Les philosophes


blaQuelques vraies (fausses) polémiques publiées très récemment sur ce site m’ont rappelé la retranscription d’une conférence donnée au début du siècle dernier et qui avait pour titre : les philosophes. Extraits.

« Qu’est-ce que la philosophie ? Une secte, dit-on d’ordinaire : et elle en a bien en effet tous les dehors.

Orthodoxie, d’abord : « La raison, écrit Diderot dans l’Encyclopédie, est à l’égard du philosophe ce que la grâce est à l’égard du chrétien. » C’est le principe de nos Libres Penseurs : « Nous avons foi en la raison. »

(…)

Ainsi ce qu’on demande aux frères est moins de servir la raison que d’y croire ; il en est de ce culte-là comme des autres : c’est la bonne volonté qui sauve.

(…)

Tel esprit boiteux sera donc admis, s’il est bon philosophe, et tel autre, exclu, qui est bien d’aplomb, mais indépendant. Le parti pris est net, et encourage, vous le savez, un quiétisme de la raison encore plus nuisible à l’intelligence que le quiétisme de la foi à la volonté. Rien ne fait plus de tort au progrès de la raison que son culte : on ne se sert plus de ce qu’on adore.

(…)

Car on persécute ― autre pratique de secte. Avant la Terreur sanglante de 93, il y eut, de 1765 à 1780, dans la république des lettres, une terreur sèche, dont l’Encyclopédie fut le comité de salut public, et d’Alembert le Robespierre. Elle fauche les réputations comme l’autre les têtes, sa guillotine, c’est la diffamation, l’infamie, comme on dit alors ; le mot, lancé par Voltaire, s’emploie, en 1775, dans les sociétés de province, avec une précision juridique. “ Noter d’infamie ” est une opération bien définie, qui comporte toute une procédure, enquête, discussion, jugement, exécution enfin, c’est-à-dire condamnation publique au mépris, encore un de ces termes de droit philosophique, dont nous n’apprécions plus la portée.

(…)

C’est là, vous le voyez, tout l’extérieur d’une secte vigoureuse et bien armée, de quoi en imposer à l’ennemi, de quoi aussi piquer la curiosité des passants, comme nous le sommes ce soir ; car derrière de si grands murs, nous devons nous attendre à trouver une grande ville, voire une belle cathédrale : on ne conçoit point, en général, de fanatisme sans foi, de discipline sans loyalisme, d’excommunication sans communion, d’anathèmes sans puissantes et vivantes convictions ― pas plus qu’on ne conçoit un corps sans âme.

(…)

Mais voici la merveille : ici, et seulement ici, nous sommes déçus : ce puissant appareil de défense ne défend rien, rien que du vide et des négations. Il n’y a rien, là derrière, à aimer, rien à quoi se prendre et s’attacher. Cette raison dogmatique n’est que la négation de toute foi, cette liberté tyrannique, la négation de toute règle. Je n’insiste pas sur un reproche si souvent fait aux philosophes : eux-mêmes avouent et glorifient le nihilisme de leur idéal.

(…)

Ce qui me gêne, au contraire, c’est de ramener ces effrayantes et diaboliques conséquences au tout petit fait qui les explique, si banal, si menu : causer. Là pourtant est l’essentiel. La république des lettres est un monde où l’on cause, mais où l’on ne fait que causer, où l’effort de chaque intelligence cherche l’assentiment de tous, l’opinion, comme il cherche, dans la vie réelle, l’œuvre et l’effet.

(…)

C’est là, direz-vous, une bien chétive raison pour une si grosse conséquence ; c’est peser bien lourdement sur le plus innocent des jeux. Mais du moins je ne suis pas le premier coupable, et les joueurs ont commencé, ― je ne parle pas des premiers, des bons vivants de 1730, mais des encyclopédistes de l’âge suivant. Ceux-là sont graves : comment ne pas l’être quand on est sûr que l’éveil de l’esprit humain date de son siècle, de sa génération, de soi-même ? L’ironie remplace la gaieté, la politique les plaisirs. Le jeu devient une carrière, le salon un temple, la fête une cérémonie, la coterie un empire dont je vous ai montré le vaste horizon : la république des lettres.

