L’Entente cordiale, ce n’est pas encore pour demain


GV 2016 02 23Sud Ouest, dimanche dernier, présente, sur deux grandes pages intitulées «Société», une exposition à la Cité des sciences et de l’industrie de Paris-la-Villette. Elle s’inscrit dans un cycle d’histoire culturelle ; Léonard de Vinci a débuté, Louis Pasteur est programmé pour l’an prochain, cette année, jusqu’au 31 août, c’est Charles Darwin. En pleine crise écologique, sociétale et culturelle, sa pensée continue d’irriguer la recherche scientifique mais a bien du mal à s’imposer dans notre société car elle révolutionne la façon de concevoir le fonctionnement du vivant et la place de l’homme.

En cette période de «duel» franco-anglais, évoqué par l’un de nos rédacteurs, il m’a paru intéressant d’en évoquer un autre, bien plus ancien, mais plus important, car si l’actuel se situe dans un même ambiance de pensée, l’autre mettait en jeu l’histoire du monde.

L’enseignement de la préhistoire et de l’histoire s’appuie surtout sur des repères technologiques : âge de la pierre taillée, polie, du fer….., ère industrielle…., ou politiques :  guerres, règnes, révolution, Empires, Républiques…
Cette démarche omet trois faits essentiels :

• L’évolution de l’humanité ne repose pas sur les seules innovations techniques ou politiques, mais sur les façons de comprendre le monde. Les idées donc !
• L’évolution n’est pas une histoire du passé ni encore moins une histoire passée ; elle est toujours en train de se faire.
• Il existe une analogie profonde entre l’évolution biologique et celle des systèmes socio-économiques.

Les entreprises, comme les espèces, n’échappent pas à ces mécanismes.

Des aspects environnementaux et anthropologiques : éthologiques, sociologiques, historiques et idéologiques, favorisent tel ou tel type de politique d’innovation.

Remontons au XVIII ème et XIX ème siècle. Prenant le relais de la pensée fixiste qui a dominé les comportements du passé, deux hommes vont être les représentants d’une théorie révolutionnaire : le transformisme. La notion d’évolution voit le jour. Le combat pour l’imposer sera rude ; d’ailleurs, il n’est pas encore achevé, même dans un pays aussi développé que les Etats-Unis !

Une bataille est gagnée, pas la guerre.

Entre ces deux hommes, les différences portent sur les «mécanismes» de l’évolution. L’un est plus ancré dans le XVIII ème : Lamarck, l’autre vers le XIX ème : Darwin.

Pour Lamarck, les ancêtres des girafes avaient le cou court ; pour continuer à se nourrir, de plus en plus haut, du feuillage des arbres, ils ont étiré le cou ; de génération en génération, le cou s’est allongé. L’idée a été reprise par certains pour expliquer qu’un grand singe s’est redressé, à l’orée de la forêt, pour voir au-dessus des hautes herbes !!

C’est l’hérédité des «caractères acquis» et de «la fonction crée l’organe».

Au niveau de l’économie humaine, imprégnée de cette vision, se situe l’innovation de type ingénieur : elle consiste à améliorer sans cesse des produits dans des filières bien établies : automobile, aéronautique, train, spatial, téléphonie, BTP, pétrochimie, Nouvelles Technologies,… C’est la recherche appliquée.

Pour Darwin, par contre, l’évolution du vivant se fait en deux temps :

• Le milieu vivant produit de la diversité, sans augurer de créations émergentes avantageuses, neutres ou désavantageuses.

C’est la recherche fondamentale de notre économie.

• Dans un second temps, la sélection retire, de cette réserve, les avantages, en fonction des nécessités fluctuantes du moment…

Les mutations et les recombinaisons génétiques de la reproduction sexuée, produisent, au hasard, une grande diversité ; l’environnement sélectionne ensuite, laissant, comme dans notre ADN dit «poubelle», de très nombreux caractères, neutres, mais riches d’innovations potentielles qui pourront servir un jour ( c’est le cas pour l’immunité). L’organe nouveau apparu est porteur d’une fonction nouvelle. Au niveau de certaines entreprises innovantes on organise des temps dits de «brainstorming» qui font naître des idées novatrices, bonnes ou mauvaises, à trier.

La France est le pays de Lamarck (et de Descartes !), pas de Darwin !

Le naturaliste Lamarck a d’abord été malmené par le fixiste Georges Cuvier et le conservatisme confessionnel de l’Empire suivi du retour de la Restauration.
Napoléon Bonaparte créa les grandes écoles. Nous avons ainsi hérité depuis deux siècles d’une double structure de l’enseignement supérieur : l’Université diffusait la Culture, et les grandes écoles la formation des élites au service de l’État et des grandes entreprises. Maintenant, devant la multi-polarité du monde, nos élites,  toujours éduquées selon une vision figée du monde, ne savent plus s’adapter.

Nous n’avons pas besoin d’une élite(lamarckisme) mais d’une diversité d’élites potentielles (darwinisme).

