Francis Jammes ou l’inconscient du Béarn (1) :
Francis Jammes n’est pas un habitant du Béarn mais un habitant des Basses-Pyrénées.
Un gascon (avec toute l’ambiguïté attachée à ce terme) sans doute, aussi, qui vécut dans son adolescence à Bordeaux. Un habitant des Pyrénées occidentales, des pays de l’Adour dira-t-on plus tard puisqu’il est né à Tournay dans le département des hautes-Pyrénées, sans que sa composante proprement béarnaise ne soit, par lui, mise en avant.
Pour cela, monsieur PYC, n’écoutant que son courage et en violentant sa timidité se déplace depuis Oloron jusqu’à Orthez ; d’une sous-préfecture béarnaise à une autre. Ceci par le chemin de fer qui trace sa route au milieu des seringas et des acacias qui blanchissent de leurs lourdes hampes florales les talus comme une seconde couche neigeuse. Cette grosse machine fumante et salissante l’effraie quelque peu. En premiers jours du printemps béarnais de 1924 avec un carnet de notes spécialement préparé il s’en est allé voir le grand poète reconnu désormais dans la France entière et bien au delà. Un poète illustre qui fréquente Claudel, Gide, Alexis Léger dit Saint-John-Perse, Jules Supervielle… entre autres. Comme un aimable oncle rustique et délicat, mais un peu gauche, retiré dans ses marches pyrénéennes.
PYC : Bonjour, monsieur Jammes qui êtes-vous ?
FJ : Feu monsieur mon père, mon si sérieux et cher papa, était conservateur des hypothèques dans ce joli département bordé de roses de montagnes et de rêves que je n’ai jamais quitté. Sauf, quelque temps, pour séjourner à Bordeaux où mon pauvre père, qui avait parfois la nuque un peu raide, avait été nommé après une disponibilité un peu forcée.
PYC : Une nuque raidie par ses attaches protestantes ?
FJ : On peut le penser…
Je suis né à Tournay dans les hautes-Pyrénées voisines d’où, enfant, je visitais ma grand-mère à PAU via les chemin de fer de la compagnie du midi depuis la ligne sublime qui court depuis Toulouse entre gaves sauvages et hautes montagnes si longtemps enneigées.
J’ai fréquenté les petites écoles et les pensions de village notamment à Saint-Palais. Je suis allé au prestigieux lycée de Pau et à celui de Bordeaux où, piètre élève, sauf en littérature et en botanique j’ai beaucoup souffert de l’enfermement qui ne convenait pas à ma fantaisie naturelle.
Même le bachot n’a pas voulu de moi.
Encore que mon pauvre père m’aurait bien vu polytechnicien. A la rigueur sous-préfet ou apothicaire (dernière fonction qui ne m’aurait pas déplu).
PYC ; Jammes ? Un rat des villes un rat des champs ?
FJ : Fondamentalement je suis un garçon de la campagne principalement des eaux et des bois, un peu à la mode de Jean de la Fontaine qui fut maître des eaux et forêts dans ce grand nord français qui commence une fois passée l’Adour. Ma sensibilité s’est forgée dans les petites cités et les villages alentours où mon père a été nommé et où réside ma famille.
PYC : Quelles villes, quels bourgs ?
FJ : Assat, Saint-Palais, Orthez et Hasparren.
PYC : Et vos autres occupations en dehors de la poésie ?
FJ : La chasse presque comme une obsession ; singulièrement celle, si subtile, de la bécasse.
La botanique aux travers des herbiers dans lesquels, depuis les collines de Magret et de Sainte-Suzanne, j’épaissis de lourds herbiers comme Jean-Jaques Rousseau en son temps. Par dessus tout les fleurs les plus humbles comme les véroniques (veronica officialis), les iris des marais ou les papavéracées : rouges dans la plaine jaunes dans nos Pyrénées si élevées.
Et, bien sûr, toujours les rosacées depuis l’aubépine jusqu’à celles cultivées dans les vastes propriétés tenues par les aristocrates irlandais ou anglais qui hivernent sur les coteaux de Pau.
Par dessus tout, les pivoines tellement féminines et odorantes sublimes et douces comme les gorges de nos jeunes filles qui émergent obstinément de mes souvenirs.
PYC : les jeunes filles ou les pivoines ?
FJ : je vous laisse juge.
PYC : Je choisirai en vous citant :
Tu me mèneras sur ce petit chemin.
Tu ne seras pas nue, mais, ô ma rose,
Ton col chaste fleurira dans ton corsage mauve.
Nous ne nous baiserons même pas au front.
Mais, la main dans la main, le long des fraîches ronces
Où la grise araignée file des arcs-en-ciel,
Nous ferons un silence aussi doux que du miel ;
FJ : Si vous voulez.
PYC : A ce propos peut-on qualifier votre poésie de géorgique ou de dionysiaque comme on l’entend dans les cercles cultivés à Bordeaux et à Paris ?
FJ : Pourquoi pas. Encore que la foi catholique, celle des femmes de ma famille, illumine ma vie et mes écrits. Mais une religion que l’on pourrait qualifier de franciscaine : ouverte aux pauvres et aux animaux comme ultimes valeurs. Aux chapelles des campagnes plus qu’aux immensités écrasantes des cathédrales.
PYC : Et la place des animaux dans votre sensibilité et dans votre poésie ?
