En politique, les hommes sont devenus plus importants que les programmes; l’image prime sur le fond; la conquête de l’électorat n’est pas chose facile: articles, blogs, meetings, déplacements… Entre la croissance des activités technologiquement possibles et les contraintes de l’accélération du temps, seul le présent est abordable; l’avenir, donc « la politique » véritable, devient impossible.
«L’impossible avenir ? Ou comment la société s’enferme dans le présent.»
Ch. Bouton, Myriam Revault d’Allonnes : philosophes, Nicole Aubert, sociologue.
Décidément, lorsqu’on regarde l’agitation des politiques, celle qui précède les élections municipales de Pau, on est pris de vertige. Mais où donc tout cela va s’arrêter ? disait Joël Braud.
Ce n’est pas nouveau : Platon se moquait déjà dans l’antiquité des avocats courant après le temps pour placer leurs discours. (SW: 2:10/13)
Les textes, les émissions, les articles…
- qui font des pronostics, des supputations,… sur le nom des futurs candidats déclarés, éventuels, possibles, souhaités…
- qui dénoncent les magouilles des uns et des autres pour se faire une place au soleil..
- qui estiment les alliances stratégiques à faire,
- qui se délectent des petits mots assassins prononcés en aparté ou pas, afin de semer la zizanie et de montrer la nullité des gouvernants,
remplissent les médias et les réseaux sociaux, et… le temps!
Pour faire «le buzz», remplir des forums, vendre de l’information, défouler son agressivité, décharger son adrénaline, sans aucun doute, c’est salutaire. La thérapeutique est positive.
Mais, en ce qui concerne, l’avenir de la commune, de l’agglomération, de la région, du pays, de l’Europe…cela n’a aucun intérêt, au contraire; c’est à un bien autre niveau de réflexion qu’il convient de se situer.
«La politique» s’occupe de tous les domaines de la cité: organisation, économie, finances, justice, éducation, santé, culture…
«Les politiques» sont les femmes et les hommes qui se chargent d’assurer la gestion de cette politique.
L’ordre des priorités, pour la désignation des gestionnaires d’une entité territoriale, me semble être:
- «La politique» qu’ils comptent mener, c’est-à-dire le programme circonstancié, ou projet présenté, pour l’application de la politique. Dans ce programme doivent figurer les sources des financement prévus, si possible, l’ordre prévu.
- Ensuite, l’équipe qui compte réaliser cette politique.
Dans le déroulement actuel on fait l’inverse, on se dispute sur le contenant et on laisse de côté le contenu. De plus, les politiques eux-mêmes, dévoilent rarement leur programme précis:
- pour ne pas risquer de déplaire et ratisser le plus large possible.
- pour ne pas se faire « faucher» leurs «bonnes idées».
- Pour se conserver une marche de manœuvre qui ne pourra donc pas être reprochée.
Bilan: Il faut faire confiance aux mots, au sérieux, à la compétence, à l’abnégation (don de soi, disait J.Braud), que seuls souvent, les intéressés se reconnaissent.
La durée des mandats, comparée à l’ampleur du travail à accomplir, les critiques systématiques des opposants qui doivent, par principe, détricoter ce qu’ont fait les précédents, s’ils prennent la place, font que les projets n’ont aucune continuité, donc aucune efficacité.
D’où «L’impossible avenir».
Le temps des politiques est-il compatible avec le temps de la politique ?
Telle a été la question posée par Ch.Bouton, Myriam Revault d’Allonnes, philosophes, lors d’une conférence le 3 octobre, à Bordeaux.
Effectivement, il y a un fossé qui se creuse entre le temps nécessaire à la réalisation d’un objectif et l’exigence d’un électorat qui est de plus en plus pressé quand il ne voit rien venir, ce qui, compte tenu des tractations, des pressions, des concertations…. n’arrive jamais, bien sûr, d’où les critiques incendiaires incessantes.
