Réjouissons-nous, l’exception culturelle française a été défendue comme il se devait, en préalable à l’ouverture des négociations sur le libre-échange Europe USA dont les conséquences seront majeures pour notre avenir. Pour être plus précis, il s’agit d’abord de l’exception cinématographique française qu’il convenait bien entendu de défendre face à l’hégémonie Hollywoodienne. Et avec elle, les avances du CNC aux productions nationales, les cachets très élevés des stars françaises, la façade en plaqué-or du Festival de Cannes et le statut exorbitant des intermittents du spectacle. Bref un monde artificiel, clos et couvert et bien à l’abri des aléas de la compétition qui permet au cinéma français de briller essentiellement en France, avec des bonheurs divers et d’obtenir tous les 10 ans un succès d’estime international. Parfait, ne cassons pas ce qui marche. Mais quel en sera le prix ?
Il est certain que cette position crispée et défendue bec et ongles par une délégation enrubannée représentative de l’élite du « cinéma français » (Costa-Gavras qui n’a pas hésité à traiter la commission de « Polit-buro », Lucas Belvaux, Mihaileanu, Luchetti, Jablonski…et Bérénice Bejo, « admirable de somptueuse simplicité » écrit Mediapart sans rire) ne pouvait que compliquer sérieusement les discussions sur les relations commerciales entre les US et l’Europe. Et la France en paiera le prix d’une manière ou d’une autre. Les américains ne manqueront pas de présenter leur facture soit aux agriculteurs et producteurs français, soit aux avionneurs, soit aux industries de défense ou aux quelques micro-secteurs sur lesquels il nous reste un leadership technologique, afin de réduire leur vulnérabilité sur ces marchés.
Dans le même temps, les allemands évaluent à environ 180 000 emplois supplémentaires, les avantages qu’ un éventuel traité de libre-échange leur donnera, soit un accroissement de leur revenu national par tête de 4,7 %, une augmentation significative de leurs échanges avec les USA (+ 90% en cas de traité étendu aux barrières non tarifaires) étant compensée négativement par une diminution très importante de leurs échanges avec leurs partenaires européens (-28% avec la France). On comprend que les conséquences de ces accords seront cruciales, tant elles risquent de modifier très sensiblement les inter-relations économiques à l’intérieur du marché européen et par conséquent la cohésion et la solidarité des états européens entre eux. On notera également que le principal bénéficiaire de ces accords, outre les USA eux-mêmes pour lesquels une progression de 13% de leur revenu par habitant est anticipée, sera le Royaume Uni, avec 9,7 % de progression. De quoi expliquer sans doute leur irrépressible envie d’émancipation.
Quant à nous, silence radio. Essayez « accords de libre échange » sur Google, vous serez édifié. Aucune publication officielle n’y est disponible sur ce sujet. On nous amuse avec des affaires, on palinodie sur nos retraites et les intérêts corporatistes ou catégoriels, on défend notre cinéma et on s’interroge sur la nécessité de parler anglais dans nos universités et pas un mot sur les conséquences possibles pour notre industrie ou notre économie, de ces accords. Pas une évaluation publique. Pas de commentaires sinon ceux qui relèvent des coups de menton d’une élite protégée et qui se voudrait donneuse de leçons au reste d’un monde qui avance sans nous, figés dans nos certitudes, isolés et de moins en moins influents.
Demain Barak Obama survolera Paris, (pourquoi faudrait-il qu’il s’y arrête ?) pour se rendre à Berlin et y évoquer ces accords avec Angela Merkel qui saura défendre les normes et l’industrie allemandes et les imposer à tous, comme un obstacle supplémentaire qu’il nous faudra franchir. Mais nous aurons défendu notre « exception » culturelle avant d’abattre notre atout majeur, notre « exception sociale », suivi immédiatement de notre « exception fiscale ». Désespérant.
Pour ceux qui parlent anglais cette intéressante présentation de la fondation Bertelsmann
http://www.ged-shorts.de/#!/ausgabe-1-juni-2013/insights-visuals
Peut-être faudrait-il mettre de l’ordre dans le fonctionnement de l’EU, et surtout la renforcer, avant d’accueillir à bras ouvert la puissance de feu commerciale et industrielle américaine ?
Quant au diaporama, il dit qu’une fois l’accord de libre-échange mis en place, les nations de l’EU devraient à terme, moins travailler entres-elles ? Pas de quoi s’en satisfaire. Un début de détricottage de l’Union qui ne pourra plaire justement qu’aux Etats-Unis.
Il dit surtout que cet accord aura un impact positif sur le PIB de l’ UE en général et en particulier sur ses pays les plus pauvres. A-t-on vraiment le choix ? A mon avis, non. Nous allons devoir trouver de gré ou de force sur un immense marché américain de quoi plus que compenser ce que nos partenaires européens ne nous achèteront plus. Ce n’est pas un gros risque, ils nous achètent de moins en moins. Quoiqu’on puisse en penser, il est temps d’essayer avant qu’il ne soit trop tard de jouer avec les règles des autres si on ne peut pas imposer les nôtres. D’autant que nous sommes les seuls à croire qu’elles marchent et que personne n’en veut. Mais puisque nous avons sauvé notre cinéma..
If you can’t beat them, join them (si tu ne peux pas les battre, va avec eux)