La politique pénale de notre pays veut satisfaire deux objectifs opposés : sanctionner et oublier.
Pour y parvenir il existe diverses mesures dont la prescription des poursuites à l’expiration d’un certain temps.
Ainsi, selon notre classification des infractions, une contravention se prescrit par un an, un délit par deux, un crime par dix ans.
Dans un rapport remis au gouvernement le 20 mai 2015, deux députés, l’un magistrat, l’autre avocat, ont, entre autres, proposé de doubler ces délais et de les faire démarrer non pas du jour de l’infraction mais de celui de sa découverte.
L’intention est louable mais pourquoi une prescription qui interdit toute poursuite et donc toute sanction ?
Cette mesure repose sur deux fondements :
– la crainte de la disparition des preuves pertes d’éléments matériels, disparition de témoins, souvenirs imprécis),
– et, plus surprenant le droit à l’oubli.
Les deux sont contestables.
S’agissant du premier, il trouve application dès lors qu’un doute existe sur l’existence de l’infraction et sur l’identité de l’auteur. On ne condamne pas sans preuve. Mais ce risque est beaucoup moins à craindre avec les techniques modernes de recherche des preuves. En tout cas ce n’est pas parce qu’une telle recherche peut s’avérer difficile qu’il faut pour autant cesser de poursuivre l’auteur d’un trouble social.
Quant au second, il fait fi de toute morale. En effet, pourquoi un droit à l’oubli pour l’auteur de l’infraction ? Comment, d’ailleurs, parler de droit au profit d’un individu qui a violé la loi. La victime, s’il y en a, n’oublie généralement pas le préjudice ou le mal qu’elle a subi et dont elle peut encore souffrir.
De nombreux pays, aussi démocratiques que le nôtre, ne connaissent pas cette mesure qui, finalement, libère l’auteur de l’infraction de la menace qui pèse sur lui.
Un coupable doit-il bénéficier de plus de compassion que la victime ? Poser la question c’est y répondre ?
A côté, et toujours dans le but de faire oublier le passé, on trouve l’amnistie qui efface certaines condamnations et qui a longtemps été mise en œuvre lors d’une élection présidentielle.
Tous ces procédés ne permettent pas de connaitre le véritable profil d’une personne appelée à comparaître en justice pour une infraction pénale.
Enfin, grâce au système de réductions des peines, la personne condamnée est assurée de ne pas effectuer la totalité de la sanction prononcée si elle se comporte convenablement en détention. En quelque sorte une récompense pour bonne conduite. Dans plusieurs pays voisins la punition est exécutée en totalité et la mauvaise conduite en détention sanctionnée.
Quant à espérer une réinsertion d’une certaine catégorie de délinquants, une publication des statistiques sur la récidive démontrerait sans doute qu’on ne réinsère que ceux qui étaient déjà insérés dans la société et qui ont failli de façon occasionnelle.
En fait, tout dépend de la philosophie du législateur selon qu’il veut vider les prisons, qu’il compte sur la réinsertion du condamné ou qu’il entend réprimer strictement l’acte antisocial.
Celle du bon peuple, on la connaît. Ni prescription, ni amnistie, ni réduction de peine et…inéligibilité à vie pour ceux qui ont usé de fonds publics à leur profit ou celui de leur parti. Il en existe encore quelques-uns dans notre pays et ils n’en sont pas autrement gênés.
Il est vrai qu’ils ont toujours le droit à l’oubli.
– par Pierre ESPOSITO
Ancien bâtonnier du barreau de PAU
Avocat honoraire
Merci pour cet article de bon sens, parce qu’il revient aux fondamentaux … ces fameux fondamentaux qui, lorsqu’on les oublie, nous reviennent, eux, à la figure, et souvent avec élan. Bien que la matière soit « lourde », je trouve cet article rafraîchissant.
Pourriez-vous préciser quels pays n’appliquent pas de principe de prescription ? Car en Europe en tous cas ce principe semble être généralisé d’après le rapport du Sénat : « la grande majorité de nos partenaires de l’Union européenne admettent dans leur droit le principe de la prescription de l’action publique. »
http://www.senat.fr/rap/r06-338/r06-33812.html
Et pour que la démonstration sur les réductions de peines soit valable, il faudrait comparer les durées des peines réellement prononcées pour les mêmes délits/crimes entre les pays qui appliquent des réductions de peine et ceux qui n’en appliquent pas. Si les peines sont plus lourdes dans les premiers par exemple, cela revient au même au final.
Cet article, comme il fallait s’y attendre suscite le débat.
Il convient également de s’interroger sur le sens de la peine. Doit-elle avoir un effet dissuasif ou est-ce le seul moyen dont dispose la société pour se protéger des individus au comportement nuisible en les écartant ? Sans doute les deux. Rappelons également que les services de la pénitentiaire ont aussi une mission de réadaptation. Cela reste théorique.
Pour ce qui concerne la réduction de peine, il faut le comprendre en se mettant à la place des surveillants de prison. Ceux-ci doivent pouvoir disposer d’un moyen pour obtenir que les règles soient respectées à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire. En supposant que ces réductions n’existent pas il faudrait pour répondre à l’attente des « matons » leur accorder le pouvoir d’allonger la durée de détention. Mais ce serait leur permettre de se substituer à la Justice donc contraire à nos valeurs.
Bonsoir Joël,
Parfaitement d’accord avec votre propos quand vous énoncez que les matons ne peuvent se substituer à la Justice, car c’est effectivement contraire à notre socle. En revanche (et moi qui concluait à l’inutilité de la juridiction d’application des peines…) la sanction de la méconduite en incarcération pourrait parfaitement être du ressort de cette JAP si elle ne l’est pas déjà (…). Pour le reste il me semble que ce que décide une juridiction ne se transige pas : tout le quantum, pas moins, mais rien que le quantum (sauf méconduite soumise à l’appréciation de cette juridiction).
Respect pour vos propos Pierre,
Puisse la doctrine s’en inspirer et les corps judiciaire et législatif se renouveler, pour enfin revenir à une conception de la Justice garantissant un équilibre entre la faute qui doit être sanctionnée, et la peine qui doit être accomplie in integrum à mon sens (puisque prononcée par une juridiction statuant par représentation du Peuple). Toute autre conception n’est à mon sens que vaine dérive… et l’existence d’une juridiction de l’application des peines une pure ineptie intellectuelle, de même que les « remises » automatiques généreusement accordées par le taulier. Non : tu casses/tu paies; cela n’est susceptible ni de transaction ni d’accomodement ; je ne vois pas en quoi les principes présidant au Droit civil pourraient faire exception en Droit pénal puisqu’en toute chose il s’agit toujours in fine du fait de l’Homme.
Merci à vous pour cette courageuse et très iconoclaste publication.
Cordialement
Philippe
Explication: faiblesse de notre philosophie politique. Il faut tout comprendre , tout excuser, éviter de surcharger les prisons, penser à la famille de l’auteur du délit qui va subir les conséquences financières de son incarcération etc etc…
Une chose que j’aimerais savoir: comment se fait-il que certains multirécidivistes se trouvent encore en liberté ? Je me souviens d’un article de journal (parmi d’autres) qui indiquait qu’une personne alcoolisée et roulant à vitesse très excessive avait été interceptée et qu’elle comptait à son actif, d’innombrables infractions de ce type.