La devinette du dimanche (terres proches 2) : trouvez le village !

IMGP1464Un tantinet plus difficile à trouver… c’est un village du 65. 3 photos pour vous aider !

Réponse mardi en bas d’article (descendez descendez!)

-par AK Pô

19 03 2016

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la réponse est bien : Salles-Argelès. Bravo à Emile qui tape dans le mille à chaque fois, sauf la prochaine, ah ah!

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Mes tours de France, roues fortunées sans publicités

IMGP4163Je n’oublierai jamais les Anquetil, Simpson, De Vlaminck, Poulidor, Darrigade, Janssens, Anglade, Mastrotto, et mon favori d’entre tous, Bahamontès. Il gagnait (presque) toutes les étapes sur le plancher où je les faisais glisser, gamin. Ils étaient en fer blanc, peints à la main, et au fil des années en plastique (ils sentaient la lessive Bonux et, mais c’est moins sûr, le café Biec). Le charme en avait disparu mais la compétition faisait toujours rage. Bahamontès était d’un alliage plus lourd, qui, sous la poussée de mes doigts d’enfant, filait ses cinquante centimètres sur le parquet ciré, quand les autres se traînaient à dix centimètres derrière. Je devais avoir une trentaine de coureurs pour organiser ma course, mon tour de Chambre. Chacun avait un nom, un vrai nom de vrai coureur, et je notais le résultat de l’étape sur un cahier, apprenant les additions et l’addiction à cette petite reine que mon père m’offrirait à Noël, pour mes six ans. Il y avait autant d’étapes que j’avais de temps libre, avant l’intervention de mes parents pour nettoyer la chambre, manger, dormir, apprendre à lire. Mes héros, les vrais, passaient en trombe et en noir et blanc dans le poste de télé, avant les informations sur la guerre d’Algérie, les événements en tout genre de l’époque. Chaque année trouvait son lot de nouveaux héros (j’étais trop vieux quand Eddy Merckx gagna le tour en 1969) et le plancher de la chambre devenait plus rugueux dès lors que ma mère tomba malade. J’imaginais alors des parcours plus sinueux, des jets plus doux, ce qui donna l’avantage aux figurines en plastique. Il y avait beaucoup de chutes dans mes courses d’alors, surtout dans les virages. Et puis mon frère aussi, qui donnait des coups de balai sur le tracé ou les coureurs, par jalousie.
J’ai cessé de jouer quand la propriétaire du logement a décidé de mettre de la moquette sur le plancher, pour amoindrir le bruit que nous faisions, l’appartement se situant juste au-dessus de chez elle.

Plus tard, entre dix et quatorze ans, avec d’autres gosses du village, juchés sur nos petits vélos dont la plupart n’avaient pas de dérailleur, nous filions monter des cotes alentour (Limendous, cote de Ger), que nous dévalions ensuite à toute berzingue ou, quand nous avions la liberté d’une après-midi, nous pédalions une trentaine de kilomètres (Soumoulou, Lagos, Assat, Artigueloutan, Soumoulou) sans mettre le pied à terre. Pas de casque, pas de gilet fluo-publicitaire, pas de matériel hight tech ; juste des gamins qui pédalaient ensemble, faisant la course sans la faire ( si l’un de nous crevait, tous s’arrêtaient et l’on savait réparer, avec un peu d’eau sortie de la gourde, de la colle et des rustines, et repartir. Bien entendu, les plus grands gagnaient à chaque fois. Pour se départager, ils se bagarraient sur le terrain de foot, pendant que les plus petits tapaient dans le ballon. C’était en général l’heure où Suzanne et Marina passaient sur le chemin bordant le terrain de jeux en minaudant, comme toutes les adolescentes campagnardes, faisant semblant d’ignorer la présence des garçons, petits et grands. Antonio et Pyc étaient les deux grands. Dès que les filles arrivaient, ils se mettaient tacitement d’accord (après avoir fait le bilan comptable des coups échangés) : Pyc draguerait Marina, Antonio, Suzanne.(jusqu’au prochain duel).

La troupe, alors, se mettait de concert à faire semblant de vérifier les vélos, en techniciens aguerris, vérifiant la rigidité des câbles, la linéarité des roues, l’épaisseur des gommes de frein, le jeu des pédaliers. Il fallait impressionner les minettes, faire craquer le plancher avec des arguments nouveaux toujours suggérant la glisse et pas simplement le coup de pédale. Et, bien sûr, à ce moment-là, arrivait le petit richous du bled sur sa moto 50 cm3, au pot d’échappement pétaradant. Combien de fois aurions-nous voulu lui sauter dessus, à ce frimeur. Mais c’était le fils d’un notable, bon garçon, mais fils de notable. Nous nous savions vaincus d’avance. Mais savions également qu’un jour ou l’autre, nous prendrions notre revanche. Pas en gagnant le tour de France, trop compliqué pour nous, petits paysans. Mais en suivant le parfum de la terre. En sillonnant les routes que nous tracerions nous-mêmes, à califourchon sur nos vélos silencieux, filant dans le sens du vent. Et le temps nous donna raison : Pyc épousa Marina, à qui il offrit un vaste bâtiment au sol entièrement parqueté, dans lequel elle apprit les danses de salon et, plus tard, les danses de saloon, alors que lui, dans une pièce contigüe, continuait à jouer au tour de Chambre avec ses figurines peintes à la main. Quant à Antonio, il se maria avec Suzanne et ne quitta jamais le plancher des vaches, car il n’en avait plus rien à cirer des caravanes publicitaires, des équipes cofidis, sky team, tinkoff, bmc, lcl…

-par AK Pô
10 07 2015
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La dalle, la voir, l’avoir pour queue d’ale

