
Le refuge de Conangles (1555m), avec ses chambres individuelles, aura permis une bonne nuit « réparatrice », après les longues étapes des deux jours précédents. Il le fallait bien car celle du jour s’annonçait encore plus exigeante : le tracé du GPS annonçait 1745m de dénivelés grimpants et 18 kms à parcourir ! Objectif du jour : atteindre le Col de Molières (Coret de Mulleres) à 2928 m et descendre jusqu’au refuge de la Renclusa au pied de l’Aneto.
Cette étape nous fait quitter, le val d’Aran, pas tout à fait catalan même si intégré administrativement à la Catalogne, pour entrer en Aragon, une région bien espagnole celle-là. Le gardien de Conangles : « Si la Catalogne obtient l’indépendance, nous Aranais allons alors demander l’indépendance de la Catalogne… ». Quelle « auberge espagnole » que ce pays-là !
Ces considérations mises de côté, l’univers « Mulleres » (Molières) avec sa vallée, son gave, ses lacs, ses mines, son col et son Tuc (pic) attend de pied ferme « la mule et son intello », Connie et Jérome. Le départ se fait dans des estives à l’herbe haute et épaisse, extrêmement fleuries. Les troupeaux (2000 bêtes) doivent arriver dans quelques jours. Le printemps nous offre ce qu’il a de plus beau : Une profusion d’odeurs, de couleurs, d’insectes. On est le premier juillet !
La progression régulière, le long du gave de Mulleres, nous fait atteindre la forêt, la traverser pour enfin atteindre un premier lac. Il y en aura trois autres. Au fur et à mesure que nous montons, ils sont plus gelés et couverts de neige. Une neige bien tassée qui s’enfonce légèrement sous nos pas et facilite la montée. Avec un tel enneigement, il est difficile d’imaginer que l’on est en été. Au sud proche, à Lérida et Saragosse, les températures flirtent avec les 40°.
L’endroit est beau et très sauvage. Les crêtes, du cirque qui nous dominent, sont ciselées comme de la dentelle. La pente est de plus en plus raide. Elle atteindra les 45° sous le col qui est atteint par un passage d’escalade facile.
La longue montée pour le col, la concentration nécessaire pour traverser des névés recouvrant des éboulis de pierre – attention au pont de neige qui s’enfonce sous le poids du randonneur- , tout cela ne nous prépare pas au choc qui nous attend. A peine nos mains nous hissent au-dessus de la ligne de crête, effilée comme un lame de rasoir (enfin, presque…), à peine l’escalade finale terminée, alors que nous avions le nez collé à la pente, voilà que s’ouvre soudainement devant nous une vue grandiose vers le Massif de la Maladeta et l’Aneto (3404m), le seigneur des lieux. Un lever de rideau à vous couper le souffle. Un moment inattendu, magnifié par la concentration qui le précédait. Un grand souffle d’air nous frappe alors : 1500 m de dénivelés montants viennent de s’achever. L’esprit peut enfin se libérer.
Sous nous, vers l’ouest, les pentes ne sont que neige, rochers et gaves en cascades. Piolet à la main, nous faisons de la « ramasse » pour rejoindre la vallée qui est encore loin. A vouloir aller trop vite, à vouloir prendre des photos pour immortaliser ces lieux, ces instants de bonheur, l’intello en oublie -où ?- son appareil photo. A moins que cela ne soit la bandoulière qui se soit détachée ? Il remonte. Cherche dans la neige, les rochers, le long des gaves en furie. Rien n’y fait. De cette journée, l’intello n’aura pas de photos souvenir. Mais, tout est bien gravé dans sa tête. Quant à l’appareil, c’était un Fujifim X20. Un bon outil. Si vous le voyez , sous le Col de Mulleres, versant ouest…
Pour les étapes suivantes, l’intello en sera réduit à utiliser la fonction « photo » de son ipad-mini. Pas pratique à utiliser car, conservé dans le sac à dos, il faut chaque fois ouvrir celui-ci pour le sortir et prendre des photos qui au final « tiennent tout à fait la route ». Connie propose alors les photos, faites avec son portable, pour illustrer cette étape. Heureusement. D’ailleurs, ses photos compléteront aussi celles des étapes suivantes. Son œil voyant des détails différents, cet apport enrichit la « mule et l’intello ».
