La réouverture controversée de la voie ferrée entre Oloron et Bedous à l’été 2016 et la frustration évoquée par les maires de la vallée face aux aménagements attendus de la RN134, ont relancé le sempiternel débat qui rebondit depuis des décennies dans cette vallée.
Dans cet échange nourri, passionné et parfois virulent qui anime sans fin les blogs de la presse locale dès qu’elle traite l’un ou l’autre des sujets, s’opposent inlassablement, selon l’image que chaque clan a de l’autre, les affreux tenants du tout camion et les idéalistes du rail dépositaires autoproclamés des vertus du développement durable.
Dans ce domaine comme dans d’autres la caricature est trompeuse et la confusion mauvaise conseillère. Poser le débat en décidant que rail et route sont par définition incompatibles et exclusifs l’un de l’autre, ne peut conduire qu’au contre sens et au dialogue de sourds.
La question aujourd’hui en vallée d’Aspe n’est pas dans le schéma réducteur et stupide du « tout pour le camion, rien pour le wagon », ou de son inverse.
Personne ne conteste bien sûr l’impérieuse nécessité d’un transfert modal massif de la route au rail dans les flux de marchandises longue distance et notamment dans les échanges transpyrénéens.
La vraie question est donc de savoir
- si la réouverture de la voie ferrée internationale est ou non susceptible d’amener une contribution autre que symbolique à cet objectif de transfert modal pour un coût raisonnable,
- et si, à supposer que ce soit le cas, le train soulagerait significativement la RN 134 de son trafic poids lourds.
Les limites de l’espoir ferroviaire
Alors que tout le monde admet que le bus opérant la liaison Oloron Canfranc répondait très largement au besoin des très rares voyageurs concernés, démonstration est déjà faite que le rétablissement du train pour 24 voyageurs par jour en gare de Bedous en 2016 (1) au prix d’un coût et d’un déficit exorbitants n’a, isolément, aucun sens.
Mais peu importe, répètent à l’envie le Président de la Région et les militants du rail, puisque c’est l’amorce indispensable à la réouverture complète de la ligne internationale jusqu’à Canfranc.
Faut il ainsi admettre la pertinence de « Pau-Canfranc » comme une vérité révélée, un postulat de droit divin, qui emporterait une adhésion aveugle ?
Un minimum de lucidité et d’esprit critique doit plutôt conduire à juger sur pièce comme l’avait pragmatiquement suggéré la Commission d’enquête publique dans son avis défavorable (2) : elle préconisait logiquement de vérifier la justification socio-économique de ce projet global avant d’engager 100 M€ pour une amorce sans intérêt.
Car, contrairement à ce qui est affirmé ici ou là de façon péremptoire, cette justification n’est pas à ce jour établie. Le fait qu’elle n’ait jamais pu être l’être par les promoteurs de Pau-Canfranc en plus de 40 ans de mobilisation et d’études coûteuses, prouve si besoin est que la démonstration est tout sauf évidente.
La difficulté de cette démonstration réside très certainement dans le constat somme toute banal du double handicap de cette ligne emblématique.
Le premier, le plus déterminant, transcende le contexte et la passion des débats locaux : il tient à la situation objective du marché du fret ferroviaire qui ne peut aujourd’hui soutenir la concurrence de la route. En témoigne sa baisse ancienne et régulière que les acteurs peinent pour le moins à enrayer.
Les raisons, pour regrettables qu’elles soient, sont bien connues et nombreuses. Elles recèlent des enjeux complexes de compétitivité qui échappent malheureusement aux leviers locaux voire même nationaux : sujétions techniques (accès et branchements, massification des convois, réactivité et souplesse des délais), ouverture à la concurrence, disparité salariales, sociales ou de taxation entre les modes concurrents.
Il y a là une réalité incontournable, à laquelle la liaison Pau-Canfranc ne peut se soustraire par on ne sait quel miracle local.
Le second handicap, presque subsidiaire, mais qui accentue les effets du premier, tient aux caractéristiques montagnardes du tracé en plan et en rampe et à la contrainte de la voie unique. A supposer en outre réglée la difficulté d’écartement différent des rails français et espagnols, ces spécificités sans être rédhibitoires constituent, sauf aveuglement dans l’analyse, autant de facteurs limitants de l’efficacité technique et économique et donc du potentiel de cette ligne.
Il faut enfin considérer qu’en l’état du réseau actuel, des marges importantes de capacité restent inutilisées aujourd’hui par le fret sur les grands corridors ferroviaires des seuils basque et catalan .