Deux grands draps blancs se balançaient doucement sous le vent léger, tiède, sur un fil tendu au niveau de la balustrade du balcon traversant de l’appartement tourné sur la ruelle étroite aux façades fleuries dont le crépi ocre vieillissait au même rythme que ses habitants. Dans cette farandole de linge valsaient des taies d’oreiller, deux grandes serviettes éponge sérigraphiées de tigres, des caleçons et, plus surprenant, une paire de chaussettes épaisses en laine comme on en portait dans les années 70 pour faire du ski, avec ses torsades, qui emplissaient parfaitement le volume des chaussures à lacets, chaussures que l’on fixait sur les planches en tirant sur un câble, la pointe dans la butée rudimentaire. Les passants, en bas, levaient parfois le nez sur ce deuxième étage, attirés par le parfum de lessive qui se répandait dans la tiédeur du matin. Ce qui pouvait paraître anodin et habituel -tous les habitants de la ruelle faisaient de même- dans cette exposition de linge séchant masquait, dans le cas de Judith, une autre réalité. Et les jardinières débordant de géraniums aux multiples coloris entretenaient l’innocence factice de ce quotidien laborieux et propret.

L’affaire s’était nouée la veille. Judith et son mari Olof avaient capté une conversation dans un grand supermarché de la ville. Il y était question d’un repas offert (des œufs sur le plat et de la ventrèche) à midi pile aux vingt premières personnes présentes au stade nautique municipal, afin de promouvoir un quotidien local dans une vidéo inédite filmée sur le terrain. Judith et Olof, qui ne roulaient pas sur l’or, saisirent l’occasion de se nourrir gratuitement, tout en faisant quelques brasses dans le grand bassin rénové. Ils arrivèrent sur place vers dix heures trente, munis de leur maillot, d’une bouteille d’eau et d’une baguette de pain planquée dans leur sac de toile. Une personne (qu’ils avaient aperçue au supermarché, leur délivra un ticket en leur expliquant qu’ils avaient gagné chacun deux œufs au plat et une tranche de ventrèche. Ils devaient se présenter à midi pile sur le bord du grand bassin, en espérant, rajouta l’hôtesse, qu’à cette heure-là ils auraient la dalle. Après avoir réalisé plusieurs longueurs et pris le soleil, le couple se présenta à l’heure dite au lieu indiqué. Dix personnes, munies d’assiettes en carton et de couverts en plastique, faisaient cercle autour de la cuisinière improvisée, regardant avec appétit cuire les œufs sur les dalles en pierre, la ventrèche mettant nettement plus de temps. Sous l’œil d’une caméra zoomant tantôt sur les œufs, tantôt sur un thermomètre vérifiant le record de cuisson digne d’un Guinness book, les compères commencèrent à sentir s’enflammer leurs plantes de pieds, et peu à peu, alors que l’œuf n’en était encore que trop baveux, s’éloignèrent du lieu festif, qu’ils finirent par quitter, le ventre creux. Seuls Judith et Olof restèrent impavides, malgré leurs pieds fumants. Ainsi eurent-ils droit à une triple part d’œufs au jaune cru et deux parts de ventrèche mi-cuites mais bien grasses. Le repas absorbé, ils retournèrent nager puis rentrèrent chez eux, dans la ruelle étroite proche de la prison, pour faire la sieste.

Olof avait peu l’habitude de fournir des efforts (son ventre énorme en était la preuve visible) et le bain l’avait énormément fatigué. Il ronflait bruyamment, ce que Judith ne supportait plus. La sieste s’acheva par une dispute, comme il est prévisible en pareil cas, quand un homme ronfle au lieu de faire l’amour à sa compagne (c’est bien connu). Ainsi que la plupart des gens de cette ville, Judith souffrait du syndrome de Ravaillac. Heureusement, dans le buffet de la cuisine seul restait un couteau à beurre. On ne commet pas un crime avec une telle arme. Détrompez-vous. Elle retourna dans la chambre, apparemment calme, et embrassa son mari qui s’était rendormi. Sous le prétexte fallacieux de soigner la plante des pieds carbonisés d’Olof, Judith les tartina de beurre, suffisamment pour envelopper toutes les parties brûlées. Tant et si bien que quand celui-ci se releva, il glissa lourdement sur le plancher et se fracassa le crâne dans l’angle mort de la table de chevet. Sa tempe saignait mais la blessure était bénigne. Le sang, en giclant, avait taché les draps et le couteau à beurre avait bondi de la table de chevet jusque dans le lit, laissant une auréole de graisse s’étendre comme une marée noire transparente (il fallait la faire, celle-là). Olof se releva, hurla, pestant contre sa femme et l’humanité, glissant sur le parquet, imitant en cela le pas de danseuse qu’il faisait en skis pour se relancer, jeune, pour dégringoler les champs de neige. Est-ce par pur hasard qu’il dénicha dans le tiroir de la commode cette vieille paire de chaussettes en laine et se les mit aux pieds, allez savoir.
Judith, dont l’opération criminelle avait échoué, revint dans la chambre et poussa un cri d’orfraie, mélange de faux étonnement et de réelle déception. Elle courut chercher dans la salle de bain les deux serviettes sérigraphiées de tigres qu’elle jeta sur le lit pour éponger le sang. Il régnait dans la pièce une mauvaise odeur d’œufs et de ventrèche mêlés.

