Jean Lassalle continue son tour de France. Après avoir parcouru à pied 3.600 kilomètres, il est maintenant à Aurillac. Si quelques uns ont pu sourire au début de son initiative, le député, « représentant du peuple souverain qui aujourd’hui, ne se sent plus souverain de rien », mesure chaque jour plus le désarroi des Français. L’homme mûrit. L’homme entre peu à peu « en résistance dont on sait quand cela démarre, mais pas comment cela se termine… ».
Un entretien, long et passionnant, avec un politique qui prend le temps de l’écoute auprès du peuple comme de ses élites locales. Qu’en sortira-t-il ? Nul ne le sait. En attendant, le site du député reçoit, jour après jour, toujours plus de « cahiers de l’espoir », version moderne des « cahiers de doléances » des années pré-révolutionnaires. Principaux griefs de nos concitoyens : la « financiarisation » du monde et la dette, l’Europe, la déliquescence de l’Etat et l’éducation.
Jean Lassalle n’est pas pressé d’achever son périple tant l’entreprise d’écoute le passionne. Le jour où il reviendra dans sa vallée, il ne sera assurément plus le même et n’aura probablement de cesse que de repartir…
Alternatives Pyrénées – Dans le Progrès de Lyon, vous dites qu’en Béarn votre démarche est incomprise. N’est-ce-pas parce que les Béarnais n’en voient pas la finalité ?
Jean Lassalle – Ma démarche n’est pas incomprise par tous. Quand Pyrénées Presse a fait son sondage, au début de mon périple, j’ai terminé avec 70% d’intentions favorables. Si je n’ai pas fait de campagne d’explications, c’est qu’à aucun moment, je n’ai voulu donner le sentiment qu’il s’agissait d’une opération électoraliste. Je suis l’élu des Béarnais et des Basques. Ils m’ont toujours renouvelé leur confiance. Sans elle, jamais je n’aurai pu faire ce que je fais. J’en suis honoré. Si l’initiative avait été prise par un député du Nord, tout le monde aurait considéré que c’était bien. Nul n’est prophète dans son pays.
Les temps sont extrêmement durs en France même si, chez nous, comme vient de le répéter Axel Kahn, « c’est une oasis ». Le contexte national est dangereux à court et moyen terme parce que, hélas, beaucoup de conditions sont réunies pour que des évènements graves se produisent dans notre pays comme cela a pu être le cas dans le passé.
Les gens se rendent compte de la profondeur de mon engagement. Je ne ménagerai pas ma peine lorsque cela sera fini pour leur rendre compte de ce que j’ai fait, pourquoi je l’ai fait et quelle en est la signification profonde.
Comment seul seriez-vous capable de faire bouger les lignes ? N’avez-vous envie de créer un mouvement pour fédérer tous les « réformateurs » potentiels que vous avez croisés ?
Je suis un député de la Nation. Une notion que je fais réapparaître et qu’aucune des constitutions des cinq Républiques n’a changé d’un iota. Le député est le représentant de la Nation et c’est pour cela, entre autres, qu’il bénéficie de l’immunité parlementaire. A tout moment, si nous le souhaitons, nous pouvons aller visiter une prison, un commissariat au nom des citoyens. Une chose que ne peut pas faire le simple citoyen.
Cela permet au député de rentrer directement en contact avec l’ensemble de ses concitoyens. Une phrase résume tout : « Le peuple souverain, dans sa diversité, élit ses représentants députés au suffrage universel. Lorsque les députés se réunissent, ils fondent l’Assemblée Nationale » . Les axes majeurs de l’Assemblée nationale sont l’élaboration et le vote de la loi, l’élaboration du budget, le contrôle du gouvernement.
Vous parlez de la désaffection des Français pour la politique et la technostructure. Quelles mesures simples pourraient commencer à effacer cette désaffection ?
La France est « soulée » de partis, de groupes de réflexions, de ceci et de cela. La France a besoin de retrouver son calme et ses citoyens forment un peuple capable du pire mais aussi du meilleur. La Révolution français est la seule qui se soit faite au monde mais elle parle au monde entier. Ce n’est pas la peine d’en faire une seconde. La France est un des rares pays que l’on qualifie d’universaliste. Le pays parle toujours au monde.