FJ : Dans le prolongement de mon amour pour la botanique, un grand intérêt pour les insectes qui vivent en symbiose avec les plantes surtout les coléoptères bleus de feu ou couverts d’azur .
Tous les insectes pollinisateurs qui, pour moi sont l’image même de la création et des puissances divines : la semence des dieux, celle des mythes chrétiens ou helléniques… franciscains et orphiques…
Un grand intérêt pour la faune fourmillante des eaux comme les si aimables reinettes à la verdeur absolue et les anguilles que, enfant, je pêchais à la nasse dans les eaux de Saint-Palais. Ces anguilles, revenues des Amériques, que cachoucha (caxuxa?) notre servante basquaise, qui ne parlait pas un mot de chrétien, cuisinait de piments d’Espelette. Voire de quelques piments rouges dont certains vous explosent les papilles et peuvent vous laisser au bord de la pâmoison.
PYC : Une attention particulière à nos animaux paysans comme les ânes et les abeilles ?
J’aime l’âne si doux
Marchant le long des houx.
Il prend garde aux abeilles
Et bouge ses oreilles ;
FJ : Exactement monsieur PYC, je vois que vous avez révisé avant de me visiter. Ou que vous appartenez encore à cette génération en train de disparaître à la mémoire constellée de vers.
PYC : Si je comprends bien monsieur Jammes vous êtes un vrai Béarnais ?
PJ : Non, je suis un habitant de ce singulier département des Basses-Pyrénées aussi Basques que Béarnaises aussi parpaillotes que catholiques dont beaucoup de familles, dont la mienne, émargent aux deux ethnies, aux deux religions. Même si ma véritable patrie est celle des poètes et se glisse au fond des eaux et dans l’odeur, à jamais insurpassable, des foins coupés.
PYC : Un Pays, aussi, d’esprits forts, de bouffeurs de curés, et de francs-maçons
FJ : Oui je dois en convenir ; d’ailleurs dans les milieux de l’administration où travaillait mon père on trouvait, beaucoup ce mouvement de pensée… Mais je dirais que la modération est la vraie substance de l’inconscient béarnais que pour ma part j’attribuerais au substrat protestant et à la douceur de vivre. Sauf peut-être dans les vallées sauvages au dessus de votre pays Oloronais. Orthez, à cet égard, est très représentatif de cet état de choses.
PYC : Vous êtes, monsieur Jammes, au moins, un vrai Gascon ?
FJ : Sans doute mais une sorte de Gascon dionysiaque et parfois un peu mélancolique, mais un Gascon plein de retenue infiniment éloigné des provençaux, voire même des Languedociens, auxquels nous amalgament sottement nos compatriotes venus du nord.
PYC : Comme beaucoup de Pyrénéens vous avez de très fortes attaches ultramarines.
FJ : Tout à fait : je suis un Gascon de sang créole. Mon père venait des Antilles qui, comme les Amériques plus spécialement latines, font partie de l’horizon de la population des Basses-Pyrénées.
PYC : Comme vos collègues poètes Jules Supervielle, le grand poète né à Montevideo, enterré à Oloron et monsieur Saint- John-Perse.
FJ : Vous voulez dire comme mes amis très proches qui me visitent souvent même si leur inspiration est plus voyageuse et plus éthérée, moins bucolique certainement.
PYC : A ce propos monsieur Jammes, je résiste difficilement à citer à nos lecteurs ce texte datant de 1894 où transparaît cette sensualité ultramarine qui coule dans vos veines :
8 juillet 1894,
Dimanche, Sainte Virginie
LE CALENDRIER.
C’est aujourd’hui la fête de Virginie…
Tu étais nue sous ta robe de mousseline.
Tu mangeais de gros fruits au goût de Mozambique,
Et la mer salée couvrait les crabes creux et gris.
Ta chair était pareille à celle des cocos.
Les marchands te portaient des pagnes couleur d’air
Et des mouchoirs de tête à carreaux jaune-clair.
Labourdonnais signait des papiers d’amiraux.
FJ : Évidemment monsieur PYC vous qui me semblez avoir quelques lettres vous avez reconnu une allusion transparente à Bernardin de Saint-Pierre.
Par ailleurs, cher monsieur, qui avez travaillé à la commune d’Orthez dans les années 80 du dernier siècle et qui venez d’un autre Béarn que le mien celui du piémont et de la haute montagne ne pourriez-vous pas citer quelques vers de votre cru ? Je me suis laissé dire que vous taquinez non seulement le goujon mais aussi la muse..
PYC : Oui mais alors doucement…
Alors passer le pont , passer les ponts , se noyer dans le gave….se gaver de noyades juste pour trouver des jupons auxquels se raccrocher .
Il doit rester des lavandières et des pêcheurs d’azur.
FJ : Lautréamont, Supervielle ; Léon-Paul Fargues un autre style que le mien… Une veine pyrénéenne venue de Montevideo plus aqueuse et moins solaire… mais pas du tout exempte de sensualité…
PYC : Si vous le dîtes !
Propos recueillis en cette veille pascale le 19 avril 1924 à Orthez pour la Gazette Alternative des Basses Pyrénées.
par Pierre-Yves Couderc
(1) Une nouvelle enquête inédite du professeur PYC président à vie de l’académie des belles lettres du Haut-Béarn et de la Soule méridionale.