Olof sortit de la salle d’eau la tête enturbannée de bande Velcros, un gros morceau de coton hydrophile scotché sur la tempe malade. Il avait l’air gai. Il embrassa Judith et l’aida à remplir la machine à laver, enfournant tout ce linge sale. Ils attendirent la fin programmée du lave vaisselle et rangèrent les divers ustensiles dans le buffet de la cuisine avant d’envoyer la lessive. La lessive qui sèche en dansant au deuxième étage de cette ruelle où vous passez, de temps à autre, par beau temps…

-par AK Pô

04 07 2015
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A los olvidados se abre el tiempo

IMGP5204Elle s’engouffra dans le métro je la suivais descendis les marches sans doute sentait-elle que Nougaro avait emprunté ce thème de Dave Brubeck blue rondo a la turk pour galoper si vite et puis elle a remonté par d’autres escaliers 127 marches je les ai comptées j’ai même failli rater la dernière mais alors elle s’est retournée et j’ai esquivé son regard qui d’ailleurs ne m’était pas destiné juste un coup d’œil vers les taxis qui traversent nuit et jour Paris. Un scooter Uber des Allées s’arrêta elle monta en retroussant sa jupe en lin ses mollets et ses cuisses ressemblaient à un grand huit forain qu’un magicien aurait distendu avec le savoir-faire d’un démon lui donnant des courbes harmonieuses et harmoniques aussi tant en haut de ses jambes ses fesses composaient une partition de rondes de noires de tierces de pauses et de silences et je la regardais disparaître, place de la République, comme une inconnue se perdant dans l’illusion d’un parti politique. Je regagnais alors la rue Boulanger, celle du général, pas celui qui pétrit le pain et dore les croissants au blanc d’œuf pour vous les apporter tout croustillants au petit déjeuner dans votre petit garni au fond de l’impasse, avec une petite femme tendre qui vous fait des mamours en attendant que les choses s’arrangent.

La piaule est minuscule, un lavabo, eau chaude eau frette. Les chiottes sont au bout du couloir mais c’est tellement crade que tu chies dans un sac en plastique que tu déposes l’air de rien dans la grosse poubelle du trottoir. Les cloisons sont fines, juste là pour que tu n’oublies pas que tu es seul, les voisins font l’amour comme s’ils étaient dans ton lit et de l’autre côté une vieille femme écoute en continu chabadabada pour oublier que la mort de son mari l’a plongée un sale soir de printemps dans la dèche. Tu pisses dans le lavabo à six heures du mat tu pars chercher du boulot en métro, France Soir rue Réaumur, le monde du travail appartient à ceux qui se lèvent tôt, adage qui en vieillissant s’est falsifié, mais comme il faut vieillir avec son temps en attendant que les choses t’arrangent tu la suis dans le métro descends les marches Nougaro brinquebale son amour sorcier dans tes oreilles et dans ton slip ta sagaie s’excite dans la jungle urbaine. A deux pas la porte saint Denis offre ses chapelets de femmes aux hanches faciles, de maquereaux et de bagarres à coups de couteau. Mais tu as vingt ans et personne ne t’emmerde. Sauf les flics. Quand ils te ciblent tu esquives leur regard et ils tirent sur d’autres pantins leurs ficelles, harcèlent les putains rançonnent les maquereaux. La ville est grande et toi plus minuscule qu’une puce, qu’une mouche quand tu sens que les emmerdes vont te tomber dessus, que certains vont te dire dégage, tu viens bouffer notre pain, tu viens foutre le bordel chez nous, tu viens islamiser les catholiques les protestants les incroyants, profiter de nos acquis et imposer tes droits, tu viens voler notre travail, vivre à nos crochets , voler l’orange du marchand . Dans les médias, on ne voit que toi. T’es six millions, t’es tellement nombreux à toi tout seul que tu répands partout la peur, que dans les campagnes à l’ombre des volets les paysans chargent leurs fusils, que dans les villes on renforce les policiers municipaux, on rajoute au coin des rues des caméras, on met tout sous surveillance à cause de toi, à cause de toi qui pétrit le pain de l’amitié, de la fraternité et de la haine, général et boulanger, à deux pas de la République, cette illusion partisane.

Je m’engouffrai dans le métro elle me suivit descendit les marches sans doute sentais-je le thème de Dave Brubeck envahir mon instinct ou Nougaro dans Paris mai pour danser sur les margelles plus vite que remontées les 127 marches je les avais comptées avant et je me suis retourné vers mon passé qu’elle traversait en scooter Uber des Allées et nos regards se sont croisés comme un accident automobile sur l’avenue des solitudes. Nous avons glissé sur le trottoir harmonieusement avec ces harmoniques de saltimbanques qui jazzent dans les champs du Gers et des mains plaines d’ailleurs je la semais dans les couloirs carrelés et puants du métro parisien j’avais brûlé la partition de ses fesses, rondes, noires, tierces, pauses et silences, j’étais un pet dans cette métropole, un pet puant qui ne demandait qu’un asile de paix, la fin de tout ce temps de traversées, j’étais un homme à pied qui a marché sur l’eau, comprenez vous, non. J’étais un matelot de terres sèches, de sang et de misère, de dunes et de déserts, un moussaillon prêt à survivre dans le khamsin et à se rafraîchir dans l’eau fraîche des oasis. Pas plus. Puis la guerre des autres est entrée dans ma vie. Elle s’engouffra dans le métro je la suivis descendis les marches…La suite, tu la connais. Mais ce n’est pas la fin.

AK Pô
12 06 2015
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patience de Ginou-Ginette, réussite de Georges

IMGP5100L’après-midi touchait à sa fin. Ginou-Ginette et moi faisions une patience, ou une réussite, celle qui consiste à remonter les huit rois de deux jeux de cartes dans les colonnes, tout en vidant la pioche centrale, en chaînant par ordre croissant les différentes lames et couleurs. Nous n’avions pour l’heure achevé que la suite complète des rois de cœur, de carreau et de PYC, lorsque Ginou s’aperçut que la bouteille de Pacherenc était vide. Georges, me dit-elle machinalement, descends donc à la cave en chercher une autre. Je m’exécutais. Bien que je n’eusse jamais encore dégringolé ces escaliers aux marches vermoulues, par superstition autant que par phobie des toiles d’araignées, la possibilité d’y découvrir quelques bonnes bouteilles planquées dans l’obscurité me donna l’allant suffisant pour pousser la porte en bois, qui grinça sur ses gonds, et descendre à tâtons, dans le couinement des clous tenant les planches mal jointées. Posant le pied sur le sol en terre battue, je vis soudain…Bon, petite pause. Les lecteurs qui me suivent peu ou prou, et dont je remercie le courage et l’opiniâtreté, vont se dire c’est bon, on devine la suite. Très bien. Alors, racontez-la ! Je vous cède la place.