(…)

Et que fait-on dans ce pays-là ? Rien d’autre, après tout, que dans le salon de Mme Geoffrin : on cause. On est là pour parler, non pour faire ; toute cette agitation intellectuelle, cet immense trafic de discours, d’écrits, de correspondances, ne mène pas au plus petit commencement d’œuvre, d’effort réel. »

Extraits de : « Les philosophes » (conférence faite en 1912). Les sociétés de pensée et la démocratie moderne. Augustin Cochin – Éditions Copernic – 1978.

Mehdi Jabrane

5 commentaires sur « Les philosophes »

  1. Pas sérieux Monsieur Jabrane!
    Votre  »exercice’ est nul : pour apporter votre contribution à la philosophie vous extrayez quelques lignes de ce que vous appelez une retranscription. Sans préciser quels critères ont guidés votre choix pour retenir cette sélection. Sans omettre que vous faites (volontairement?) une grosse confusion: Augustin Cochin se voulait historien du cheminement de la pensée révolutionnaire et sociologue, mais certainement pas philosophe.

    Et pourquoi travailler(?) sur une retranscription comme vous le dites … quand l’ouvrage original est disponible?

     »Société de pensée et démocratie moderne » fait une centaine de pages http://misraim3.free.fr/divers2/SOCIETES.PDF
    Je crois qu’il est plus profitable de consulter l’ouvrage d’Augustin Cochin que de s’attarder à votre (médiocre) sélection. Sans rancune.

    Augustin Cochin 1876-1916 (mort pour la France)

    1. Sur la reprise d’un texte de Jaurès (http://alternatives-pyrenees.com/2014/12/07/jaures-vs-bayrou-ou-la-dette-2-0/#comments) vous m’aviez fait le même type de commentaire !

      Ce qui est drôle c’est qu’en vous lisant j’ai la même réflexion qu’alors :
      « Vous avez un humour un peu spécial ou alors vous avez compris le texte à l’envers »

      A toutes fins utiles, je tiens le livre à votre disposition.
      Acheté 50 centimes il y a 2 ans salle Navarre au parc des expos lors d’une vente de livres d’occasion organisée par Amnesty International, vente organisée en marge du salon du livre, mon exemplaire n’est plus tout à fait frais, mais il sera sans doute d’un meilleur confort visuel que votre lien pdf.

  2. «Et que fait-on dans ce pays-là? Rien d’autre, après tout, que dans le salon de MmeGeoffrin: on cause. On est là pour parler, non pour faire; toute cette agitation intellectuelle, cet immense trafic de discours, d’écrits, de correspondances, ne mène pas au plus petit commencement d’œuvre, d’effort réel.»

    Vous ne faites que confirmer ce que j’évoquais dans mon texte sur l’oxymore quand j’évoquais Sénèque: « le Sénat, face aux barbares, passait son temps à se réunir pour discourir mais ne décidait plus»

    Cette remarque est donc pertinente pour illustrer le monde des politiques et des médias, bien moins, à mon avis, en ce qui concerne celui de l’entreprise et des intellectuels, chacun jouant son rôle!
    Quant à nous, sur le site:

    Que faire sur un forum, sinon échanger ,surtout pour des anciens qui ont, reconnaissons-le, malgré parfois un handicap physique, une lumière intérieure souvent encore bien brillante, alimentée par une certaine expérience du passé, enrichissante pour expliquer le présent à partir du passé et utile pour construire l’avenir?
    N’est-il pas reconnu comme essentiel de «réfléchir avant d’agir» plutôt que de faire l’inverse comme maintenant.Là aussi, chacun son rôle!Les penseurs ont le leur.
    Dans un monde complexe on avance toujours par un travail d’équipe, en réseau, par l’échange, où chacun intervient suivant sa spécificité. .

    1. « où chacun intervient suivant sa spécificité »
      Entièrement d’accord avec vous.

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