Les réactions de certains pays musulmans suite à la publication du dernier Charlie Hebdo ont fait voir des images choquantes d’hostilité envers la France. Ces images nourrissent à leur tour le discours de certains militants pour un Islam des Lumières. Les uns comme les autres savent-ils pourtant que l’Islam a été un élément déterminant dans la formation de « l’esprit des Lumières » ?
Depuis la fin du 19ème siècle et l’ouvrage définitif de Gustave Le Bon sur le sujet (la civilisation des arabes), il n’est plus à démontrer l’influence de la civilisation arabo-musulmane sur l’essor de la science en Occident. On sait moins que des monuments du patrimoine littéraire occidental comme la Divine Comédie, Robinson Crusoé ou Don Quichotte sont d’inspiration musulmane.
Pourtant, ce qui est encore moins connu, c’est que de la Réforme au Romantisme en passant par les Lumières, la production philosophique occidentale sur le thème de la tolérance a souvent pris l’Islam et son prophète comme référence et source d’inspiration.
Pour le curieux désirant se former une idée plus approfondie, je donne en fin de texte une bibliographie sur ce sujet (certes non exhaustive car limitée aux seuls ouvrages de ma bibliothèque).
Cependant, afin de réconcilier le nigérien « fanatique », le français « rationaliste » et le jeune banlieusard musulman noyé sous les productions religieuses éditées en Arabie Saoudite, je me permets de retranscrire ci-dessous quelques citations de Voltaire, alias le Prince des Philosophes, sur l’Islam et son prophète.
Certes, nous avons tous entendu un jour ou l’autre, le titre de la tragédie de Voltaire écrite en 1736 « le Fanatisme ou Mahomet le Prophète » qui a nourri (et nourrit encore) notre inconscient collectif. Par contre, ce qui est moins enseigné dans nos écoles, c‘est que cette pièce justement est (très) loin de traduire le jugement de Voltaire sur l’Islam et son prophète. Extraits de quelques un de ces ouvrages :
LETTRES PHILOSOPHIQUES (1733) :
« Sa religion est sage, sévère, chaste et humaine: sage puisqu’elle ne tombe pas dans la démence de donner à Dieu des associés, et qu’elle n’a point de mystère; sévère puisqu’elle défend les jeux de hasard, le vin et les liqueurs fortes, et qu’elle ordonne la prière cinq fois par jour; chaste, puisqu’elle réduit à quatre femmes ce nombre prodigieux d’épouses qui partageaient le lit de tous les princes de l’Orient; humaine, puisqu’elle nous ordonne l’aumône, bien plus rigoureusement que le voyage de La Mecque. Ajoutez à tous ces caractères de vérité la tolérance ».
EXAMEN IMPORTANT DE MILORD BOLINGBROKE OU LE TOMBEAU DU FANATISME (1736) :
« Le mahométisme était sans doute plus sensé que le christianisme. On n’y adorait point un Juif en abhorrant les Juifs; on n’y appelait point une Juive mère de Dieu; on n’y tombait point dans le blasphème extravagant de dire que trois dieux font un dieu; enfin on n’y mangeait pas ce dieu qu’on adorait, et on n’allait pas rendre à la selle son créateur. Croire un seul Dieu tout-puissant était le seul dogme, et si on n’y avait pas ajouté que Mahomet est son prophète, c’eût été une religion aussi pure, aussi belle que celle des lettrés chinois. C’était le simple théisme, la religion naturelle, et par conséquent la seule véritable. »
DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE (1764)
« Je vous le dis encore, ignorants imbéciles, à qui d’autres ignorants ont fait accroire que la religion mahométane est voluptueuse et sensuelle, il n’en est rien; on vous a trompés sur ce point comme sur tant d’autres. »
« On l’admire (Mahomet) pour s’être fait, de marchand de chameaux, pontife, législateur, et monarque; pour avoir soumis l’Arabie, qui ne l’avait jamais été avant lui, pour avoir donné les premières secousses à l’empire romain d’orient et à celui des Perses. Je l’admire encore pour avoir entretenu la paix dans sa maison parmi ses femmes. Il a changé la face d’une partie de l’Europe, de la moitié de l’Asie, de presque toute l’Afrique, et il s’en est bien peu fallu que sa religion n’ait subjugué l’univers. »
PROFESSION DE FOI DES THÉISTES (1768) :
« Quand ces Arabes eurent conquis l’Espagne et la province narbonnaise, ils leur laissèrent leur religion et leurs lois. Il laissent encore vivre en paix tous les chrétiens de leur vaste empire. Vous savez, grand prince, que le sultan des Turcs nomme lui-même le patriarche des chrétiens grecs et plusieurs évêques. Vous savez que ces chrétiens portent leur Dieu en procession librement dans les rues de Constantinople, tandis que, chez les chrétiens, il est de vastes pays où l’on condamne à la potence ou à la roue tout pasteur calviniste qui prêche, et aux galères quiconque les écoute. O nations! Comparez et jugez. »
Puissent ces quelques extraits être enseignés également dans les écoles de Dakar, d’Alger et dans nos banlieues, pour réconcilier les graines de fanatiques (voire quelques rationalistes ignorants) avec la France des Lumières.