Ben Georges, arrivé en bas, il découvre le corps momifié de sa grand-mère (dont il a hérité la maisonnette) surprise en train de lever le coude pour noyer le chagrin que lui cause, à l’époque, la mort de son époux ; Georges s’approche, ses yeux brillent dans le noir du deuil et de la pièce. D’un battement de cils il dirige sa vision bionique vers la bouteille que tient dans sa main gauche sa grand-mère encore bien conservée bien que sérieusement amaigrie. Il regarde l’étiquette : un château Bi Dou Rey1982 ! Par miracle, la bouteille est encore à moitié pleine. Mais les doigts raidis de la vieille ne veulent rien lâcher, ni la bouteille ni le verre. Georges cherche un bâton pour faire lâcher prise à la grand-mère revêche . La cave est ventilée par un petit soupirail qu’un seul barreau défend des intrusions : il l’arrache. C’est un barreau, il s’en apercevra bien plus tard, poinçonné. On peut y lire : fabriqué par BAP, usine de Mont de Marsan, pour le compte de la société LGV, basée à Pau, in memoriam. Au bout d’un combat décharné, alors que le corps de la défunte peu à peu se déglingue morceau par morceau, tel un château de cartes, il récupère la bouteille et dans l’euphorie la vide d’un trait. Elixir des dieux, saveur paradisiaque !

Pendant que l’alcool lui monte au cerveau à grande vitesse, le corps de la mémé finit de se disloquer avec une régularité ferroviaire, un peu comme le lecteur du dernier Max Moreau, « suspicions », qui s’endort dans l’Orient Express et ne se réveille pas à Venise, rêvant certainement que le récit bougera franchie la page 90 . Ginou-Ginette, au-dessus, commence à avoir le gosier sec. Georges, que fais-tu donc, tu la remontes cette bouteille ? Mais Georges est ivre. Il ronfle comme un avion, étendu sur le sol en terre battue de Roland Garros, imagine dans son délire gagner la coupe (qui plus est pleine de champagne), il tient sa raquette à deux mains, tripote les balles énormes de Patricia Arquette, place un as dans la cinquième colonne de la réussite de Ginou et, trois jeux partout après, un retour gagnant en regrimpant enfin l’escalier branlant, tenant à bout de bras une bouteille de picrate infect, un « païs What’s Up d’Oc ». C’est tout ce que j’ai trouvé, ment-il. On s’en contentera, répond Ginou-Ginette qui arrive au bout de sa patience et remonte les derniers rois de France et de Navarre en haut des colonnes. Au fait, Georges, as-tu regardé s’il n’y aurait pas des pipistrelles, dans la cave. La nuit, j’entends de drôles de bruits, là-dessous.

C’est tout ? C’est comme ça que vous finissez votre histoire, lecteurs opiniâtres ? Quand je pense que je vous ai laissé tout cet espace pour donner libre cours à votre imagination, vous me décevez ! Et puis, que viennent faire ces pipistrelles dans ce récit ? Bref, je veux que vous trouviez à ce texte une fin plausible, intelligente, dont on puisse dire : ces lecteurs d’Altpy, quelle suite dans les idées, quels créatifs, de vrais amours !

Alors, à vos plumes, et remplissez comme il convient la case « commentaires » ci-dessous !

-par AK Pô
05 06 2015
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Faites des mères !

IMGP5138Elle avait un cul de ramasseuse d’asperges, et comme l’aurait si bien dit le grand poète russe Ivan Wladimir Poutiniliakov, elle « avait un coffre-fort ouvert sur l’entrée des artistes et un arrière train transsibérien, qui faisait luire ses yeux comme brillaient ceux de Blaise Cendrars quand il répandit sur la table du wagon brinquebalant son sachet de diamants bruts qu’il avait pour mission de livrer à son commanditaire, à Anvers. » Nous étions loin. Nous pouvions écrire sans honte : » elle avait un cœur d’hirondelle sur le canapé du bordel, je venais m’allonger près d’elle, dans les hoquets du pianola », nous pouvions l’écrire alors que l’Aragon n’était pas la Castille franquiste, que sur les bords de l’Ebre une armée salutaire se levait, loin du quartier Hohenzollern, de la Sare et des casernes.

Je la regardais de dos, dans sa posture à angle droit. Jambes écartées, souple, les bras ventilant l’air frais du matin, à cette heure tendre qui fait dans les champs les meilleurs rendements, basculer dans des cageots qu’un homme apportait vides et retournait pleins, la récolte. Elle avait un grand tablier gris qui serrait sa taille et descendait le corridor de l’ombre jusque en bas des cuisses, si l’on procède du même angle de vue que le mien, qui vissait les boulons du vieux tracteur Fergusson, ce vieil engin qui perdait ses roues comme je perdais la tête en la zieutant. J’avais seize ans et ce cul fascinant de rondeur parfaite roulait mes heures par la mécanique bien rodée des aiguilles de son labeur. Seules les hanches et les bras comptaient : un mouvement minuté du corps (les jambes) et celui plus rapide (les bras) secondaire mais très efficace, livraient un rythme sensuel et métronomique dans lequel les pauses et les heures n’avaient pas lieu d’être comptabilisées.

