent, se refroidissent et s’assèchent puis, elles dévalent, sèches, le versant français en se réchauffant fortement par compression. C’est cet air sec et doux qui accélère dramatiquement la fusion de la neige;
L’ Association Nationale pour l’ Étude de la Neige et des Avalanches (ANENA) et Météo-France estiment que sous effet de Fœhn, la fusion du manteau neigeux s’effectue trois à quatre fois plus vite que sous incidence solaire directe (fusion classique).
Mais il faut ajouter une précision: alors qu’ une fusion classique affecte d’abord les soulanes puis progressivement les ombrées au fur et à mesure que la saison avance , la fusion sous vent à effet de Foehn va, par contre, affecter aussi bien les ombrées comme les soulanes et qui plus est, en même temps… tout y passe !
– L’étape 4 entraînerait la tuile totale… En 1875, aux trois étapes décrites ci-dessus se sont ajoutées des journées de précipitations à forte intensité (167 mm. les 20, 21 et 22 Juin ) ce qui a déclenché ce que l’on a appelé « les grandes inondations du Sud-Ouest »:
- – déjà, le 05 juin, la côte de la Garonne à Toulouse était à + 4,30 m. suite au mois de Mai 1875 pluvieux et à la fonte des neiges de l’hiver (aujourd’hui 28 mai, nous nous approchons de ce cas de figure)
- – Mais le 23 Juin, les pluies diluviennes des 20, 21 et 22 firent monter la côte de la Garonne à + 6,20 m. jusqu’ à + 8,32 m. à 22h45 à Toulouse… Les dégâts furent considérables: 6 départements touchés, 600 victimes, 10 000 maisons détruites, bétail emporté… cet événement dramatique fait toujours référence aujourd’hui pour les risques d’inondation par crues à caractère centennal..
Alors qu’il faut déjà surveiller la fonte des neiges comme l’on surveille le lait sur le feu, espérons ardemment que cette fonte soit douce et qu’il ne s’y ajoutent des journées trop pluvieuses comme en a connu le mois de Juin 1875 ! « Que d’eau ! que d’eau ! » s’était alors exclamé Mac-Mahon, Maréchal de France et homme politique.
– par Jean-Sébastien Gion
Bagnères de Bigorre, le 28 Mai 2013
La « climatologie », c’est « l’étude du climat » et non pas « le comportement du climat ». Du coup le titre de l’article ne veut pas dire grand chose.
Oui, bien sûr, mais n’est-ce pas une astuce dont usent et abusent les journalistes professionnels pour donner un peu de ronflant à leur titre ? Intervenez-vous à chaque fois pour le souligner ?
Une question posée à M. Gion : Quelles conséquences pour les glaciers ?
Sa réponse : « ils vont reprendre un peu du poil de la bête puisque les bassins d’alimentation à cette altitude ont dû recevoir un joli cumul de neige de 15 à 18 m. sans aucune fusion jusqu’à ce jour et je pense que la perte par sublimation sera restée faible. Le tassement de ce manteau va faire diminuer son épaisseur tout en augmentant sa densité.
Un petit calcul, à la louche, montre que si l’on considère 18 m. de neige initiale à masse volumique très faible, aux alentour de 50 Kg/m3 (neige très froide dû à l’altitude), le tassement progressif va réduire l’épaisseur aux environs de 1 m. mais avec une masse volumique de 900 kg./m3 (la masse volumique de la glace). Bilan: nos glaciers sont capables de gagner aux alentours de 1 m. d’épaisseur. c’est mieux que rien.
Si l’on veut que nos glaciers se remplument vraiment, il nous faut des hivers neigeux (la moitié moins de cet hiver suffit) et pas particulièrement froids , des printemps pluvio-neigeux (nous les avons 2 fois sur 3) mais en même temps, il faut des étés frais. »
Merci M. Gion pour votre éclairage.
Bernard Boutin
« Un petit calcul, à la louche, montre que si l’on considère 18 m. de neige initiale à masse volumique très faible, aux alentour de 50 Kg/m3 (neige très froide dû à l’altitude), le tassement progressif va réduire l’épaisseur aux environs de 1 m. »
Désolé pour ton interview BB, mais 18 m de neige réduits à 1 m, c’est n’importe quoi.
Tout comme « Bilan: nos glaciers sont capables de gagner aux alentours de 1 m. d’épaisseur. c’est mieux que rien. » (comme s’il n’y avait pas de fonte d’une partie (ou de plus sur le glaciers) des « 1m » accumulés en été…).
Je lis régulièrement vos commentaires et plus que souvent, je suis estomaquée par votre omniscience.
Que voulez-vous: les contributeurs sont comme ça. Eh Daniel Sango, il est pas gentil, et RdV, il est pas gentil non plus… ! Au lieu de vous en prendre à ma personne, vous pourriez dire en quoi ce que j’avance est erroné.
Un article très intéressant et très bien documenté par un spécialiste. Merci
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