« Il faut savoir arrêter une grève ! »


« Il faut savoir arrêter une grève ! », cette formule a été employée par Maurice Thorez, le secrétaire général du Parti Communiste, en 1936. C’étaient les accords de Matignon, les syndicats avaient obtenu la reconnaissance du droit syndical, l’institution de contrats collectifs de travail, de délégués du personnel ; la semaine de 40 heures, des congés payés de deux semaines, une augmentation de salaires de 7 à 15%. L’arrêt du mouvement n’avait pas été si facile et les dirigeants du PCF et de leur courroie de transmission, la CGT, avaient été contestés violemment sur leur gauche. Pour la petite histoire la formule a été reprise par Nicolas Sarkozy puis par François Hollande.

Elle s’applique désormais aux gilets jaunes. Il ne s’agit pas d’une de ces injonctions brutales de journalistes ou de commentateurs qui ne font que mettre de l’huile sur le feu et dont la légitimité a été bien écornée par le conflit. Il s’agit d’examiner les intérêts des uns et des autres. Le succès des Gilets Jaunes, est considérable, sur le plan quantitatif comme qualitatif. Qui aurait pu croire, au début du mouvement, qu’ils auraient pu obtenir l’annulation de la hausse du gas-oil et plus de 10 milliards d’aides concrètes notamment ces 100 euros qui mettront du beurre dans les épinards des plus démunis dans une période cruciale : noël ? Bien sûr on peut faire et plus et c’est le cas de nos voisins espagnols qui eux ont augmenté le SMIC de 22%. Mais la barre « taboue » des 3% de déficit du PIB sera dépassée et Bruxelles a promis de ne rien dire. Cela n’est pas rien ! Comme l’autocritique présidentielle n’est pas à prendre à la légère non plus.

Ce succès se concrétisera quand les barrages seront levés et que se seront tus les mots d’ordres irresponsables : ces appels à manifester dans un contexte dangereux et dramatique par ailleurs. On sait que ça n’est pas facile de se quitter. De rompre un lien social nouveau. Ces barbecues sympathiques. Ces thermos de café qui circulent. Ces amitiés nouvelles mais éphémères. Ces utopies passionnées. Il y a dans tout mouvement social, une dimension affective forte que l’on ne peut mesurer que si on l’a connue de l’intérieur. C’est dur de se quitter d’autant que certains, les plus actifs souvent, diront qu’il reste beaucoup à faire et que les objectifs n’ont pas été atteints. Dans ce cas, un repli n’est pas déshonorant, au contraire, au regard de ce qui a été acquis. Personne ou presque n’avait souhaité d’insurrections mais la satisfaction d’un certain nombre de revendications et un autre style de gouvernance. Dans le premier cas elles l’ont été, dans le second cas les gilets ont obtenu des promesses.

Seront-elles tenues, ces promesses ? Cela passe par une réponse politique et par un changement de gouvernement. Edouard Philippe incarne un style honni : celui d’une autorité technocratique ; droit dans ses bottes, fermé à la négociation, ressenti comme autiste. Il est entouré d’hommes et de femmes qui ne se sont guère distingués par leur empathie ; les députés la REM se montrant incapables de porter un message convaincant. Peut-être Philippe portait-il la pensée présidentielle… la Vème est ainsi faite que le premier ministre est une sorte de fusible qui parfois grille pour préserver le boss… Mais qui désormais ? C’est une question cruciale : quelqu’un de plus souple, de plus empathique ; avec autour de lui des ministres à l’écoute, modestes. Des noms circulent… pour certains ils ne sont pas très loin de chez nous.

Il y aura beaucoup à retenir de ce mouvement : sa rapide extension et sa diffusion horizontale qui met les organisations traditionnelles au rayon des objets superflus désormais : les syndicats sur lesquels on a durement frappé mais aussi les élus de base découragés, les associations attaquées dans leur financement –comme c’est le cas à Pau. Toutes ces « machines » à réguler les demandes, à refroidir les colères sont à reconstruire et ce ne sera pas rien. Elles sont indispensables.

La crédibilité journalistique en aura pris aussi un rude coup. La position de beaucoup d’entre eux, souvent proche de la gauche, hostiles au mouvement a surpris et dans l’ensemble ils ont été honnis par le mouvement. La surprise aussi est venue des « banlieues » qui, à part une infime minorité de casseurs, ne sont pas mêlées à cette protestation. Elles se sont tues, comme si elles n’étaient pas concernées alors qu’elles le sont objectivement et qu’elles peuvent être violentes ; elles l’ont montré par le passé. Leurs protestations seraient-elles devenues strictement endogènes ? Se situent-elles désormais dans un autre monde ?