Toutes les dix minutes environ, elle se redressait, tendait ses bras au ciel en un long étirement. Se retournait alors, décrispait ses pieds pour aller boire au porron une gorgée d’eau fraîche, à l’abri d’une haie. Je ne la regardais plus, je la contemplais. Si du cercle parfait de ses fesses tout le bonheur du monde se fut réjoui, des deux seins magnifiques que portait son corsage l’univers lui-même n’aurait su s’affranchir, tant il aurait affolé tous ces milliards de mouches qui s’aiment à en crever (Higelin), toutes ces étoiles adamantiques qui bâtissaient, chez Cendrars , les lotissements du ciel. Comment de pareils seins sur les rivages de l’Ebre, au pied des monts Europe, n’affoleraient-ils pas ces républicains qui fêteraient leur victoire à Barcelone… Nous étions loin. Le vieux tracteur crachota une fumée noirâtre et se remit en marche. La quinzaine d’ouvriers que nous étions poussa un hourra de joie. La machine ferait notre travail. Du moins pour les tâches les plus dures.

Je me suis amusé, bien des années plus tard, à me souvenir de son visage. Ses formes m’avaient tant subjuguées que j’en avais oublié tout ce qui fait la marque de la mémoire : les yeux, la couleur des cheveux, la bouche, et, parfois, les oreilles et le nez. Le nez est essentiel, dans le profil, les oreilles dans la vue de face. Son visage, étrangement, me questionnait quant au mien propre. Je ne conservais aucune photo de ma descente de l’Ebre, quelques adresses seulement dans un carnet jauni, et beaucoup de sang que le temps ne diluerait pas dans les balles de la dictature, de toutes les dictatures. Mais ce visage me hantait. Je savais le « reconnaître », sans savoir comment le décrire. Etait-ce ce tableau d’Edvard Munch, « le cri », celui de Picasso, « Guernica », ou « la naissance du monde » de Courbet, qu’importe. C’est dans un rire qu’elle eut, un beau matin de la fin mai, que son visage s’éclaira dans ma cervelle . Elle se mit à rire aux éclats quand on lui proposa, lors d’une pause, de chevaucher le vieux Fergusson, de se mettre aux commandes et de le faire rouler le long des monticules où poussaient les asperges. Et nous étions plantés là, à la regarder faire de grands gestes, à faire craquer les vitesses et à pousser de grands cris d’exaltation.

Je me souviens encore de tous ces hommes qui la regardaient manipuler le vieux tracteur. Il y avait quatre femmes, y compris les filles et la femme du patron, dans l’entreprise. Les rangs d’asperges étaient longs comme des jours sans vinaigrette, les saisonniers nombreux, venus d’Andalousie, de Roumanie. Le tracteur crachotait son diesel et les hommes regardaient la femme aux rondeurs essentielles, de celles qui fulminent le septième ciel. Et il me fallut déchanter. Le visage de mon égérie n’avait rien à voir avec sa corpulence. Elle attendait un enfant, ses joues rosées rougissaient de bonheur. Juchée sur ce tracteur, elle contemplait les hommes et ses yeux luisaient d’un luxe qu’ils n’auraient jamais : enfanter. Alors que nous, les hommes, riions de ses maladresses à manipuler l’engin, les eaux lui vinrent et, deux heures plus tard, elle accouchait, sans douleur excessive.

Ca tombe bien, dit le patron, aujourd’hui, c’est la fête des mères.

-par AK Pô
30 05 2015

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Boulevard du crime (à sens unique, mais avec GPS)

IMGP4121C’est à la tombée de la nuit que j’ai vu ce petit hérisson traverser la route comme d’autres êtres vivants traversent la Méditerranée, et d’un bond l’animal a trouvé refuge dans le jardin. Jardin d’Eden. La pluie s’était remise à tomber, un vent d’ouest caressait les branches des arbres et dans le potager les limaces proliféraient. Au même instant, sur le boulevard des Pyrénées, Marilou se faisait renverser par une voiture alors qu’elle traversait la voie en regardant du mauvais côté, le boulevard ayant été récemment mis en sens unique. Il appert que l’automobiliste, à la tombée de la nuit, regardait son GPS. Comme à chaque fois qu’il rentrait à la maison, parfois défoncé, parfois en ayant oublié ses lunettes au bureau, mais toujours pour de mauvais prétextes. Ce soir-là, la limace qu’il portait sur le dos avait gardé la trace d’un rouge à lèvres sur l’encolure. Sa cravate était tachée. Il ne savait s’il s’agissait de vin ou de ce hérisson qu’il avait écrasé sur la route, fenêtre ouverte et chantant à tue-tête, en revenant de la campagne. Il se souvenait vaguement d’un bruit mou sous la roue, ce bruit que font les nids de poules nouvellement rebouchés que l’on ne compacte pas et qui prennent la forme de dos de chameaux pleins de puces, de gravillons, ces haricots sauteurs qui éclatent les pare-brise. Nids de ces poules qui couvent six mois plus tard de nouveaux trous encore plus profonds.

Marilou fut embarquée par le SAMU mais mourut pendant le transport. L’ambulance fit alors demi-tour et l’alea étant déjà jacta est, il fut décidé de lui consacrer la 105 ème stèle du parc Tissier, sans que la famille n’ait à débourser le moindre centime d’euro, hormis les funérailles, qui étaient en option. Pour conserver le corps en attendant la fin des travaux, celui-ci fut placé dans un vieux congélateur de la SERNAM, que d’antiques squatteurs utilisaient pour rafraîchir leurs bières, et, à défaut à congeler leurs cervelles en béton. Quand Lucien gara son cross over noir il remarqua que l’aile avant gauche avait pris une teinte légèrement auburn au niveau du pare-choc. Le GPS ne signalait aucune anomalie. Une voix féminine débitait ses instructions : marchez trente mètres, tournez à gauche. Arrivé à l’ascenseur, appuyez sur le bouton ouverture. Appuyez sur le bouton ouverture. Entrez. Appuyez sur le bouton 3. Vous êtes arrivé. Vous êtes arrivé. Mais. Mais votre femme est partie. Votre femme est partie faire sauter son petit haricot avec grouic grouic grouic un hérisson un être vivant ayant traversé la Méditerranée, un chameau, un bâton de rouge à lèvres, une poule grouic grouic grouic Lucien vous devriez déménager (c’est toujours le GPS qui cause avec sa voix suave) de toute urgence car les caméras de surveillance vous ont repéré, vous êtes fait comme un rat, grouic grouic grouic Lucien vous êtes un rat, ne lâchez rien, un temps de chien va se jeter sur vous et comme à chaque fois vous direz c’est la faute à la pluie si je mords la poussière mais grouic grouic grouic prenez l’escalier de service, celui qui donne dans l’arrière cour, où sont alignés les bacs à ordures, et soudain le GPS s’éteint.

