Merci Macron !

Ce titre est bien irrévérencieux ! J’en suis sincèrement désolé. Je n’ai pu résister à la tentation de faire une allusion au film « Merci patron ! » de François Ruffin (*) qui était lui-même bien décapant.

Mais que voulez-vous, si notre nouveau Président tombe dans les ornières d’un de ses prédécesseurs, il ne peut que récolter la même réprobation. Tenant compte d’orientations positives (loi de moralisation de la vie politique, dédoublement de classes dans les zones difficiles, redressement des finances de l’État…), faisons preuve de mansuétude cependant. La phrase contenant « au lieu de foutre le bordel » d’une tenue étonnante dans la bouche de la plus haute autorité de l’État, n’a été prononcée que devant un petit cercle. Mais M. Macron ne pouvait ignorer que des micros et des caméras étaient à proximité. Pour être juste, ajoutons que le Président de la Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset, lui a tendu la perche en soulignant que les ouvriers qui manifestaient ne prêtaient pas attention au fait qu’une entreprise de fonderie située à 50 km de là ne parvenait pas a remplir les postes offerts. Cela peut paraître choquant lorsque l’on dispose d’une voiture avec chauffeur et que l’on a du mal à réaliser qu’un ouvrier compétent en matière de sellerie peut être réticent à se tourner vers la fonderie, un métier éprouvant et pas si proche. Ce qui aurait été bienvenu dans la bouche de ces officiels eût été qu’ils se fussent penchés sur les difficultés inhérentes à une telle reconversion, qu’ils eussent envisagé des moyens pour mettre sur pied un service de bus entre les deux lieux, qu’ils eussent aussi étudié  des formules pour offrir des logements et éviter de détériorer la vie familiale. Bref, qu’ils se fussent montrés véritablement à l’écoute de ceux qui n’ont guère de moyens pour se défendre, ce qui peut les pousser à envisager des actions extrêmes comme faire sauter leur usine ou leur outil de travail.

Ce petit fait est-il caractéristique d’un fossé entre les classes populaires et une classe dirigeante méprisante, ou au moins ignorante des difficultés des plus humbles ? On peut le craindre. Le contexte actuel avec les ordonnances sur le travail, la hausse de la CSG, le maintien du taux du livret A en dessous du taux de l’inflation, la suppression partielle de l’ISF ne peut qu’exacerber un antagonisme latent. Le grignotage du pouvoir d’achat de certaines catégories sociales, comme les retraités et les fonctionnaires face à des cadeaux se chiffrant en milliards pour les personnes les plus riches ne peut que heurter. Orienter le capital vers l’économie productive peut être une bonne idée. Mais il aurait peut-être été judicieux de le canaliser vers un grand emprunt visant à rendre maîtres les Français de leur outil industriel plutôt que de le laisser se disperser vers des placements spéculatifs. Le cas récent d’Alstom amputé de sa branche énergie par General Electric qui supprime des emplois qui devaient être préservés est instructif ; le cas des chantiers navals offerts à Fincantieri (la France prête de l’argent aux Italiens afin qu’ils disposent de la majorité au sein de la nouvelle entreprise) reste incompréhensible, car on nous disait que les ex Chantiers de l’Atlantique disposaient d’un carnet de commandes plein pour plusieurs années et que de plus les Chinois étaient en embuscade pour reprendre le savoir-faire.

Il est sans doute trop tôt pour savoir si favoriser les détenteurs des pouvoirs économique et financier aura un effet positif sur l’emploi et la reprise économique. Mais il faut bien reconnaître que l’instauration du coûteux CICE n’a pas eu l’effet escompté sur l’emploi : le million d’emplois promis par le patron du MEDEF n’a pas été réalisé. La théorie du ruissellement (des richesses du haut vers le bas) n’est pas fondée. En sens inverse, elle fonctionne : l’aide au logement a effectivement eu pour effet de faire monter le prix des loyers pour les jeunes et les étudiants. Baisser cette aide fera-t-il baisser les prix ? On peut en douter. En tout cas, l’effet avec ces 5 euros de baisse sera sans doute
minime.

On voudrait espérer que l’impact des  lois sur le travail soit plus significatif sur le niveau du chômage. Mais n’y avait-il pas d’autres mesures à prendre que de mettre un peu plus les travailleurs en situation de faiblesse ? Par exemple assouplir les seuils (pour une durée déterminée) afin qu’un recrutement de quelques salariés supplémentaires ne soit pas un obstacle. Par exemple tourner le dos à la défiscalisation des heures supplémentaires qui est envisagée. Au contraire, inciter les entreprises à abaisser le nombre d’heures travaillées en contrepartie de la prise en charge de la formation de jeunes. Supprimer les charges sociales sur ces derniers et baisser de 2 ou 4 heures de travail hebdomadaire pour les salariés qui font profiter de leur expérience serait profitable pour tout le monde. Bien sûr, les modalités pratiques devraient être discutées entreprise par entreprise, ou branche par branche.