Les anthropologues, les sociologues devront étudier le fonctionnement, le « mode opératoire », les conséquences « morales » d’un conflit unique dans l’histoire de France pour l’analyser et en prévenir d’autres de ce type. Car, à l’anathème la compréhension est préférable.

Pierre Vidal

 

Image: Le Cri d’Edvard Munch (photo dr)

13 commentaires sur « « Il faut savoir arrêter une grève ! » »

  1. Messieurs les censeurs, en 2022 qui voyez vous sauver la France, réduire les déficits, rembourser la dette d’Etat et des Sociétés d’Etat, créer des emplois, prendre des mesures qui satisferont tous les Français, augmenter le pouvoir d’achat de toutes les catégories sociales, lutter contre le réchauffement climatique, accueillir toute la misère du Tiers Monde. Comme disait notre Grand Charles « vaste programme »

  2. Et pendant ce temps on ne parle plus de la lutte contre le chômage (je vous rappelle le nombre de chômeurs en France : plus de 3 millions) l’augmentation du pouvoir d’achat c’est bien pour ceux qui ont du travail, mais pour les autres?La lutte contre le réchauffement climatique c’est bien aussi, mais je pense que ce n’est pas la priorité des chômeurs.

  3. «Il faut savoir arrêter une grève !»
    Elle s’applique désormais aux gilets jaunes»

    • C’est quand même bien différent car les gilets jaunes ne sont pas en grève; ceux qui travaillent se manifestent le samedi et le dimanche, les retraités et les sans emplois ne sont pas concernés par la grève.

    +La grève est organisée par les syndicats pour obtenir des résultats en faveur des salariés; les chômeurs et retraités, les emplois non salariés sont rarement accompagnés par les syndicats! Dans le cas présent cela n’a rien à voir.

    «Le succès des Gilets Jaunes, est considérable,…..Qui aurait pu croire…annulation de la hausse du gas-oil, et plus de 10 milliards d’aides concrètes notamment ces 100 euros»

    Je vous trouve bien optimiste; ne rentrons pas dans le détail des 10 milliards que vous affirmez mais restons simplement dans les exemples évoqués:les«annulations» et les 100 euros.
    +Il ne s’agit pas «d’annulation» mais de moratoire ou de gel, donc de suspension, mise en attente jusqu’en mars. C’est bien différent!
    La Tribune:
    «Le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé ce mardi 4 décembre un moratoire sur la hausse de la taxe sur les carburants, prévue le 1er janvier, ainsi que le gel des tarifs de l’électricité et du gaz, et du durcissement du contrôle technique automobile jusqu’au 15 mars 2019,»

    • En ce qui concerne les 100 euros:
      L’express:
      «Comme le rappelle France Info, la hausse de la prime d’activité allait s’échelonner comme suit : +30 euros en avril 2019, +20 euros en octobre 2020 et +20 euros en octobre 2021, soit un total de 70 euros qui, ajoutés à l’augmentation automatique du Smic prévue au 1er janvier prochain, atteint quasiment les 100 euros annoncés.
      Elle constitue un complément de salaire pour ceux qui sont rémunérés entre 0,5 et 1,2 Smic.»
      Je ne pense pas que tous les gilets jaunes en profiteront; les artisans, paysans, retraités, auto-entrepreneurs… et les salariés qui sont en dessous ou très peu au dessus du Smic, tant pis pour eux!

    Je me permets d’ajouter que le Président n’a absolument pas évoqué de mesures destinées à favoriser la transition énergétique, au contraire:
    La tribune:
    «La hausse du gazole pour les professionnels (GNR) également suspendue pendant six mois»
    Eux qui déjà:
    «Les entreprises de transport routier de marchandises et de transport en commun de voyageurs peuvent bénéficier, sur une base forfaitaire et sur demande de leur part, du remboursement partiel de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE), assise sur leur consommation réelle de gazole au cours d’un semestre, utilisée pour les besoins de leur activité professionnelle.»Service-Public.Pro.fr