Si moi, après avoir fait 3600 kilomètres, j’avais déjà compris ce qu’il manque en France, ce qui n’est pas bon pour la France, je serais alors « super Einstein ». Il faut, en fait, que je poursuive mon action pour bien prendre la mesure de ce que ressent profondément ce peuple qui a fondé les droits de l’homme, qui a osé, le premier, écrire qu’il était « le peuple souverain » et qui, aujourd’hui, ne se sent souverain de rien.
J’ai besoin d’écouter et de faire remonter par lui même, par l’intermédiaire des « cahiers de l’espoir » inspirés des « cahiers de doléances », ses propres griefs. Les « cahiers de l’espoir » sont une démarche que j’ai entreprise sur mon site internet où je propose à tous les Français de dire leur sentiment. Celui qui domine actuellement, et c’est très grave, c’est un sentiment de résignation. Dans une très grande majorité, les Français ne croient plus en rien et surtout plus en les politiques qu’ils détestent. Ils n’ont plus confiance en eux. Ils ne croient plus dans l’ensemble des élites.
Les Français sont en manque d’identité. Une Alsacienne me disait : « J’ai 70 ans. J’ai vu cette maison changer 5 fois de nationalité. Aujourd’hui à 70 ans, alors que j’ai enseigné passionnément mon pays, je ne sais plus si je suis Alsacienne, Française, Européenne ou Mondiale… ». « Pour en arriver à quoi ? Pourquoi tant de sacrifices, tant de sang, tant de malheur ? » Je trouve qu’elle résumait très bien la situation.
N’est-ce pas au gouvernement de faire bouger la France…
Les gouvernements se succèdent pour le résultat que l’on sait. Ils sont aussi rapidement désavoués les uns que les autres. Pour preuve, les indices de popularité des présidents et premiers ministres. Effrayant !
Les décideurs n’ont plus de marge de manœuvre. La financiarisation a confisqué l’argent des Etats. D’immenses empires financiers ne font plus que de la spéculation et mettent à mal les pays les uns après les autres et en particulier le nôtre. Quant au peuple, il est tellement bloqué en lui-même, brisé dans son lien social jusqu’à l’intime et sa famille…
Votre constat est très négatif…
Ce constat, ce n’est pas le mien mais celui de 9 Français sur 10. Tous les jours, je suis accompagné par 3 ou 4 accompagnateurs et des journalistes. Ils sont abasourdis par ce qu’ils entendent.
Si c’était moi qui le disais, on ne me croirait pas et ce n’est pas uniquement le « Français moyen » qui dit cela. Si vous saviez le nombre de juges, de procureurs de la République, de préfets même, de généraux de gendarmerie qui me rencontrent incognito pour me dire : » on ne sait pas ce que donnera votre initiative. En tout cas, elle est salutaire parce que notre pays est en grand danger ». 9 français sur 10 que je croise sont très inquiets.
L’originalité de ma démarche, c’est d’aller à la rencontre des Français d’une manière très simple : en marchant. Autre démarche aussi simple : celle d’écouter. J’écoute des heures et des heures. Les Français ont un énorme besoin de dire leur désarroi.
Lorsque, en tant que député, je suis normalement aux affaires sur mon immense territoire, je suis tenu par la montre, je suis tenu par d’autres rendez-vous, et je ne peux pas passer des heures à écouter des citoyens. Pendant la marche, si on ne peut pas finir notre échange, la personne revient me voir le lendemain ou vient à mon hôtel ou encore vient même marcher avec moi…
Je trouve très peu de gens qui ne sont pas d’accord avec moi. L’un d’entre eux, après m’avoir signifié son désaccord, a fini par me rejoindre pour marcher 3 jours avec moi.
Une fois nos entretiens terminés, je leur dis qu’il faut se prendre en main, qu’on ne peut pas laisser les événements nous emporter. Je les appelle à compléter leur « cahier de l’espoir ». Ils y disent leur sentiment de peur, de résignation, de très grande déception mais aussi de grande colère qui les animent comme celui qui, à 45 ans, vient de perdre son emploi ou celui qui, à 28 ans, avec son Bac +6, est obligé de partir au Canada. Je leur demande aussi de donner dans leur « cahier de l’espoir », quelques pistes de réflexion et de mentionner les dossiers qu’il faudrait remettre sur la table.
Vous-même, vous ne voyez pas des pistes urgentes à apporter dès maintenant à nos décideurs ?
Si je rentre dans ce jeu-là, je vais apparaître comme le 3250ème à faire des propositions pour la France, comme quelqu’un qui veut créer son propre parti et me retrouver pris à nouveau dans une mêlée qui ne mène à rien.