Bibliographie :
En français :
- L’Islam et la Réforme (étude sur l’attitude des réformateurs zurichois envers l’Islam 1510-1550) de Victor Segesvary – Univerty Press of America
- Représentation de l’Islam dans la France du 17ème siècle de Dominique Carnoy – L’Harmattan
- L’Orient dans la littérature française au 17ème siècle et au 18ème siècle de Pierre Martino – Slatkine Reprints
- Les relations de voyages du 17ème siècle et l’évolution des idées (contribution à l’étude de la formation de l’esprit au 18ème siècle) de Geoffroy Atkinson – Slatkine Reprints
- Voltaire et l’Islam de Djavad Hadidi – Publications Orientalistes de France
- L’Islam au siècle des Lumières (Image de civilisation islamique chez les philosophes français du 18ème siècle) de Sadek Neaimi – L’Harmattan
- Arabes des lumières et Bédouins romantiques de Denise Brahimi – Le Sycomore
- Lumières orientales et Orient des Lumières de Nicole Hatem – L’Harmattan
En anglais :
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Thomas Jefferson’s Qur’an: Islam and the Founders de Denise Spellberg – Vintag
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The ‘Arabick’ Interest of the Natural Philosophers de G. A. Russell – Brill
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Henry Stubbe and the Beginnings of Islam (The Originall & Progress of Mahometanism) de Nabil Matar – Columbia University Press
- Islam and the English Enlightenment, 1670–1840 de Humberto Garcia – Johns Hopkins University Press
Par Mehdi Jabrane
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/01/15/nigeria-des-images-satellite-temoignent-du-massacre-de-baga_4556480_3212.html
Vous n’êtes ni de Dakar, ni d’Alger, ni de la banlieue et si vous êtes sur ce blog alors j’aime à penser que vous n’êtes pas ignorant sinon je perdrai mon temps (car même si je m’essaye à l’écriture je suis ici pour apprendre) donc le « nous » dont vous parlez est pour moi une énigme.
J’avais le premier article dans ma besace qui reprend en partie d’ailleurs les ouvrages cités dans mon texte.
Le deuxième article est sans appel.
Voltaire ou la tolérance à deux vitesses…Et dire qu’il est inhumé au Panthéon !
Plus sérieusement je suis d’accord avec vous, plus jeune il avait besoin d’un « faire valoir » pour combattre « l’infâme ».
Par contee au seuil de sa vie avec le poids des années et des combats menés, l’argument est intenable car cela lui ôterait de plus toute espèce de courage.
De là à dire qu’il était islamophile, je ne m’y risquerai pas voyez vous, même pour faire cesser de voir brûler le drapeau français.
La vérité des faits avant tout.
Monsieur Jabrane,
L’Islam n’a nul besoin d’un intercesseur, fût-il un philosophe du Siècle des lumières, pour’ que nous reconnaissions l’Islam .
Mais surtout pas Voltaire qui employait surtout les qualités réelles qu’il trouvait à Mahomet et à l’Islam pour mieux « justifier » son antisémitisme et son anti-christianisme.
http://www.rives.revues.org/406
http://www.contreculture.org/AG%20Voltaire.html