L’Aquitaine existe-t-elle ?


 Aquitaine blasonsL’Aquitaine, comme toutes les régions françaises, est issue du découpage administratif de 1955. Troisième région française en superficie, elle va des contreforts du Limousin aux Pyrénées, et est marquée par la diversité de ses paysages et de ses populations basques, gasconnes, languedociennes, saintongiennes, ou encore issues de l’immigration : portugaises, marocaines ou espagnoles.

Dans la mondialisation, l’identité est importante : elle fédère les énergies et donne un sens à un discours, mais l’Aquitaine est constituée par de multiples identités plus ou moins marquées, comme l’irrédentisme basque. Il est donc légitime de se demander si la région a une chance d’exister au-delà de ses composantes et donc de se poser la question suivante : l’Aquitaine existe-t-elle ?

Le nom ancien de l’Aquitaine, Aquitania, signifie le pays de l’eau. C’était une province romaine importante, dont les frontières mouvantes ont même englobé tous les pays entre Pyrénées et Loire. Lorsque la grande Aquitaine romaine fut divisée, on en fit même deux : l’Aquitaine première, englobant massif central et Berry, et l’Aquitaine seconde, allant de la Loire à la Garonne. Au sud de celle-ci, la région de Novempopulanie (les neuf peuples) allait jusqu’aux Pyrénées. L’Aquitaine fut ensuite un duché, et même parfois un royaume au gré des partages des mérovingiens et carolingiens. Après le mariage d’Aliénor, duchesse d’Aquitaine, à Henri II Plantagenêt, on inaugura la période de domination anglaise, et par là même la guerre de cent ans. Le terme Aquitaine s’abâtardit, pour devenir Guyenne, et lorsque la région revint à la France en 1453, il garda ce nom, pour devenir en 1561 le gouvernement de Guyenne. Après la révolution française, Aquitaine ou Guyenne furent vouées à être oubliées, dénuées d’existence administrative, jusqu’au décret Pfimlin de 1955 qui recréa une région Aquitaine.

Une région Aquitaine aux formes bien étranges à vrai dire, car amputée du cœur de la Gascogne qui la constitua de tout temps, à savoir des départements du Gers, mais aussi des Hautes-Pyrénées, absorbés par le pouvoir d’attraction de Toulouse. Le principe du pouvoir d’attraction des métropoles régionales commanda que la Dordogne et le Lot-et-Garonne, proches de Bordeaux, lui fussent rattachés, tandis qu’on décida finalement de rattacher les Basses-Pyrénées, qui étaient aussi loin de Toulouse que de Bordeaux. Si les départements des Landes, des Pyrénées Atlantiques, de la Gironde et du Lot-et-Garonne sont totalement ou partiellement de culture gasconne, on trouve dans le nord de la Gironde une culture saintongienne, languedocienne en lot-et-Garonne et Dordogne, et dans le nord de ce département, limousine. Enfin, la culture basque vient compléter le tableau dans l’extrême sud-ouest du territoire. A cela, on peut ajouter les nombreux apports de l’immigration, que ce soient les Portugais et les Espagnols dans le sud de l’Aquitaine, les Italiens et Marocains dans la vallée de la Garonne.

Face à une telle complexité historique et culturelle, et à tant de fortes identités déjà établies depuis des siècles, force est de constater que l’Aquitaine peine à exister. Il n’est pas évident de trouver des points communs au Pays basque et au Périgord, si ce n’est peut-être par la culture du foie gras, et les liens tissés du temps de l’Aquitaine anglaise ne semblent pas concerner le Béarn qui eut depuis le XIVème siècle une existence autonome. Certes, il y a une certaine culture, la douceur de vivre du sud-ouest, l’amour du rugby, mais cela n’est pas propre à l’Aquitaine. Le conseil régional, sentant qu’il fallait aller plus loin que la région administrative, a commencé à investir depuis peu dans du « marketing grand public », réalisant des publicités sur des radios de grande écoute, où des speakers à l’accent pointu vantent les mérites du jambon de Bayonne ou du piment d’Espelette, érigés comme étendards non pas de la culture basque, mais de la région Aquitaine. Je ne peux m’empêcher de penser que cela est très superficiel, et m’interroge surtout sur la finalité. Veut-on créer des Aquitains ? Si oui, qu’est-ce qu’un Aquitain ? Car si c’est un habitant du sud de l’Aquitaine qui joue au rugby et cultive du piment d’Espelette, ça s’appelle encore, et sans doute pour longtemps, un Basque..