Lucien se sent bien. Jardin d’Eden. Sa femme est partie. Enfin ! Il se sent comme un hérisson franchissant la clôture percée d’une forteresse de campagne. Il se sent comme un enfant qui ne sait pas que le sang qu’il a sur ses mains est celui d’un oiseau dont il n’entendra plus jamais la chanson. Dans la pénombre, il sourit d’aise ; sa femme ne lui manque pas, mais lui ne l’a pas manquée, sur le boulevard des Pyrénées. Homicide involontaire. Il aurait pu renverser n’importe quelle gonzesse, à cette heure-là, mais le hasard est parfois objectif. Et puis, en ville, il y a autant de Marilou que d’hommes à tête de chou. C’est écrit dans le registre des statistiques de la Mairie. Il faut bien justifier auprès des contribuables les mesures prises pour le bien de tous, commerçants et riverains compris. Dans la cour intérieure l’odeur des poubelles est prégnant, le concierge ne les a pas encore sorties. Il n’est que quatre heures du mat’. Lucien pousse le loquet du portillon qui donne sur la rue Louis Barthou, sort dans la rue déserte, gagne à grandes enjambées la rue Farinelli. Dans un recoin, la moto de sa femme est cadenassé à une barre anti intrusion. Un cadenas à chiffres dont il connaît le code. Deux minutes plus tard, il roule, traverse la ville et s’enfuit, direction Bordeaux. Au rond point de l’aéroport, il tombe en panne d’essence. L’avion pour Orly décolle dans deux heures. Avec un peu de chance, en courant, il fera les cinq kilomètres en une heure. Peu de marge, mais plein soleil, se motive-t-il en imitant Delon. Ses souliers de ville crissent sur le bord de la route, son souffle se raccourcit autant que la distance parcourue. Un taxi passe, puis un autre, à vive allure. Il court du bon côté de la route (peaton, anda a tu izquierda), regarde son Ipod, réserve en trottinant son billet d’avion, feuillette l’édition électronique de la République qui vient de faire sa mise à jour, lit la nouvelle concernant Marilou : »une jeune femme renversée sur le boulevard des Pyrénées n’a pas survécu à ses blessures… ».

Arrivé à l’aérogare, Lucien file aux toilettes pour se refaire une façade. Il remarque que c’est le seul endroit de la ville qui conserve la marque de quelques tags sur les murs : « CCI de Pau traître » , « De Stampa vendu ! SNC Lavallin aura ta peau ! ». Le temps presse, le comptoir d’enregistrement est ouvert. Il ne prête pas attention aux grands panneaux qui vantent les charmes du Béarn, ses lieux de villégiature haut de gamme : villa Nitot****, villa Formose****, villa Clermont (bd Sarrailh)***, villa Sainte Hélène ****(sur réservation)…Lucien s’agglutine à la file des passagers, qui se déplace avec lenteur et mollesse, semblable à une énorme limace repue. Il songe alors au hérisson qu’il a certainement écrasé en rentrant de chez Marina, du côté de Soumoulou, hier soir, après une soirée de bamboche, au sang qui a giclé par la fenêtre ouverte de son cross over alors qu’il chantait à tue-tête. Il vide négligemment ses poches avant de franchir le portique de sécurité : pièces de monnaie, téléphone, portefeuille, ceinture, clés. Ce faisant, il sent que quelque chose le rattrape, un vague sentiment de fuite en avant qui reflue en un mouvement d’abjection, un fort dégoût de soi qui peu à peu l’immerge et le tétanise. Une hôtesse s’approche, lui demande s’il va bien. Oui, je vais bien, merci. Vous êtes sûr ? Oui. Cette nuit, j’ai écrasé un hérisson et ma femme , aussi, avec laquelle je ne m’entendais plus. Maintenant, je prends l’avion. Je suis sûr qu’il va s’écraser. Voilà pourquoi je vais bien, madame.

-par AK Pô

25 05 2015

Ptcq

le Noël neuneu du petit père K.

Le 24 décembre au soir, alors que Marie farcissait la dinde, une belle dinde achetée à la ferme Chabannette, (les chapons de la ferme Bayrouèt étaient hors de prix), garantie bio et bien élevée en couveuse, une dinde qui parle comme un jouet made in Korea , et dont certains apprécient le son enchanteur et roboratif comme roulent les r et foncent les locomotives vaporeuses de la pensée hilaro-déraillante , Joseph fourbissait le poêle à bois de rondins, de bûches de chêne et de bûchettes de pin sèches, il fallut bien vite constater que la soirée serait désastreuse, et ce, pour des raisons indépendantes de leur volonté.
Car voilà :
Comme on ne farcit pas une dinde à coups de marrons, on ne peut la cuire, la faire tendrement rôtir sans l’utilisation d’un four. Or le four, sans être en panne, dormait sous la contrainte d’une grève surprise d’EDF. Marie s’en aperçut en tentant de régler le thermostat sur 210 et l’horloge sur 2 heures trente, temps de cuisson conseillé par un maître évangéliste ayant pignon sur rue (telle qu’il s’en crée spontanément quand une ville atterrit en pleine campagne). Rien. Pas la moindre étoile sur l’engin made in Obsolescence Programmée estampillée NF. Cela la mit en colère, ce qui se comprend, et elle jura à en faire trembler les murailles de Jéricho dans le langage universel des femmes qui font le ménage, la vaisselle, s’occupent des gosses, du budget, sont sous-payées mais conservent toujours en elles ce brin d’optimisme qui fait qu’elles espèrent encore de leur mari cette âme plus véritable que charitable qui les rendra transparents quand ils monteront, ou descendront, les dernières marches de leur vie, telles des Eurydice remontant des enfers un Orphée complètement bourré au sortir d’une boîte de nuit. Mais là, en l’occurrence, pas de four, pas de dinde rôtie.