La dernière étude en date (2015) du cabinet Rail-Concept que la Région a été récemment contrainte de rendre publique confirme malheureusement ces perspectives. Elle montre en effet :
- que malgré un scénario et un montage explorant tous les leviers d’optimisation et de rationalisation susceptibles de dynamiser l’économie générale et l’efficacité du projet de réouverture de la liaison , le bilan socio-économique des avantages attendus est loin de compenser les investissements à consentir.
- que le gain attendu en termes de transfert modal de la route au rail (660 à 860 000 tonnes/an selon les hypothèses) reste symbolique en regard du volume du fret routier transpyrénéen (88 millions de tonnes/an)
- que de surcroît, l’économie générale de ce projet, fût elle optimisée par la performance attendue de la gestion privée, n’évitera pas un lourd déficit annuel du service ferroviaire évalué chiffré entre 18 et 25 M€/an.
- que les hypothèses de couverture de ce déficit par des recettes improbables (péage du tunnel routier) ou pour le moins hasardeuses (activités touristiques ou commerciale connexes) laissent peser un risque majeur de couverture quasi totale de ce déficit par les collectivités publiques.
La prétendue suppression des poids lourds sur la RN134
Un autre raccourci trompeur, mais malheureusement répandu, consiste à considérer qu’une voie ferrée accessible au fret en vallée d’Aspe capterait ipso facto le chargement des camions empruntant aujourd’hui la RN 134, réglant ainsi du même coup les problèmes d’insécurité et de nuisances subies par les populations riveraines des agglomérations et villages traversés.
C’est en premier lieu faire abusivement abstraction du tonnage purement local des activités économiques d’Oloron, du piémont et de la vallée qui emprunte la RN134 et qui bien sûr ne sera jamais transféré sur le rail : selon les comptages 2016 de la DIR Atlantique, sur les 489 PL traversant Asasp, seuls 296 (60%) traversent la frontière.
Par ailleurs, la nature du fret, sa saisonnalité, son conditionnement, la possibilité de massifier ou non les convois, le poids du coût de transport dans celui du produit, les ruptures de charge au départ et à l’arrivée, la distance de transport sont autant de questions déterminantes pour conditionner un éventuel transfert possible sur le rail.
Mais une chose est sure : ce transfert est loin d’être total.
L’étude de Rail-Concept récemment dévoilée par la Région apporte aussi un éclairage utile sur cette question.
On y relève notamment :
- que le marché potentiel du fret ferroviaire en vallée d’Aspe se limite logiquement aux flux générés par l’Aragon (environ 4 millions de tonnes) qui représentent moins de 5% des échanges terrestres avec la péninsule ibérique,
- que la RN134 n’ achemine aujourd’hui que 1,3% du fret routier transpyrénéen et un quart du fret routier généré par l’Aragon,
- qu’en dehors de l’hypothèse fantaisiste d’une écotaxe réhabilitée localement en vallée d’Aspe pour pénaliser le transport routier, le fret ferroviaire escompté serait de 820 000 tonnes dont 20% serait un simple transfert des flux ferroviaires et 80% (660 000 T) seraient transférés des flux routiers;
En imputant ce transfert aux seules traversées routières centrales (par le Somport et par Vielha) en proportion des tonnages qu’elles acheminent de et vers l’Aragon, c’est environ 440 000 tonnes/an (sur 1 154 000 tonnes/an) qui basculeraient de la route au rail en vallée d’Aspe soit 93 poids lourds en moyenne journalière
Ceci ne représente donc qu’un tiers des 300 PL/j qui franchissent la frontière et moins de 20% de ceux qui gâchent la vie des habitants d’Asasp.
L’existence d’un trafic routier de marchandises sur cet axe routier est donc une réalité durable et ce, quoi qu’il advienne de la réhabilitation de la voie ferrée et de son éventuel succès.
En conclusion, il n’est bien sûr pas question d’insulter l’avenir et le jour viendra peut être où le contexte rendra pertinent et nécessaire la mise en œuvre d’un tel projet .
Mais à l’heure ou l’argent public est rare et où la rigueur et la rationalité s’impose plus que jamais dans l’arbitrage des priorités d’investissement, n’ y a t’ il pas plus pertinent, efficace et urgent à faire dans la promotion et le développement du fret ferroviaire ?
G. Manaut
Association CROC
(1) Source : SNCF data
(2) Avis de la commission d’enquête sur la DUP d’OLoron-Bedous
Documents joints :
Jugement du tribunal administratif de Bordeaux pour la communication de l’étude de rentabilité
Etude de rentabilité – Phase 1
Etude rentabilité – Phase 2
Communiqué – Analyse de l’association CROC
Crédit photo : Créloc