Que dire aussi des Béarnais, qui ont aujourd’hui plus d’intérêt à se rapprocher d’une Bigorre midi-pyrénéenne proche et complémentaire, que d’un pays basque nord attiré par les sirènes économiques et culturelles de son frère du sud des Pyrénées.

Et puis, il y a aussi cette dichotomie entre Nord Aquitaine (Bordeaux), et Sud Aquitaine, accentuée par le quasi désert des Landes de Gascogne.

On le voit, l’identité Aquitanique, malgré une histoire riche, n’est pas évidente à trouver, et il est encore plus difficile, sinon impossible, de la construire. Les campagnes marketing ne changent rien à cela, et on peut se demander quelle est la finalité de vouloir créer des « Aquitains » qui n’existent pas.. Au lieu de cela, il faudrait mettre en valeur les terroirs et les cultures existantes telles qu’ils existent, et développer les collaborations avec les régions et pays limitrophes, de façon à mettre en valeur les « pays », dimension qui est, avec la nation, la seule capable de réellement rassembler et fédérer les énergies.

– Par Emmanuel Pène

8 commentaires sur « L’Aquitaine existe-t-elle ? »

  1. La mise en valeur des pays est une voie du développement rural identifiée par la prospective (horizon 2030). Ce développement nécessitera de fortes interventions des politiques publiques. Donc des fonds publics ; ce qui devrait être une priorité moindre pour de nos élus.

    Une autre voie serait constituée par des initiatives variées pour mettre en œuvre l’attractivité des espaces ruraux. Ce développement sera le fait d’individus très mobiles et qui alternent les séjours en ville et à la campagne.

    Les autres voies sont constituées par le laisser aller actuel de la périurbanisation ou, au contraire (suivant les lieux), par le retour dans les villes (Agglo de Pau par exemple ?).

    Le développement des pays suivra, à des degrés divers, ces différentes voies.
    A noter que l’ensemble de ces voies a notamment été exploré par le Comité de Développement du Grand Pau.

    D’autre part, placer l’intérêt du Béarn dans un rapprochement avec la Bigorre et non plus du Pays Basque me semble quelque peu « binaire ».
    Par exemple, il me semble que les basques et les béarnais ont un intérêt à se rapprocher du Sud des Landes (zone d’emploi de Dax).
    Les basques l’ont compris depuis longtemps (localisation océanique entre autre).
    Je trouve que cet aspect est complètement négligé par le Béarn depuis trop longtemps.

  2. « la finalité de vouloir créer des « Aquitains » qui n’existent pas »

    L’histoire ancienne et récente a tellement modifié les populations que l’identité « Aquitain » ne peut plus guère qu’être revendiquée par quelques anciens attachés à la terre, aux coutumes, à la langue et par quelques intellectuels nostalgiques.
    L’économie et ses obligations, ont créé des flux importants de « nomades » issus de toutes les régions et de tous les pays,qui ne « font que passer », à la recherche d’un emploi, souvent tout aussi transitoire. De plus en plus nombreux, l’identité géographique et culturelle ne les concerne pas.
    Le contenant conserve une identité, plus le contenu.
    Avec le mondialisme, la même question pourrait, ou pourra même, se poser dans l’avenir pour les autres niveaux de découpage planétaire!

    1. EP: »Les campagnes marketing ne changent rien à cela »
      Il faut bien dépenser l’argent du contribuable… :-§
      « les terroirs et les cultures existantes »
      Oui, les « cultures réelles ». Par contre, certains territoires possèdent une identité plus forte que d’autres. Par exemple, le Pays Basque par rapport au Béarn… Dans ce sens, il existe des « déséquilibres » dans les forces culturelles dont je ne vois pas comment ils pourraient être réduits. Mais ce n’est peut-être pas le sujet.

  3. pour les habitants de la Dordogne, le Bearn c’est le pays basque… encore du chemin pour une aquitaine unique… en son genre

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