Marie râle d’autant plus que les médecins urgentistes sont en grève, eux aussi, comme les médecins généralistes, alors qu’elle est sur le point d’accoucher, en ce 24 décembre. Et si jamais l’enfant venait ce soir, Jo, et que les agents d’ EDF soudain cessaient inopinément leur grève, qui surveillerait la cuisson de la dinde ?

Joseph, qui a connu l’art de se faire cornuter, possède le don de consulter les oracles et se rend dans l’étable attenante à la maison familiale où un âne, un bœuf et deux moutons disputent un poker menteur. Il farfouille dans le râtelier et trouve dans le foin un vieux générateur offert en son temps par son beau-père, un buon dio, qui ne savait alors comment éteindre le scandale et amadouer son engeance, quand il (ou elle) viendrait éclairer à son tour ce qu’EDF refusait de faire, ce 24 décembre. La machine est lourde. Mais remplie de gasoil, un don de TOTAL avant défiscalisation . L’âne, le bœuf et les moutons (cités ici par ordre alphabétique pour ne pas faire de jaloux) vinrent à la rescousse et pétitionnèrent pour que cessent les grèves, que les politiciens soient honnêtes comme leurs (grands) parents jadis, que l’expression du peuple qui, jusqu’alors, ne s’exprimait que sur les murs des villes, soit reconnue sans laisser plus d’odeur qu’un pet de lapin sous le chant d’un fusil calibre 22.

Soudain, la première déflagration sourdit des fesses de Marie. La maternité était à 45 kilomètres. Elle glissa à l’oreille de Jo : « appelle saint Sango ! » je vais perdre mes eaux. Mais le téléphone ne sonna pas. France Télécom avait automatisé le 22 à Asnières. Lance un message sur Face-Bouc, PYC le lira peut-être. Mais non, Marie, c’est impossible, PYC ne t’a jamais invité à prier sur la tombe de l’Homme de la Pampa, mais si je fais un bel enfant, Jo, il viendra m’embrasser, au pied de la grand croix d’Escout, je crois, dont la charpente est de poteau EDF et le socle d’agglos et de motifs baroques, mais pour l’heure, qui viendra surveiller la dinde si jamais, ô grand jamais, l’électricité était rétablie ?

Joseph, dont on disait de ses mains qu ‘«elles étaient des sacrées paluches », se demanda qui honorerait l’enfant à naître d’un noble vermifuge. Car le nourrisson se devrait d’être vacciné contre toutes les entourloupes, son verbe conjuguerait le temps, ses paroles irrévérencieuses juguleraient l’absence de mémoire, il pardonnerait à coups de taloches tous les politiciens véreux, il filerait un travail à Job et un tonnelet de rhum des îles aux saint Bernard B., tout simplement. Il ne manquait qu’un mentor, un rêveur de ville, un élu parmi les minuscules, dont la voix porte, un habitant de LilliPau capable de hurler aux oreilles de Bayrulliver jusqu’à l’abasourdir de transparence comptable. Mais l’heure était aux plus chaudes alarmes : la galette se présentait, l’utérus à pédales se dilatait au col et déjà l’enfant s’apprêtait à sauter sur la queue de la comète Pierru , un numéro de cirque oublié depuis la piste aux étoiles, animée par Roger Lanzac, un cousin de Jacques Chancel. L’enfant se présentait lorsqu’ EDF rétablit l’électricité dans les foyers les plus reculés de la campagne. Une étoile rouge brilla au-dessus du four, de l’étable où les moutons se faisaient plumer et le poêle à bois se mit à ronronner dans la cuisine, occupé par un chat aux yeux de braise qui regardait fixement la dinde cuire, rosir, dorer tendrement dans le four électrique, thermostat 7, deux heures trente de cuisson.

A minuit tapantes, l’enfant vint au monde. La sage femme lui tapota les fesses et il se mit à crier. L’air qui pénétra ses bronches le brûla, et il pleura derechef. Dans la campagne, la dinde était cuite mais tous les prosélytes étaient partis à la clinique admirer le messie braillard, sauf Joseph, l’âne, le bœuf et les deux moutons, qui gardaient la maison de crainte d’un cambriolage (les rois mages n’étaient pas loin, et en ces périodes de tensions extrêmes, la peur n’était pas uniquement tournée vers les loups et les ours). Ils invitèrent donc la dinde à se joindre à leur table. Et ensemble passèrent une nuit délicieuse, loin des tabernacles, loin des prophéties et des enfants gâtés.

A minuit deux les cloches carillonnèrent et Dieu appela sa femme. Chérie, j’ai des grelots dans la tête, lui dit-il. Ce qui fit rire madame Dieu, qui batifolait avec le pépère Noël. Et me fit rire aussi, les fesses bien calées devant le poêle à bois, avec ma renne.