Il faut que je reste dans cette dynamique où le peuple continue à faire ses propositions. Néanmoins, je sais les points les plus importants qui reviennent partout et qui chagrinent les Français. Le monde a changé au cours de ces 25 dernières années, le mur de Berlin est tombé. On a cru que notre système était le meilleur, il est devenu fou furieux.
Les Français disent en premier lieu: « nous aimerions savoir ce qu’il en est de la dette ». « Comment, alors que nous n’avons rien fait de spécial au cours de ces 10 dernières années, pouvons-nous nous retrouver aussi endettés ? Et avec des intérêts d’emprunt pas très chers au départ qui ensuite deviennent exorbitants ? ».
Ils veulent comprendre car, au nom de la dette, on leur demande des sacrifices qui font que nous ne pouvons plus rien mettre en place. Les petits chefs d’entreprise, les patrons de PME me disent : « Je voudrais faire quelque chose. Mais, je suis incapable de trouver un bout d’emprunt, de ramasser trois sous car on me retire tout ». La mère de famille dit la même chose : « J’ai du mal à boucler la fin du mois parce qu’on me prélève sans arrêt pour cette dette. Qu’en est-il exactement de cette dette ? N’a-t-on pas le droit de savoir la vérité ? »
Deuxièmement, et c’est ma plus grande surprise, je ne l’avais pas senti, contrairement au reste. L’Europe est très gravement remise en cause. Je suis étonné, estomaqué. Je suis passé par Lille, tout le Nord où j’ai fait tant de mariages, de meeting politiques dans ces terres profondément européennes. J’ai passé toutes ces zones frontalières qui ont eu tant à souffrir de la guerre. Partout, le sentiment de méfiance vis-à-vis de l’Europe est devenu « radical ». Une fois sur deux, le rejet de l’Europe est même violent.
Je leur dis : « Ce n’est pas possible que vous teniez des propos pareils, vous avez un cimetière militaire tous les 300 mètres, vous ne pouvez pas dire cela ». Ils répondent : « Mais enfin, M. le Député, que nous apporte l’Europe aujourd’hui ? Nous sommes dans les plombs, les uns après les autres, parce que nous ne sommes pas à égalité avec les charges que nous payons. Nous subissons des concurrences extrêmement déloyales, organisées par nos propres frères des autres pays européens ».
Personne ne semble être maître du jeu. On a l’impression que cela avance au petit bonheur la chance. Les Français vont mettre fermement ce sujet sur la table à l’occasion des européennes en mai 2014. Nous allons voir à quel point ils vont voter extrême pour ces élections. Ils le disent : « on ne va pas faire de mal directement à la France et on va poser le problème pour savoir une fois pour toutes où nous en sommes… »
Troisièmement, les Français sont très désappointés qu’on ait détruit leur Etat. La France a besoin d’un Etat rationnel, or il a été « dézingué » pour diverses raisons. Tantôt pour mettre la poste directement en compétition avec la poste allemande. Comme si cela à un sens… Tantôt pour mettre les télécoms français en compétition avec les télécoms allemands etc.
On a enlevé un peu partout des fonctionnaires qui étaient des fonctionnaires utiles et qui faisaient dire que l’Etat aux yeux des Français était le symbole de l’égalité des chances pour tous les territoires. Aujourd’hui, on a laissé des croupions d’administration partout. Des croupions qui sont devenus pratiquement autonomes, car trop peu nombreux, et presque revanchards. Une espèce de technocratie qui ne fait pas la part des choses.
Ensuite, ils sont trop nombreux là où il ne faudrait pas. Par exemple à Bercy ou au « commissariat au plan » alors que nous n’avons même plus de plan depuis 20 ans. Nous y avons des fonctionnaires de très haut niveau qui préparent la politique de la France en la peignant tantôt en bleu, tantôt en rose.
Les Français voudraient retrouver un Etat moderne, plus léger mais plus efficace qui puisse remettre de l’égalité sur tous le territoires parce qu’il n’y en a plus aucune. Le Français ne sait plus du tout qui s’occupe de quoi et dans quelles conditions ? Comment les lois votées sont mises en application ? Qui s’en occupe ? Qui contrôle ? Rien n’est prévu.
Les Français pensent aussi qu’on a beaucoup trop alourdi ces régions pléthoriques où vous avez 2.000, 3.000, 4.000 voire 5.000 fonctionnaires. Mais pour quoi faire ? Où sont les résultats si probants pour que l’on ait à payer de telles additions ? Partout les Français disent cela.
