Pombie 1967-2017 – La saga des Gardiens (acte 5, 2007-2017) : Karine et Léon, la « dimension humaine »

Première arrivée de Malou à POMBIE

Avec Karine DEPEYRE et Jean-Marc FERRI dit Léon, s’ouvre le dernier « acte » de la saga des Gardiens de Pombie : un acte inachevé puisque les deux co-gardiens sont toujours bien aux commandes et contents d’y être.

Originaire de Saint-Etienne, Karine fait à Toulouse un mémoire sur « l’architecture en milieu rural » mais c’est « l’architecture de la montagne pyrénéenne » qui l’entraînera vers sa vocation de gardienne. Aide gardienne à la Grange de Holle l’hiver 1996, puis au Marcadau l’été suivant, Karine devient gardienne des Oulettes de Gaube en 1997. Le refuge reste ouvert en hiver ce qui lui donne l’occasion de continuer à grimper en hivernale. Pour la gardienne, il est important de comprendre les réactions des alpinistes : « Pour saisir ce qu’est l’adrénaline, il faut l’avoir vécu ! »

En avril 1998 Karine est bloquée aux Oulettes de Gaube par une fracture du pied lorsque Léon y fait étape. Il traverse les Pyrénées en ski de randonnée et s’y trouve bloqué par le mauvais temps. Karine lui propose alors de faire du portage pour le refuge. C’est le début d’une belle histoire…

Le Club Alpin de Lourdes ayant comme projet de passer le refuge de 70 à 100 places, Karine et Léon se mettent en recherche d’un refuge à « dimension humaine ». Ce sera d’abord celui de la Glère sous le Néouvielle, où ils resteront 4 ans, avant d’arriver à Pombie pour la saison 2007.

A peine arrivés à Pombie, Malou rejoint l’équipe. Née le 28 août, elle se « cale rapidement sur Papa et Maman ». Il lui faut peu de saisons pour se mettre à la vaisselle, à la préparation du pain et des tables. Partageant les repas avec les visiteurs, la « gardienne en herbe » apprend à vivre avec les adultes. « Amenée à se débrouiller par elle-même, elle est obligée à réfléchir ». Désinhibée, elle grandit vite. Pombie : une école unique !

Pour autant, Karine et Léon n’oublient pas d’accompagner leur fille, de partager avec elle ses expériences, notamment avec les « choums », ces éternuements qui arrivent et repartent en suivant (!). Traduction : ces jeunes, de l’âge de Malou, qui arrivent au refuge un soir pour repartir le lendemain. S’il lui en dit, elle les accompagne volontiers, lors de leur départ, jusqu’au col de Pombie, de Suzon ou ailleurs.

Cette dimension humaine en famille a sa continuité avec les visiteurs. Karine a besoin des gens, source d’équilibre et de convivialité. Le refuge de Pombie, plus petit que celui des Oulettes, permet ce contact, cette proximité. Il est partagée entre grimpeurs, itinérants de la HRP, randonneurs de la variante du GR10, marcheurs faisant le tour de l’Ossau et les « petites familles » qui sont montées depuis Anéou. Une diversité incomparable qui permet des « rencontres extraordinaires » que Karine et Léon favorisent. Exemple : au moment de placer les gens pour diner, ils se prennent au jeu de créer des « tables improbables » afin de favoriser des échanges inattendus et riches.

Bien entendu, il y a des moments plus tendus, moins ouverts au contact : les 15 premiers jours d’août quand le refuge affiche complet avec une foule pas toujours initiée : « Vous n’avez pas des glaces ! Puis-je avoir un cornet de frites ? » A ce moment-là, la montagne n’est pas uniquement un défi pour les visiteurs – chacun à son niveau -, elle le devient un aussi pour le gardien : le temps du dépassement. Mieux vaut s’y préparer et savoir se créer une bulle « pour être disponible ensuite… »

Les clients insupportables sont rares. Trois à quatre dans l’année du type :
– Elle : « Vous n’avez plus de place. Vous n’avez qu’à m’en trouver une. Je ne bouge pas ! »
– Karine (embêté) : « Je le répète, le refuge et le marabout sont pleins mais, je peux vous proposer une tente » (que Karine conserve pour des amis de passage)
– Elle (à son mari ) : « Tu vois Thierry, elle me prend de haut, elle me propose une tente… »
Arrive alors Léon à la rescousse !

Le mois de septembre est celui des grimpeurs. Les fins de semaines affichent complets avec des « tous les gens du coin » qui ont voulu éviter la foule du mois d’août. Pourtant, « ils feraient mieux de venir début août, il y a alors moins de monde sur les pentes de l’Ossau ».

