Une partie des gilets jaunes va rester, déterminée. C’est son affaire, dans la mesure où elle n’occasionne pas de gêne pour le pays (mais est-ce possible : rien que le tourisme et l’image de la France vont se trouver marqués pour une longue période). Penchons-nous ici sur des catégories de Français qui ont été abandonnées au bord de la route. Faut-il les oublier ?
Ces Français sont nombreux et ce sont les plus faibles de notre société : les travailleurs qui gagnent moins que le smic parce que leur emploi est précaire ou intermittent, les retraités qui voient leur retraite revalorisée de 0,3% alors que l’inflation est à 2,3%, les fonctionnaires qui subissent aussi une érosion de leur pouvoir d’achat. Les agriculteurs forment aussi une catégorie professionnelle de plus en plus déclassée, au moins pour ceux qui ne se sont pas tournés vers une production industrielle.
Les mesures annoncées par M. Macron ne sont pas vides, mais elles ne peuvent répondre à la colère qui s’est manifestée. Des gestes d’apaisement auraient dû être faits, et bien plus tôt. Le principal aurait dû consister à donner la totalité de la taxe carbone à la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution. Mais il est des gestes de moindre portée qui auraient eu un impact. Par exemple, pour calmer la grogne contre les amendes infligées par les radars. Si la revendication n’est guère mise en avant, la mise hors service de la moitié des radars est éloquente (et 95% dans le Puy de Dôme tandis que le Cantal n’en dispose plus que d’un !). Un geste de mansuétude limité aux excès de vitesse compris entre 80kmh et 90kmh pour la période de juillet à décembre 2018 ne pourrait être interprété comme un abandon de l’objectif de réduction de la mortalité routière. Il serait apprécié comme une mesure de compréhension pour une adaptation difficile. Je précise que je ne préconise pas cette mesure pour des raisons personnelles car je ne crois pas être dans le cas évoqué.
Une autre mesure d’ordre psychologique concerne le sentiment d’injustice face aux grandes disparités de revenus. Il n’a pas été calmé car les tranches de la population les plus aisées sont restées épargnées par la bourrasque. Une taxation des recettes des entreprises qui croîtrait avec la proportion des bénéfices versés en dividendes aurait calmé le jeu et aurait rapporté plus que le rétablissement de l’ISF puisque 51 milliards de dividendes ont été versés l’an passé. A l’inverse, un bonus pourrait être accordé aux entreprises qui embauchent ; les finances publiques s’y retrouveraient, les indemnités pour le chômage se trouvant allégées. A cet égard, la transformation du CICE en baisse de charge pérenne n’est pas cohérente avec la volonté affichée d’évaluer les résultats des réformes entreprises.
Quant à la défiscalisation des heures supplémentaires, elle est non seulement nuisible pour le budget de la nation, mais aussi nuisible pour l’emploi, car le recours massif aux heures supplémentaires peut faire obstacle au recrutement. Seules certaines branches soumises à des aléas devraient bénéficier d’un tel allègement.
Je n’ai pas reçu de contradiction à l’idée que j’ai lancée de jouer sur l’année blanche en 2018. Un report de l’application de la retenue à la source permettrait pourtant une taxation normale des revenus financiers pour 2018 au lieu d’une taxation réduite qui peut être choquante pour les contribuables qui paient leur part entière. Mais, pour être honnête, je dois reconnaître que les revenus financiers seront taxés deux fois en 2019. Pourquoi cela n’a-t-il pas été objecté à ceux qui exigent que l’on fasse payer les riches ? Décidément, la communication de l’exécutif n’est pas au point. Et malheureusement, il n’y a pas que la communication. Il y a aussi l’attention et la direction. Admettons que c’est difficile lorsque l’on n’a pas eu soi-même l’expérience de « manger de la vache enragée » et que l’on doit traiter des problèmes des nations. Mais c’est pour cela qu’il n’aurait pas fallu gouverner seul et repousser les offres de dialogue.
Jean-Paul Penot
PS On pourra lire avec profit l’entretien du sociologue Alexis Spire dans Télérama du 15 au 21 décembre.et le livre de Nicolas Delalande « Les batailles de l’impôt. Consentement et résistance de 1789 à nos jours (éd. Le Seuil).