Maintenant, cela va être la mode des immenses communautés de communes, communautés d’agglomérations et les métropoles. Les Français réagissent alors : « On nous dit que le cumul des mandats est fini, mais les 3 ou 4 hommes ou femmes dominants de chaque département vont présider une des 3 ou 4 grandes communautés de communes du département… ». Dans les Pyrénées-Atlantiques, il y a environ 600 communes. Chacun aura pratiquement 200 communes à soi. Mais ce seront, dans les faits, les directeurs choisis qui auront les réelles responsabilités. On va à nouveau recréer des administrations pléthoriques mais qui régleront quoi ?
L’histoire de la France n’est pas dans ces administrations là. Elle est dans la subsidiarité : démarrer au plus bas. Là est la démocratie. Au contraire, on va laisser tomber 25.000 communes de moins de 1.000 habitants. En 2014, elles vont voter pour la dernière fois car, en 2020, elle n’auront même plus besoin de voter puisque les habitants se seront rendus compte que cela ne sert à rien. Entre temps, la communauté de communes aura tout pris, toute la DGE et toute la DGS. Ce n’est pas cela qu’aime la France. Ce qu’aime la France, c’est sa complicité historique entre l’homme et son territoire.
Il faut retrouver ce mouvement qui était très bénéfique pour la France entre, d’une part un Etat, organisé et moderne, et d’autre part les Provinces de France. C’est cela qui a fait l’originalité de la Nation : ce sont ses Provinces. Là où cela se passe encore mieux, c’est dans les territoires où l’identité est restée la plus forte. En Alsace, j’ai trouvé une forte identité tout comme en Bourgogne, composante historique de la France. Dans ces régions, on y retrouve un sens commun, tout comme en Béarn et au Pays Basque.
Le quatrième point soulevé par les Français est que l’on ait un véritable projet d’instruction publique pour la France. Après Sedan, où nous venions d’être fracassés, il s’est trouvé des hommes pour dire : « on va instruire, apprendre à lire et à compter à ce peuple ». On a eu, ce jour là, un des plus beau projet qui ait jamais été réalisé en France. S’il n’y avait pas eu la République pour m’apprendre à lire et à compter, je ne serais jamais devenu ce que je suis devenu. Les Français sont très attachés aux valeurs républicaines et à celles de l’instruction. Ces 4 exemples, je les entends tous les jours.
C’est une entreprise énorme que vous abordez. Qui pour la conduire ?
Ce n’est pas si énorme que cela. La France a déjà montré qu’elle était capable de se refaire en 10 ou 12 ans. Regardez, pendant la dernière guerre, l’Etat avait collaboré avec l’ennemi tant qu’il avait pu et plus rien ne fonctionnait. 15 ans plus tard, les « 30 glorieuses » démarraient.
Notre pays a tout ce qu’il faut. Les Anglais nous attribuent le « French flair ». La France peut être en mauvaise position, menée face à l’Uruguay au dernier match qualificatif, alors qu’on a perdu les deux premiers matches, et par 3 pirouettes elle va les battre pour finir championne du monde.
Aujourd’hui, la France et son peuple souffrent d’un manque de considération. Les Français sentent très bien que nous sommes dans un monde mondialisé. Ils ne sont pas idiots mais personne ne leur a expliqué pourquoi ? Personne ne leur a expliqué ce que devenait ces flux financiers ? Personne ne leur a dit quelle Europe on avait choisie? D’ailleurs, on en a choisi aucune puisque entre l’Europe des Nations de de Gaulle ou l’Europe fédérale d’Etats fondateurs, on a toujours pas choisi. On a laissé glisser la misère. On a laissé filer les très grands cerveaux qui sont devenus des technocrates.
Les Français disent aussi : « Mais si nous, nous trouvons une réponse, cela permettra aussi de trouver des solutions au monde. Un monde aujourd’hui sans le moindre élément de régulation, en dehors de deux connus et au cœur de pierre : le Front Monétaire International, dont chacun connait la profondeur de sentiment et l’Organisation Mondiale du Commerce. » En quoi les citoyens français sont-ils instruits des décisions prises dans ces lieux mystérieux et dont les chefs d’Etats ne paraissent même pas en avoir fait le tour ?
Le Français n’est pas bête. De Gaulle disait « le populo a du bon sens ». Il suffit de les écouter et pour cela, il faut du temps.
– propos recueillis par Bernard Boutin
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