La dynamique lamarckienne est incontournable en France et en Allemagne, la dynamique darwinienne à des adeptes actifs aux Etats-Unis.

Pour Lamarck.

• Les lignées sont indépendantes et se développent en se perfectionnant isolément, l’évolution est verticale et par secteur.
• La croissance est fondée sur une disponibilité sans limite d’énergie et de matières premières (le cou de la girafe peut s’allonger indéfiniment en s’étirant).

C’est ainsi que fonctionnent les grandes administrations, les grandes entreprises. La culture de l’ingénieur est entièrement dédiée au perfectionnement de filières déjà existantes (les pôles d’excellence), avec de grandes réussites comme Airbus, le nucléaire ou les télécommunications. C’est un transfert de technologies et pas de l’innovation. Le développement des filières est concurrentiel, sectoriel, vertical. Améliorer sans cesse un record débouche toujours sur un gain de plus en plus réduit et coûteux(nucléaire). Le recyclage rapide dans une autre filière devient impossible.

Qu’y a-t-il de plus lamarckien que notre système d’enseignement ?

Il y a qu’une seule structure à laquelle l’élève doit se conformer ; gravir le plus vite possible l’escalier unique de la réussite(comme le cou de la girafe !). Si l’élève ne répond pas aux critères, ce n’est pas le système qui est en cause mais sa capacité à se caler sur une échelle préétablie des réussites ; s’il est en avance, c’est un génie ; s’il est en retard, il redouble ou est évacué dans des filières moins nobles, voire méprisées. Notre système scolaire est fondé sur une sélection par l’échec alors que chacun est porteur d’une «richesse» potentielle.

On se croyait des hommes, on est devenu des nombres.

Un changement de paradigme est nécessaire, passer du monde des chiffres au monde des idées, d’un modèle «mélioriste» à un modèle «conceptuel» créant de nouveaux marchés. On a besoin de créativité et d’innovation réelle : chercheurs, artistes, designers, littéraires….
Les entreprises les plus innovantes recourent plus à des capacités de réorganisation mettant en place les conditions de nouvelles émergences à partir de caractères ou de compétences déjà existantes, qu’à cette manie de perfectionner un modèle déjà existant par la seule recherche d’une meilleure productivité qui s’essouffle forcément.

Nous sommes devenus très intelligents non pas avec des neurones particuliers (qualitatif) ou un plus grand nombre(quantité), mais avec des  connexions en réseaux de plus en plus complexes. Au sein de ces réseaux, les parties ne sont pas en relation hiérarchique entre eux mais en relation dialectique.

En période de crise on préfère dégraisser les effectifs plutôt que de réorganiser. Si c’est «soutenable» pour les métiers de faible qualification, à condition d’y associer, à l’avance, une formation relais, c’est condamnable pour ceux qui exigent de hautes compétences.
On considère les ressources humaines comme des variables d’ajustement quantitatives (lamarckisme) plutôt que les ressources qualitatives de chaque individu susceptibles de proposer une autre structure (darwinisme)..
«Les entreprises innovantes comme 3M ou Google incitent leurs ingénieurs-chercheurs à faire ce qu’ils veulent entre 10 et 20% de leur temps» Pascal Picq.
Les idéologies productivistes lamarckiennes recherchent des solutions quantitatives, alors que tant de solutions qualitatives existent ; l’exemple le plus aberrant est celui des biocarburants ; on tente de développer la production agricole de plantes destinées à produire des hydrocarbures alors que les terres arables se réduisent et s’épuisent et que les manifestations de la faim se multiplient !

La culture entrepreneuriale en France accentue l’incompréhension et la paralysie entre les acteurs de l’entreprise ; les uns et les autres sont rangés dans des catégories bien séparées : l’employé, la cadre, le patron, l’actionnaire, suivant une échelle hiérarchique autoritaire. Or, les enjeux des entreprises reposent sur les capacités d’inventer de nouvelles interactions à partir de la diversité. L’entreprise devrait favoriser les personnes n’ayant pas la même vision du monde et ouvrir un champ d’échanges. Pour faire émerger l’innovation darwinienne, il faut savoir «perdre» du temps et installer des conditions de production d’idées. En France, on massacre la recherche fondamentale ; on ne trouve pas assez vite, c’est du gaspillage d’argent !

Ce n’est pas ce qu’elle coûte qui importe mais ce qu’elle rapporte !

Actuellement, séparer les compétences en recherche appliquée et en recherche fondamentale est une absurdité. Les ingénieurs sont plus efficaces dans l’innovation lamarckienne, les chercheurs dans l’innovation darwinienne.

La solution est d’investir d’abord dans le désordre créatif darwinien avant que n’entre en lice l’excellence lamarckienne.

Pour Pascal Picq (un paléoanthropologue dans l’entreprise) :
«L’avenir de notre pays réside autant dans nos «banlieues» qu’à «Normale Sup.» chez des jeunes capables de faire évoluer notre modèle plutôt que ceux sélectionnés pour perpétuer un modèle qui ne cesse d’accumuler des échecs. »

par Georges Vallet

crédits photos : colegioweb.com.br

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