  4. « Le succès des Gilets Jaunes, est considérable, sur le plan quantitatif comme qualitatif »…dit l’auteur du texte.
    Au delà de l’enthousiasme des formules….du « romantisme » de l’occupation des ronds points ou des péages, il faudra bien un jour que l’histoire se penche sur ces événements et aille au delà des mots et des formules, en se débarrassant de la gangue des réseaux sociaux pour aller à l’essentiel ; les faits, rien que les faits.
    L’avenir dira donc si c’est la mobilisation des GJ, très inférieure à celle des syndicats contre la loi « Travail », qui a fait plier le gouvernement ou bien le recours, involontaire je l’espère, à des bataillons de casseurs, aidés par des supplétifs issus des rangs des GJ.
    Pense t on vraiment que ce sont quelques milliers de manifestants se prenant pour le peuple qui ont emporté la décision ? ou plutôt des images à la limite du supportable faisant craindre le risque de pertes de vies humaines qui se seraient ajoutées aux dégâts inacceptable pour la démocratie ou ce qui en reste….
    Honte à ceux qui voient dans ce mouvement une avancée pour la démocratie alors qu’il en est la négation. Le démocratie ne reconnaît qu’une règle, la loi du nombre et le respect des autres. Les « Versaillais » de 1984, adversaires de l’école laïque n’avaient pas eu besoin d’accomplir des dégâts pour être entendus….leur nombre plaidait pour eux.
    Ici, faute de ce mouvement d’ensemble, on a eu la barbarie et la tyrannie de la violence. Tous ceux qui l’ont soutenue et qui la soutiennent auront un jour des comptes à rendre….ne serait ce qu’à leur propre conscience…

    1. Oui le succès des gilets jaunes est considérable. Tout le monde s’accorde à le dire sauf les extrémistes de gauche ou de droite qui soufflent sur les braises encore chaudes. Les Versaillais ce n’est pas ma tasse de thé. Je pense aux femmes venues à Versailles demander du pain au roi et qui ont obtenu de la brioche. Le combat contre la laïcité est un combat rétrograde. Nous avons tous besoin de plus de laïcité.

      1. Votre pirouette sur les Versaillais ne répond pas au fond de la remarque d’Esberit, qui est que les GJ n’ont pas obtenu des concessions par une mobilisation en nombre sur le terrain (il y a eu au mieux quelques dizaines de milliers de GJ actifs en même temps), mais par des actions coercitives voire violentes (même si ce’st une minorité qui est impliquée dans la violence) et la peur du pouvoir que ça dégénère. Ca ressemble en partie aux bonnets rouges qui avaient fait plier le précédent gouvernement à quelques milliers. Quelque part cela peut etre inquiétant.

  5. « Bien sûr on peut faire et plus et c’est le cas de nos voisins espagnols qui eux ont augmenté le SMIC de 22% »
    Chiche, faisons comme les espagnols, mettons le SMIC à 1050 euros brut …(sera fait en 2019)

  6. « Bien sûr on peut faire et plus et c’est le cas de nos voisins espagnols qui eux ont augmenté le SMIC de 22%. »
    Il faut quand même rappeler que le smic espagnol part de beaucoup + loin puisqu’il était de de 858.55 E brut par mois. Si on ajoute les 22%, on arrive à 1047.43 E.

    « La crédibilité journalistique en aura pris aussi un rude coup. La position de beaucoup d’entre eux, souvent proche de la gauche, hostiles au mouvement a surpris et dans l’ensemble ils ont été honnis par le mouvement »
    Oui,mais beaucoup de gilets jaunes ont cru sérieusement au fakenews selon lesquelles le barbare de Strasbourg serait un « sbire » du gouvernement et/ou une manœuvre pour lui pour détourner l’attention des gilets jaunes.

    Donc si cela à pu ébranler les pseudos journalistes de gauche (un vrai journaliste ne devrait pas faire son métier en fonction de ses convictions), tant mieux mais attention à la « fesse du book », où il y a tout et n’importe quoi ! Donc crédibilités ?

    1.  » (un vrai journaliste ne devrait pas faire son métier en fonction de ses convictions) » Il me semblait, avant de lire cette sentence définitive, que tout personne est supposée avoir des convictions, mieux, des valeurs qui en font sa personnalité. Pour vous rassurer, bientôt les journalistes s’appelleront IA1, IA2,…IA99999, issus de l’intelligence artificielle des robots alimentés aux algorithmes de Facebook. Et vous n’aurez plus à vous plaindre des journalistes « engagés », ils seront relégués à créer leurs blogs…

      1. Merci de vos commentaires. Je souhaite qu’ils demeurent « bienveillants ».
        Que voulez-vous dire dans l’ensemble: que les Gilets Jaunes n’ont rien obtenu? Il faudrait donc qu’ils continuent leur mouvement. Que cette nouvelle forme d’action est contestable? Ce n’est pas ce que j’ai entendu de la part du Président Macron. Qu’elle menace les fondements de la république comme le pensent un certain nombre de journalistes de bonne foi et souvent de gauche ? La montée du Rassemblement National dans les sondages sur laquelle ils appuient leurs assertions en serait la preuve, mais est-elle le résultat de la politique de Macron ou de celle l’action des gilets?

      2. Je crois qu’un journaliste doit faire son métier en fonction de ses convictions: écouter, comprendre et restituer le plus honnêtement possibles les points de vue divergents. L’ouverture d’esprit et l’amour de l’autre ce sont les clés de ce métier.

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