Sur le Chemin de Saint-Jacques (II): arrivée à Compostelle


IMG_20190501_121148.jpg« Il n’y a pas de chemin qui mène au bonheur, le bonheur est le chemin. »

Bouddha

 

Cette année ce fut pour moi le tronçon final, celui qui mène du petit village noyé dans la brume du col d’O Cebreiro à Santiago de Compostelle, but de l’itinérance, à travers les vertes collines de la Gallice. C’est une splendeur que cette excroissance celtique dans l’Espagne que l’on imagine uniquement aride voir déserte. Ici tout est douceur et tempérance : une splendeur sous le soleil tiède que ces près d’un vert tendre piquetés de fleurs de champs jaunes, violettes, roses et bleues surtout. Les chemins creusés par une longue cohorte de pèlerins et par le ruissellement de l’eau partout présente, sont bordés de camélias blancs et rouges sang, de genets jaunes et blancs, on y prend à pleine mains des touffes d’aneth et de fenouil parfois aussi d’odorante citronnelle. Pour qui sait entendre c’est une volière : les merles, les grives, les alouettes, les hirondelles, les palombes chantent leurs refrains mais aussi, planant en silence, les autours dessinent leurs cercles dans le ciel.

Bientôt nous entrerons dans de magnifiques forêts de chênes, de pins et surtout d’immenses bois d’eucalyptus bien rangés qui parfument l’air pur. C’est une nature magique, un paysage virgilien que l’homme abandonne progressivement, car les villages traversés sont désertés désormais et les austères et solides églises romanes désormais fermées pour la plupart. Le retour au monde moderne, ne se fera que plus tard dans la vallée, en vue des campaniles de la cathédrale de Saint-Jacques.

Il faudrait être anthropologue pour cerner les motivations du flot toujours plus nombreux de « pèlerins » : à Orzua, deux étapes avant Santiago, on en recense aujourd’hui plus de 3000 par jour. Ils seront plus nombreux encore dans le cours de la saison, nous dit-on… Qui sont-ils, donc ? Ils viennent du monde entier : Brésil, Indonésie, Etats-Unis, Canada, Porto-Rico, Hollande, Italie, lointaines Canaries aussi pour ceux que j’ai pu aborder. Il y a ensuite de nombreux Français et une masse importante d’Espagnols venus de toute la Péninsule. L’ensemble est jeune, parfois très jeune –moins de 18 ans- et s’il fallait donner une moyenne d’âge nous dirions, à vue de nez, entre trente et quarante ans.

Leurs motivations ? Religieuses pour certains mais ils sont peu nombreux. Les messes proposées sur le parcours ont une assistance restreinte si on le compare à la densité des voyageurs. Sportives pour une bonne part d’excellents marcheurs entraînés et équipés et pour les cyclistes qui sont de plus en plus nombreux. La motivation première ? L’amour de la découverte d’un paysage nouveau, d’un autre style de vie –l’itinérance-, la confrontation avec l’effort corporel et le simple goût d’une aventure sans risques majeurs. Il y a une sorte de laïcisation de cette expérience millénaire.

Ainsi de jeunes espagnols, dévalent le chemin en bande joyeuse pour sceller leur amitié à la fin d’un cycle d’études. D’autres le font en solitaire, mais ils ne le restent pas longtemps seuls et les motivations de tous sont réellement altruistes, réconfortantes sur la nature de la jeune génération qui aspire –elle le montre ici- à autre chose qu’à vivre enfermée dans des bureaux où à accumuler richesse et pouvoir. Le téléphone est rare sur le chemin comme le sont les écouteurs. C’est un retour de longue haleine -pour certains deux mois de marche- aux valeurs de la vraie vie.

Mais la vraie vie n’est pas un long fleuve tranquille. Les marchands du temple sont là et bien que discrets encore, ils se positionnent sur les bords de la voie –longtemps sacrée- pour harponner le chaland. On vend de tout. On propose tout type d’hébergements. Comme Barrés le disait de Lourdes c’est « une pluie de richesse » qui s’abat sur cette région isolée. Une aubaine dont on ne saurait se priver.

L’asphalte gagne sur la terre et une grande partie de l’itinéraire emprunte des routes où circulent voitures, camions et tracteurs sans beaucoup d’égards pour les marcheurs. Pas de rails de sécurité ; pas de passerelles piétonnes ni même de feu pour traverser les voies les plus empruntées. Et, surtout, de très nombreux cyclistes qui dévalent les pentes à fond slalomant entre les piétons, groupes compacts quand le chemin devient étroits sans règles ni précautions. A cela s’ajoute des incivilités nouvelles : on signale des vols, du trafic de cannabis. Faudra-t-il instaurer une police du chemin ? La croissance exponentielle des marcheurs depuis que le Chemin a été décrété Patrimoine Mondial de l’Humanité en 2002, obligera à prendre des mesures et le parcours perdra en authenticité. Il a déjà beaucoup perdu selon les plus anciens…

L’arbre ne doit pas cacher la forêt : on est si fier, si heureux d’arriver sur l’esplanade de Saint Jacques après les chutes, les crampes, les ampoules, les envies de tout laisser tomber, que, oui, sans aucun doute cela vaut la peine…

Pierre Michel Vidal

 

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