Karine et Léon ne sont pas simplement des « hôteliers-restaurateurs ». Chaque fois qu’ils le peuvent, ils participent ou organisent des fêtes et rencontres. En début de saison, il y a bien entendu la traditionnelle « fête de la montagne » qui se tient fin juin. Il y a aussi la « fête de la fissure » du dernier week-end d’août où les jeunes espoirs alpinistes de tout le sud-ouest, encadrés par les Clubs Alpins de la région, viennent se frotter aux nombreuses voies. De la traversée des 4 pointes aux flammes de Pierre, l’Eperon E, l’Embarradère, la Thomas, la SE classique etc.

Karine, formée par ses études à la « conception de projets culturels », anime, en été 2014, des « rencontres croisées » entre montagnards-amateurs-artistes et guides-artistes, photographes, aquarellistes ou encore écrivain. Toujours à la recherche d’échanges, sources d’enrichissement.

Au moment d’imaginer le futur du refuge de Pombie, Karine et Léon sont unanimes : surtout ne pas s’y connecter mais plutôt s’y déconnecter ! Fervents adeptes du « pas de WIFI, pas de connections à tout crin » (il n’y pas d’énergie pour cela à Pombie, même si un vélo est disponible pour recharger les portables), ils recommandent de savoir « perdre son temps et cesser de vouloir s’occuper en permanence ».

Le refuge doit « résister à la pression et ne pas se plier à la marche du monde ». Le manque d’eau, d’énergie et l’éloignement appellent la sobriété et le rôle pédagogue qui en découle. Au final : « la montagne est reine, pas le client ». Une affirmation que Karine contrebalance avec brio quand on sait les bons « petits plats » qu’elle aime à mijoter pour ses clients… malgré « le manque d’eau, d’énergie et l’éloignement ».

Quant à la déconnection, si elle est voulue pour les montagnards, Karine et Léon connaissent plutôt l’astreinte 24h sur 24, 7 jours sur 7 : « on fait les 35 heures en moins de deux jours… » . « Certaines cordées ne rentrent qu’à 3 heures du matin » rajoute Léon. Il faut les attendre, voire surveiller leur retour.

Les techniques d’interventions ont d’ailleurs évolué fortement. Alors qu’il n’y a pas tellement longtemps, le précédent gardien Guy Serandour, pouvait être amené à guider les cordées, en difficulté, en tapant sur une casserole : deux coups signifiant de passer par la droite, un coup par la gauche, les appels « au secours » sont maintenant réalisés depuis les portables des grimpeurs. Un gain de temps indiscutable et une communication bien plus simple. Quant aux secours, du PGHM d’Oloron ou des pompiers des Pyrénées-Atlantiques, ils peuvent intervenir, si nécessaire, de nuit avec des lunettes de visée nocturnes.

Pour la logistique, Léon est aux commandes, organisant héliportages, portages, entretien et, si le refuge tourne bien, Léon tient à ajouter que son succès doit aussi être partagé avec le gestionnaire. « Il y a CAF et CAF ! Celui de Pau, qui gère Pombie, a une gestion sur le bâtiment suivie d’actes. Un travail d’équipe réalisé par des bénévoles réellement impliqués ».

Si Pombie a de nombreux atouts, mentionnées par ses 5 gardiens successifs, la proximité paloise du gestionnaire ne doit pas être oubliée.

Bernard Boutin

Pombie, la saga des gardiens, l’intégrale : Acte 1, Acte 2, Acte 3, Acte 4, Acte 5

Pombie 1967-2017 – La saga des Gardiens (acte 3, 1976-1978) : Guy MAYLIN, gardien malgré lui !

POMBIE par Jean-Marie OLLIVIER

Guy MAYLIN est le plus local des gardiens de Pombie. Plus local, impossible. Il est né en 1948, juste en dessous du refuge, à Artouste « sous le téléphérique ». Son père est contremaitre à la Compagnie des Chemins de fer du Midi, sa mère reste au foyer. Elle a fort à faire avec une fratrie de 8 enfants.

De ses études à l’école de Gabas, on retient que son instituteur, Monsieur GARDIEN, a l’habitude de terminer l’année scolaire en emmenant ses élèves gravir l’Ossau. Guy y grimpe, pour la première fois, à 5 ans ! Démarre alors une vie consacrée à la montagne.

Quelques années plus tard, au cours de l’hiver 75/76, Guy, guide de haute montagne auprès du Bureau des Guides de Laruns, se fracture la clavicule, la tête de l’humérus et se déchire les ligaments de l’épaule lors d’une compétition de ski à Gourette. Pour le chirurgien qui l’opère, le Docteur BOUTIN de la clinique Marzet, un constat s’impose : Guy va devoir se passer de grimper, pendant au moins deux saisons, le temps nécessaire pour que l’épaule se fortifie.

C’est la catastrophe pour Guy qui doit trouver un « boulot alimentaire ». Le guide postule alors aux emplois de gardien des refuges de Pombie et d’Ayous qui sont tous les deux libres pour l’été 76. Le Parc National des Pyrénées approuve sa candidature pour le refuge d’Ayous et, suite à l’intervention de Popo DAUDU auprès du président du Club Alpin de Pau, il est aussi pris pour Pombie. A 28 ans, Guy, le guide qui ne rêve que de grimpe et de randonnée, se retrouve à la tête de deux refuges à gérer !