Par AK Pô

24 12 2014

Une série pour (scaphandrier de) l’Avent

Nous étions à l’approche de noël. Le mot HIVER allait être coché sur le calendrier de l’année en cours des pompiers, de la Banque Postale (à jeter dans les quinze jours, pour cause de changement d’année) ; alignés en rang d’oignons sur le canapé en tissu aux motifs fleuris, nous regardions la télévision en noir et blanc, nous, les trois garçons de la famille, pendant que le père observait par la fenêtre du séjour le ciel floconneux de ce dimanche soir. Nous ne savions pas, Henri l’aîné, Pierre le cadet et moi, Jean le petit dernier, qu’un siècle plus tard nous verrions en couleurs la météo présentée par Evelyne Dhéliat, nous contentant alors d’un feuilleton dans lequel une jeunette roulait en Solex dans la France profonde pour sauver, en tant qu’infirmière, ce beau pays de la corruption, du vice et du meurtre. Janique Aimée.

Si nous avions, mes frères et moi, les yeux rivés sur la télévision, le père, quant à lui, droit, épaules carrées, vêtu comme toujours de son costume trois pièces gris à fines rayures beiges, nous tournant le dos , immobile, ne semblait respirer que par la fumée qui sortait avec une régularité de machine à vapeur de sa bouche. La cendre tombait sur le parquet, et une fois le mégot consumé jusqu’au filtre , d’un geste lent de son bras droit il le portait sous ses yeux, l’écrasant ensuite dans un petit cendrier, rapporté en souvenir de Murano, verre brisé de sa jeunesse à lui. Je surpris son geste quand Janique tomba en panne de mélange, et que son Solex dut être positionné en mode « vélo ». Mes frangins eurent un rire moqueur : «  quelle gourde ! » et ils se mirent à rire. Le geste de mon père, lié à son absence de mouvement, son hiératisme, et le fait que presque instantanément il rallumât une autre cigarette, me surprirent. Mon père pleurait. Il nous tournait le dos. Dehors, la nuit bourlinguait ses flocons, ses tempêtes australes, son froid glacial et cet homme, comme tous les hommes dont les yeux percent le miroir des reflets, réfléchissait sur sa vie.

Il avait dans son dos une brochette de crétins, jeunes encore,-8, 11 et 13 ans-, qui feraient de longues études, finiraient Majors de leur école, suivraient le cours généreux d’une vie de méandres et de relations assassines, iraient peut-être jusqu’à faire voter des lois ou les défaire, vogueraient sur des vagues Nazaréennes et se sentiraient comme le Nazaréen de Betlhéem crucifié électoralement par les prosélytes de l’ordre nouveau, des minots qui, quoi qu’ils deviennent, regarderaient la météo d’Evelyne Dhéliat leur annoncer qu’il est trop tard pour pédaler en arrière, mais que dans le dernier épisode de la série Janique Aimée la jeune infirmière transporte dans sa sacoche le virus de la mort immédiate pour l’Humanité entière, sans frontière et sans passeports nécessaires. Le virus de la Connerie.

Henri fut le premier à sauter sur le canapé : « j’ai une idée, j’ai une idée ! » se mit-il à brailler. Le père se retourna vivement, et nous fûmes soudain subjugués par sa beauté. Ce fut un véritable moment de grâce. Il y avait dans sa stupéfaction d’adulte le lien indicible de la jeunesse intouchable. L’univoque de l’instant, le parfait accord entre la cohérence des sens et l’incohérence des âges. Moment unique où se rejouait le roman d’Alexandre Dumas, « les trois Mousquetaires ». Pierre à son tour sauta sur le canapé, puis ce fut le mien, et nous hurlâmes en chœur : « on a une idée, on a une idée, qu’elle est bonne, qu’elle est bonne notre idée ! ». Nous sautions de joie, persuadés que notre père partagerait notre euphorie.

Mais soudain, il changea d’attitude. Il se rendit compte que nous étions en train de défoncer le canapé, de façon hystérique et irréversible. Il entra alors dans une rage folle , nous fusilla du regard. Nous esquivâmes le tir, en nous réfugiant dans le poste de télévision. Les balles de notre père fusaient en noir et blanc, brisant les vitres de la fenêtre, laissant ainsi la nuit et les flocons de neige pénétrer dans l’appartement, et nous entendîmes clairement le général Hiver lancer des ordres nouveaux dans le but d’enflammer les calendriers des pompiers, de la Banque Postale, et de réduire en poudre de perlimpinpin la nuit de Noël, dont nous étions si proches. Pierre eut l’ingénieuse idée de nous faire ramper dans le tube cathodique, et nous nous retrouvâmes dans l’enchantement des diodes clignotantes, des ampoules colorées et des fils à scoubidous entortillés autour de sapins glabres, des galènes dorées, des condensateurs distributeurs de boissons sucrées, et de minuscules paquets cadeaux disséminés dans le ventre chaud, derrière l’écran qui grésillait et résistait sous les tirs croisés et nourris du père et de l’armée du général Cornuto. Nous regardions ce spectacle désolant installés confortablement dans le poste, pendant que la guerre était déclarée dans le séjour, que d’un côté notre père, dans son costume trois pièces gris à fines rayures beiges hurlait « sortez de là, si vous êtes des hommes ! », et qu’en face la voix glaciale et la bouche épouvantablement ouverte le général haranguait ses hommes, hommes dont les yeux ne perçaient pas le reflet du miroir embué, criant « sus à la chaleur humaine ! », vomissant des nuages de neige qui s’amassaient sur le plancher, le cendrier plein de mégots, le canapé en tissu aux motifs fleuris.

Une pétarade importune nous surprit tout à coup, qui émanait de l’intérieur même du poste, là où le câble de la prise murale pénètre dans l’appareil, maintenu par deux petites vis en laiton enchâssées dans un dé de plastique rigide. Nous fîmes volte face, la panique au ventre. Mais nous fûmes immédiatement rassurés : Janique Aimée, transportant Evelyne Dhéliat sur le porte bagage, venait à la rescousse sur son beau Solex noir. Le monde pouvait partir en fumée, nous lui survivrions, bien planqués dans le poste de télévision, à regarder des séries par millions, jusqu’à la fin des temps.

-par AK Pô

13 12 2014