La descente reprend, avec un intello de bien mauvaise humeur. La mule le sent. Arrivé au plat d’Aigualluts, la fonte des glaciers de la Maladetta gonfle les gaves dans de telles proportions qu’il n’est pas possible de couper par l’ouest le plat et monter directement vers le refuge de la Renclusa. La mule, l’intello, Connie et Jérome sont contraints de descendre jusqu’au chemin qui mène de la Bersuta au refuge. Un détour, pas obligatoirement bienvenue, sauf qu’il passe par le Forau d’Aigualluts, le fameux Trou du Toro. Un caprice géologique rare d’un diamètre de 70 m et d’une profondeur de 40. A cet endroit s’engouffre, dans un vacarme assourdissant, l’eau qui descend de la Maladeta. Il y en a beaucoup ce jour-là. Il fait très chaud. Le fonte est rapide. Le lieu est étonnant à voir. L’eau réapparaît 4 kilomètres plus loin, dans le val d’Aran, à l’Uelhs deth Joeu (l’œil de Jupiter) et coule alors vers la France. La Garonne tient donc sa source en Espagne, sous l’Aneto. Tout ce territoire devrait être français, la ligne de séparation des eaux étant théoriquement la frontière entre la France et l’Espagne.
Après une remontée de 30 minutes, le refuge est atteint. Il est complet. C’est le point de départ pour l’Aneto. Ce soir, les « croquetas » seront excellentes et un calendrier de la Guardia Civil est affiché à l’accueil du refuge. La mule et ses trois compagnons viennent enfin d’entrer… en Espagne !
– par Bernard Boutin
Nota :
– Le verdict du GPS
J 26 Conangles – Refugio de la Renclusa : 3,3 k/h, 6h50 de marche, 11h06 de rando, 22 kms parcourus, 1818m de dénivelé positif
– * J 26 de la traversée des Pyrénées d’est en ouest de la « mule et l’intello ». Les précédentes étapes, c’est ICI
– Crédit photo : Connie Mayer et Patrick Gourinel (pour le panorama vu depuis le col de Mulleres)

Très beau et lumineux vallon sauvage qui mène au col des Mulleres, qui se prête parfaitement au ski de randonnée, malgré son apparente raideur depuis le refuge de Conangles. Le vallon Nord qui mène au col Alfred est également magnifique en hiver.
Ce coin est vraiment le coeur des Pyrénées.
Merci pour ce commentaire. C’est amusant. Mon prochain sujet est prêt et, sans parler de « coeur des Pyrénées », j’y mentionne cette impression d’être pour la première fois en « haute-montagne ». Je suis alors sur les faces sud et nord du col inférieur de la Litèrole. Le cirque du Portillon, avec ses glacier suspendus, cascades et 3000 qui l’entourent, m’a fait penser « haute-montagne » pour la première fois dans cette traversée d’est en ouest. Publication mardi ou mercredi.
Mais non, cet article n’est pas trop « technique » !
D’ailleurs, si les internautes souhaitent, entre autres, avoir des informations techniques, ils peuvent consulter plusieurs sites dont :
1) FFRP (Fédération Française de la Randonnée Pédestre) : http://www.ffrandonnee.fr/
2) Guide du Routard (Les plus belles randonnées de France) : http://www.routard.com/mag_dossiers/id_dm/147/les_plus_belles_ran
donnees_de_france.htm
3) Balades dans les Pyrénées : http://www.balades-pyrenees.com/
4) Béarn Pyrénéees – Pays basque (Randonnée) : http://randonnee.tourisme64.com/randonnee/
5) Les Topos Pyrénées Mariano : http://www.topopyrenees.com/
6) RandO RésO Pyrénéen : http://www.randoresopyreneen.fr/
C’est toujours avec délice que je lis le compte rendu de ces périples. La rivalité interne entre ces deux antagonistes n’empêche pas la progression et les découvertes.
Merci. Mais, je pense, malgré tout, que cela n’intéresse que peu de monde ! Un peu trop « technique ». Il me faut plus travailler les anecdotes « originales ». Mais, bon, je fais cela avec beaucoup de plaisir. En préparant les sujets, c’est comme si je retraversai une deuxième fois les Pyrénées depuis mon fauteuil, cette fois-çi…