« VOX » populi

Toute la famille est tenue en haleine par le feuilleton des Gilets Jaunes : il y a dans ma famille, des pros et des anti-Gilets Jaunes. Il y a ceux qui font des barbecues sur les barrages et ceux qui les détestent et le font savoir. Il y a des cousins jaunes et d’autres qui ne le sont pas ; des amis de droite et des amis de gauche et c’est très bien. C’est une famille qui est ainsi parfaitement intégrée à la démocratie, à la République dont tous se réclament. Ceci-dit, les anthropologues les plus savants le pointent du doigt, il y a un « problème de territoires » en France : certains se meurent d’autres prospèrent et le bassin familial est essentiellement rural. Il y a donc fort à parier que de nombreux des miens se trouvent sur les barrages se voyant comme abandonnés et méprisés. Car nous, Gascons, nous sommes d’une race fière et nous n’aimons pas que l’on nous parle mal.

L’actualité des Gilets Jaunes a fait passer au second plan un autre fait majeur chez nos voisins qui nous sont chers : le résultat des élections régionales en Andalousie. Il est capital pour le futur de l’Europe : c’est la région la plus peuplée du pays ; fief historique de la gauche. Dans cette région, au nom de la modernité, un parti demandait l’arrêt pur et simple de toute tauromachie, l’Andalousie en est le berceau, et celui de la chasse, ressource importante de ses villages : Podemos membre de la coalition nationale au pouvoir à Madrid,classé à l’extrême gauche. Un autre, au contraire, voulait la « sanctuariser », Vox, nouvel arrivant d’extrême droite. Le premier a subi un grave recul électoral, le second est entré au parlement régional, pour la première fois de son histoire, en totalisant plus de 11% des voix, chiffre qu’aucun institut de sondage n’avait prévu.

Soyons clair : la famille ne se réjouit pas de l’irruption de Vox sur la scène espagnole. Il évoque les années sombres d’un pays que nous aimons. Mais la gauche andalouse ne récolte-t-elle pas le fruit de son intolérance ? Ces menaces radicales sur l’avenir de la tauromachie et sur celui de la chasse ces deux piliers de la culture populaire locale défendue en son temps par de nombreux intellectuels victimes du franquisme, comme Garcia-Lorca ou Miguel Hernandez, étaient-elles nécessaires ? Les secteurs cynégétiques et  taurins ont voté massivement VOX. Le grand matador Morante de la Puebla, très populaire en Andalousie, s’est manifesté dans ce sens, cela lui a valu des tags sur sa propriété, le traitant de nazi. La carte électorale le montre : le vote Vox est un vote populaire qui touche les zones les plus pauvres de cette grande région. Il semble que la fulgurante extension de ce parti -selon les sondages- se poursuivra aux prochaines élections nationales qui auront lieu l’année prochaine. L’Espagne rejoindrait ainsi l’Italie, l’Europe de l’Est et, toujours selon les sondages, la France. Nous aurions alors une Europe « mitée » par le populisme.

Ces résultats devraient rendre modestes les partis traditionnels et leurs discours. La gauche espagnole, démentie par les urnes, poursuit pourtant ses provocations. La dernière vient de la ministre socialiste espagnole de la transition écologique, Teresa Ribera, qui au lendemain de cette défaite andalouse s’est prononcée, à Madrid cette foi, pour l’interdiction pure et simple, immédiate et définitive de la tauromachie et de la chasse. Quand on connaît la contribution des éleveurs comme celle des chasseurs à la défense d’un environnement préservé sur des centaines de milliers d’hectares, à un bien-être animal malmené par les pratiques industrielles, sans compter les milliers d’emplois pérennes on se dit que c’est d’une mauvaise foi délibérée ou d’une ignorance coupable.

La récente sanction électorale andalouse, le succès de VOX, trouvent leurs racines dans ce mépris de ces nouveaux décideurs européens qui n’aiment pas le peuple. Ultime illustration, cette déclaration hasardeuse du responsable des députés LREM, Gilles Legendre, sur Public Sénat, assurant tranquillement que le gouvernement n’a fait aucune erreur mais a simplement été « trop intelligent, trop subtil, trop technique ». Déclaration symptomatique d’une prétendue élite européenne au talon de fer, autoproclamée, adepte de la réforme pour la réforme, sourde aux aspirations populaires au nom d’une modernité portée comme un totem.



Pierre Vidal

Illustration: « Le torero mort » par Edouard Manet.

Pau : pour une relance du festival de Flamenco

Le flamenco est une musique universelle : il a largement débordé de son Andalousie natale pour conquérir d’abord l’Espagne et ses grandes villes comme Madrid et Barcelone et désormais le monde entier. La France bien sûr mais aussi des pays improbables comme le Japon. On trouve dans une école de Flamenco comme celle de Cadiz -une des plus prestigieuses- de nombreux élèves originaires de ce pays. Dans le sud-ouest il a de nombreux adeptes. Mont-de-Marsan a su créer son festival qui attire les plus grands artistes du genre.