Les politiques, en recherche d’audimat, suivent avec attention, les sondages journaliers, ils doivent donc, comme les girouettes , tourner avec le vent, ce qui n’a rien à voir avec le temps de la politique, mais qui justifie l’absence de programme.
Le citoyen de base en est parfaitement conscient, ce qui explique le désamour, la lassitude, hélas parfois, la dérive vers les extêmes!
Qui est responsable ? La politique, les politiques, l’électeur, la technologie, la croissance, l’accélération du temps,…..?
Nous sommes, ils sont, soumis, à «La Dictature de l’urgence» Gilles Filchelstein (éd. Fayard 2 011); c’est «L’épuisement des ressources temporelles» Ch.Bouton.
Cette accélération entraîne une dépréciation du présent, le dérobe, provoque une atrophie de l’horizon de l’avenir.
Pour un économiste suédois «Plus on est riche matériellement, plus on devient pauvre en ressource temporelle.»
Mais pourquoi est-ce ainsi, alors que le progrès matériel devrait nous libérer du temps ?« Pour Hartmut Rosa, c’est le rapport entre croissance et accélération qui explique cela. Car l’accélération permet de gagner du temps libre si et seulement si la quantité d’activité reste la même. Mais ce n’est pas le cas !
La croissance de l’activité est plus importante que l’accélération.
Exemple:pour le transport, on a doublé notre vitesse, mais on a quadruplé les distances parcourues, les temps d’attente dans les embouteillages ou aux feux rouges…
Plutôt que de s’agiter stérilement, ne serait-ce pas un problème sur lequel tous nos politiques, de droite, du centre ou de gauche, devraient se pencher pour réorienter l’avenir de notre société ?
– par Georges Vallet
crédit photos: sante.lefigaro.fr
« Les hommes sont devenus plus importants que les programmes »
Ce n’est pas nouveau !
Lire ou relire : « La politique spectacle -Essai sur et contre le Star System en politique » de Roger Gérard SHWARTZENBERG paru en 1977 aux Editions Flammarion et suivi de La politique spectacle 2 – Plon, 2009 – dans lequel, trente an plus tard, Roger Gérard SHWARTZENBERG traite de la médiatisation à outrance de la vie politique au niveau planétaire
Voir ou revoir : Apostrophe , 17 avril 1977
» Bernard PIVOT, sur le thème la politique tourne-t-elle au spectacle? reçoit des écrivains qui, à des degrés divers, s’expriment sur la politique et la manière de la pratiquer. Jean DUTOURD présente son ouvrage « Cinq ans chez les sauvages», série de chroniques sur la télévision, l’actualité et la politique. Hélène VIDA présente son livre, recueil à partir de ses émissions faites à Radio Monte-Carlo « Mes hommes politiques ». Gaston DEFERRE pour son livre « Si demain la gauche » recueil de réponses faites à Pierre DESGRAUPES sur son expérience politique et le programme commun. Roger Gérard SHWARTZENBERG pour son livre « l’Etat spectacle » dénonçant la personnalisation du pouvoir, et le statut de l’homme politique devenu vedette du fait des médias. En illustration, diffusion d’archives montrant GISCARD D’ESTAING chez lui en famille et avec ses chiens (caa75080215), François MITTERRAND dans son jardin à Latché puis jouant au tennis avec Roger HANIN et enfin Georges MARCHAIS avec son fils et sa femme. » (Source INA)
Merci pour ce sujet très important.
J’ai lu il y a quelques années le livre de Nicole Aubert sur ce thème (le culte de l’urgence).
Elle y décrit l’évolution de notre rapport au temps : d’un temps cyclique (saisons, fêtes,…) à un temps linéaire (qui nous emprisonne dans le présent puisque le temps ne « revient » plus mais se « perd » … avec comme effet concret la fracture : physique, morale, sociale,…).