Examinons deux mesures dues à M. Macron lorsqu’il était ministre. Le temps écoulé permet d’en mesurer les effets. Pour ce qui concerne le travail dominical, on ne constate pas d’effet significatif dans la région. Pour ce qui concerne les bus Macron, il faut peut être noter un effet positif pour les jeunes qui ont ainsi accès à des déplacements moins onéreux. Et un peu de souplesse pour tout le monde. Mais le confort des gares routières [sic] laisse presque partout à désirer, le voyage permet guère la lecture ou le travail et les trajets se sont souvent fort allongés. Ainsi, pour le trajet Pau-Paris vous avez le choix le dimanche entre un trajet de 16 h à 9 h 25 le lendemain à 43,50 euros ou partir le matin à 9 h pour arriver à 22 h pour 41,50 euros. Êtes-vous tenté, sachant que l’avion peut vous coûter 50 euros ? L’effet le plus notable est une hausse considérable des tarifs des trains (120 euros pour un Pau-Paris en seconde classe). Et pourtant, le train est le mode de transport le plus respectueux de l’environnement et l’on aurait aimé qu’il ne soit pas le sacrifié, comme il l’a été pour le transport de marchandises. Aujourd’hui, ce sont 90.000 camions qui arrivent chaque matin à Rungis !

Si tout est à l’avenant, il ne faut pas s’étonner de la grogne.

Paul Itaulog

(*) Ce film sera projeté gratuitement le jeudi 19 octobre en début d’après-midi dans l’amphi de la présidence de l’Université dans le cadre du ciné-jeudi.

A ce train là

A ce train là il ne devrait pas rester en France beaucoup de grandes entreprises industrielles appartenant à des Français à la fin du quinquennat.

Des pans entiers de grands groupes ont déjà disparu de l’escarcelle française (Arcelor, Alcatel, Lafarge…). Certes, c’est la loi du marché que d’acheter et vendre. Mais il y a une différence entre l’acquisition de fleurons de notre industrie et l’achat de petites entreprises. Alstom, c’est notre TGV et notre fierté. L’entreprise travaille pour un mode de transport écologique, le train (alors que 90.000 camions arrivent chaque matin à Rungis et que l’avion ne fait guère gagner de temps sur les vols intérieurs et est coûteux en carburant). Déjà exsangue après la cession de la branche énergie, l’entreprise n’est pas sur un pied d’égalité avec Siemens. Les dividendes iront vers l’Allemagne et ce n’est ni la nomination d’un Français à sa tête, ni la localisation de son siège en France qui seront des remparts suffisants contre les pertes d’emplois. D’ailleurs, c’est sous la présidence de Patrick Kron que l’entreprise est passée au début des années 2000 de 110.000  à 65.000 salariés.

De plus, on sait ce qu’il en est des promesses : les 1000 emplois promis à Alstom Energie se sont traduits par 1200 postes supprimés. Et la montée de 10,4% du cours de l’action d’Alstom cinq jours après l’annonce de l’accord est peut-être un indice indicateur dans cette direction.

Y aura-t-il un sursaut pour faire profiter les finances publiques de la plus-value qui se présente, ou pour offrir aux investisseurs français une part du capital qui rééquilibrerait l’opération ? Car elle n’est pas équilibrée. Il ne s’agit pas de la création d’un Airbus ferroviaire. Il ne s’agit pas d’un renforcement d’Alstom mais d’une prédation. D’autres entreprises ferroviaires, y compris régionales (à Bagnères de Bigorre, par exemple) auraient pu se joindre à un consortium inter-européen. A Tarbes, les 620 salariés suivront avec attention l’opération.

Sa quasi-simultanéité avec la fusion entre les chantiers navals de STX et Fincantieri frappe l’opinion. Il y a quelques mois la classe politique exprimait son opposition à cette fusion et sa crainte de voir un groupe chinois accéder à une technologie et des savoir-faire que nous
maîtrisons. On nous clamait que l’entreprise avait du travail pour des années. Aujourd’hui on prête 1% du capital aux Italiens pour qu’ils aient la majorité. De qui se moque-t-on ?

Nous ne comprenons pas. Seule une interprétation se glisse comme vraisemblable. M. Macron veut apparaître comme le parfait libéral au sein de l’Europe. Pour conforter son projet européen il est prêt à lâcher du lest. Le « lest » risque fort d’être notre visibilité sur la scène économique mondiale et les emplois de demain.

Ne faudrait-il pas réagir : acheter des parts, écrire à nos députés, lancer une pétition, manifester…

 

Paul Itaulog