Au fait qu’est-ce que le flamenco ? C’est un art global, total, qui concerne d’abord le chant, le cante et quand il est chanté a capella on parle de cante jondo. C’est ensuite une danse qui est à la fois millimétrée et qui laisse une large place à l’improvisation. Et c’est enfin un accompagnement musical qui concerne essentiellement la guitare mais aussi le cajon sorte de caisse de résonance en bois que l’on tient entre les jambes et qui est un apport péruvien arrivé dans les années soixante. Dans le flamenco contemporain de nombreux autres instruments interviennent comme le piano ou la flûte. L’accompagnement par le battement des mains fait partie intégrante du flamenco, on parle de tocar las palmas, c’est aussi un apprentissage.

Comment est né le flamenco ? Ou puise-t-il ses racines ? C’est un sujet de controverse. On évoque une influence arabe. Ce patrimoine artistique appartient aux tribus gitanes qui ont quitté l’Inde et qui se sont fixées en Andalousie, à Grenade notamment. Les premiers témoignages sur cette musique datent du XVIIIème siècle. Le flamenco est alors considéré comme un élément du folklore. Les choses changent au début du XXème siècle avec la montée des idées républicaines. Federico Garcia Lorca, Manuel de Falla, Miguel Hernandez ou Rafael Alberti et de nombreux artistes de cette génération de 1927 proche des surréalistes prendront la défense de ces arts populaires décriés par la bourgeoisie que sont la corrida et le flamencos. Deux genres étroitement liés.

Le flamenco n’est pas un, il est pluriel, il compte de nombreux genres qui sont souvent des réinterprétations de musique, qui ont été apportés par les gens du voyage, c’est le cas du fandango par exemple ou même du tango ou de la milalonga qui sont des apports venus d’Amérique Latine. On parle de chant d’ida y vuleta c’est-à-dire qui ont fait un aller-retour à travers le charco : l’Atlantique.

Le grand poète Garcia Lorca, sorte de Rimbaud espagnol, assassiné par les fascistes sera le fil directeur de cette évocation. Garcia Lorca avait un ami le matador Ignacio Sanchez Mejias, personnage singulier, auteur dramatique et intellectuel reconnu. Il fut blessé mortellement le 11 août 1934 dans les arènes de Manzanares. Désespéré Federico, Federico écrivit son œuvre majeur une élégie : le « LLanto pour Sanchez Mejias ». Il a été mis en musique par Vicente Pradal et présenté à Pau lors d’une soirée mémorable au Palais Beaumont. Il exploite les différents genres flamenco.

D’abord le martinete. Ce style doit son nom au martillo, nom de l’outil dont se servait le forgeron pour battre les métaux. Ceux-ci exprimaient leur marginalisation politique et sociale et leurs dures conditions de vie ainsi que leurs persécutions. Il se chantait sans aucun accompagnement : sans guitare, ni palmas. La copla, le couplet est composée de 4 vers octosyllabiques, les textes sont d’une grande force dramatique. Les Martinetes sont des chants directs, les plus profonds et les plus déchirants. Voici les paroles de Garcia Lorca :

« Il ne ferma pas les yeux

Quand il vit tout près les cornes,

Mais les redoutables mères,

Relevèrent alors la tête.

Et au cœur des élevages

Passa un souffle de voix secrètes

Qu’à des célestes taureaux criaient

Des gardiens de brume pâle »

Le flamenco n’est pas la musique de la joie, elle est plutôt celle de la douleur, de l’amour mais aussi de la violence et en définitive de la mort. Ici un tiento genre proche du tango mais plus ancien et plus dramatique à la fois dans son exécution comme dans ses paroles :

« Par les gradins monte Ignacio

Avec son fardeau de mort

Il cherchait le lever du jour »

Voici un autre style magnifique mais peu interprété car dit-on, il porte malheur à celui qui le chante. Il est ancien mais il aurait une origine mexicaine de la région de Veracruz. La Petenera est un palo flamenco basé sur quatre vers de huit syllabes. Ils deviennent six ou plus, en répétant un vers. C’est une chanson de paroles mélancoliques et tristes, jouée lentement et sentimentalement.

« Sur la pierre est couché Ignacio le bien né.

C’est fini. Qu’y a t-il ? Contemplez sa personne :

La mort l’a recouvert de pâles fleurs de soufre

Et lui a fait une tête de sombre Minautore »

Enfin le genre le plus connu du flamenco celui qui est le plus solaire, attirant qui exprime la joie, la fraternité mais aussi le désordre et l’excès, la Buleria. La virtuosité qu’elle demande, lui a assuré une grande popularité. Il se distingue par sa complexité rythmique. La Bulería reste l’un des moments les plus excitants de toute réunion flamenca. Lorca :

« Moi je veux voir les hommes à la voix dure

Qui domptent les chevaux et dominent les fleuves

Ces hommes aux squelettes sonores et qui chantent

d’une voix rocailleuse et pleine de soleil ».

Ces quelques lignes sont insuffisantes pour rendre compte d’une pratique musicale aussi riche, une matière culturelle aussi passionnante. C’est pourquoi, il est indispensable que Pau renoue avec sa longue tradition flamenca et qu’à nouveau la cité Pyrénéenne ait son festival de flamenco. Il lui permettrait de créer un pont avec des voisins trop ignorés car là se trouve notre futur.

Pierre Vidal

GRANADA, SPAIN – SEPTEMBER 9: A group of flamenco performers in the streets of Granada on September 9, 2015 in Granada, Spain. Flamenco is the most popular music in Spain.