De mémoire, je crois que pour Nicole Aubert il n’y a pas de réel responsable. De mémoire toujours, elle tire l’origine de la perversion du temps politique dans la part toujours plus croissante des financiers dans le capital des entreprises :
_le financier a perverti la notion de temps dans l’entreprise (rendements rapides Vs stratégie à long terme)
_l’entreprise a perverti à son tour la notion de temps chez l’employé (qui est aussi un citoyen un dimanche tous les 1 ou 2 ans)
_le citoyen « stressé » (qui passe 7 heures par jour à tenir ses objectifs) pervertit au final le temps politique avec pour résultat (entre autres) la fabrication de lois jetables (cf. rapports Conseil d’Etat 1991 et 2006).
Le téléphone portable est une des matérialisations de cette perversion de la perception du temps et du glissement du temps financier à celui du citoyen.
En gros :
_1980 : quelques hommes d’affaires possèdent un téléphone portable (ou plutôt transportable)
_1990 : les entreprises s’y mettent
_Fin des années 90 : « démocratisation du portable », monsieur et madame tout le monde peuvent communiquer sans entrave…
_2013: un collégien sans portable c’est limite de la maltraitance 🙂
Cette lecture de Nicole Aubert m’a fait découvrir la pensée d’Ivan Illich et tout naturellement par la suite le thème de la Décroissance. Thème qui est quand même tabou dans les grands médias.
Je pense avoir trouvé chez Ledru-Rollin un texte sur cette notion de décroissance mais appliquée à la politique (texte qui date quand même de 1854 et dont je mettrai, ‘rapidement’ j’espère :))), un extrait sur le site d’AP).
Bien qu’ancien, ce texte offre de bonnes pistes pour solutionner le problème de l’inversion des priorités (contenant et contenu) que vous avez évoqué.
Bien à vous
Mehdi Jabrane.
Sans doute faudra t-il attendre la prochaine crise financière et économique pour que, par nécessité, les politiques s’occupent un peu plus sérieusement du pays et des collectivités locales. Si cette prochaine crise n’amène pas le FN au pouvoir… A titre de comparaison, c’est la grande dépression de 1929 qui a fait passer le score du parti nazi de 2% à 30%.
Concernant la décroissance, c’est sûr que le système actuel est à bout de souffle. On le voit particulièrement aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Europe du Sud et… en France.
La crise s’est déclenchée en 2007 et depuis, les économies sont maintenues à flot par une hausse incessante de la dette publique, ce qui ne peut pas durer indéfiniment. Je dirais même qu’il n’en reste que pour quelques années.
Enfin, plutôt que de « décroissance » (qui peut comporter une connotation de « retour à la bougie »), il me paraît plus juste de parler de « décroissance sélective », « développement durable » et « retour à l’économie réelle ». Exit une grande partie de la pub et des services de haute finance, le crédit à la consommation, les produits pas chers et « jetables » alors que les mêmes produits, il y a 50 ans étaient 20 fois plus solides, le gaspillage effreiné de pétrole et de gaz, les emplois publics semi-fictifs de clientélisme, les dépenses publiques somptuaires, les conneries des écolos de soutenir le secteur éolien là où il y a très peu de vent et le solaire PV là où il y a très peu de soleil etc etc. Oui, je sais, on en est encore loin, mais la prochaine crise financière, elle me paraît proche: dette publique 100% du PIB aux Etats-Unis, 95% en Europe, avec dans les 2 cas une progression de 5% par an…
« A titre de comparaison, c’est la grande dépression de 1929 qui a fait passer le score du parti nazi de 2% à 30%. »
Osons aller plus loin : …et c’est la seconde guerre mondiale qui a sorti l’Europe et même les Etats-Unis de la crise, par l’effort de guerre puis de reconstruction.
Ben voilà, paraît-il que le FN est désormais le 1er parti de France, selon le dernier sondage Ifop pour les européennes: FN: 24%, UMP 22%, PS: 19%.