C’est compter sans le sens de l’organisation de la famille MAYLIN. Depuis déjà 4 ou 5 saisons, deux soeurs de Guy, Michelle et Nicole, tiennent le refuge d’Arrémoulit. Elles sont aidées par leur frère Jean-Louis. Guy propose à ce dernier de tenir Ayous pendant qu’il s’occupera de Pombie. La famille, installée dans 3 refuges proches de la vallée d’Ossau, va pouvoir alors organiser une gestion rigoureuse des équipes et des approvisionnements. Les achats se font en gros volume à Pau. Les héliportages « de mise en place » deviennent plus rentables.

Pour autant, Guy n’aime pas son travail : recevoir, cuisiner, gérer. Il n’a de cesse de redevenir guide. Pour cela, il lui faudra pourtant attendre 1978. En attendant, il fait de « l’alimentaire » qu’il complète l’hiver, quand les refuges sont fermés, par un emploi de responsable du centre de formation des moniteurs de ski à Gourette. Un centre qui dépend du Ministère de la jeunesse et des sports.

A Pombie, en cette première saison 76, ses enfants Philippe (6 ans et demi) et Véronique (5 ans), sa compagne Mado, le rejoignent dès que les vacances le permettent et pour les week-ends. Les premiers salariés apparaissent au refuge. Il faut dire qu’il y a de plus en plus de clientèle.

Franco est mort l’année précédente. Une bouffée d’air pour beaucoup de grimpeurs espagnols qui en profitent pour prendre d’assaut « el Midi » : « Les cordées grimpent en continu sur la sud-est de la Jean Santé  ! »

Il n’y a pas qu’eux. Le clan à POPO, des grimpeurs de haut-niveau comme Dominique JULIEN, Rainier MUNTCH dit Bunny, Christian RAVIER, Bernard PUISEUX, Christian DESBATS ou encore Christophe OLIVIER, passe régulièrement par le refuge. De sacrées soirées entre grimpeurs auxquels aimait se joindre Guy.

Les 45 places du refuge sont prises d’assaut. Il peut y avoir 50 personnes supplémentaires à caser. Elles dorment alors sur les bas-flancs, sur et sous les tables du réfectoire. A cette époque, il n’y a pas de norme de sécurité l’interdisant. Guy est satisfait : « Ça tourne bien ».

Eté 1976 : Le téléphone est enfin installé. Pas trop tôt ! Il faut cependant du temps pour que les montagnards s’habituent à réserver à l’avance. Les « trop-pleins » durent encore longtemps.

Avec un refuge qui tourne bien, il s’agit de l’approvisionner régulièrement. Aux deux héliportages d’Héli-Union par saison, principalement pour les boissons, le lait, les conserves et le gaz, il faut ajouter d’incessantes rotations avec les ânes. Marquise est retraitée. Elle ne porte plus. Un petit âne, « Petitou » la remplace. Il faudrait un âne supplémentaire. En attendant, les porteurs font le reste. Ils vont ensemble récupérer les approvisionnements qui sont stockés dans un local du Club Alpin situé au centre pastoral à Anéou.

Deux saisons de suite, Guy, en tant que guide, amène à l’Ossau, un couple de maraichers de Bayonne, par la voie normale. En remerciement, ils arrivent un jour au refuge avec « Fano », un âne marqué d’une croix sur son dos noir. Ils le lui offrent. Le portage se simplifie d’une façon sympathique et inédite.

Fano et Petitou sont gardés dans un enclos avec une clôture électrique. Un jour sur deux, ils sont de corvée de portage. Malin, celui qui est de corvée trouve toujours le moyen de s’échapper pour aller se cacher dans la raillère !

Fin 78, les ânes s’échappent à nouveau. Ils ne sont pas dans le vallon de Pombie, leur destination de fuite favorite. Il faut 5 jours pour les retrouver du coté du caillou de Soques alors que Guy les cherchait à Anéou !

Les allers et retours de portage se font escortés par « Anéou », le patou de la famille. Une négociation « chaude » a lieu avec le PNP pour obtenir l’autorisation de conserver l’animal à Pombie. Les bergers ont droit à leurs chiens mais pas les gardiens de refuge ! Guy doit faire un courrier au Parc pour obtenir une dérogation. Elle lui est accordée et généralisée à l’ensemble des refuges sur la zone du Parc. Il n’y a pas de petits combats.

Guy devient conseiller du préfet pour le secours en montagne. Il y a tout type d’accidents sur place. Heureusement, ils ne sont pas nombreux. Cela va de la touriste qui donne à manger aux ânes et se retrouve avec la deuxième phalange coupée net à des accidents plus sérieux nécessitant une évacuation par hélicoptère.

Un jour d’été 77, vers 14 ou 15 heures, une « alouette » vient chercher Guy. Une cordée est bloquée sur la face nord. Parmi les secouristes du PGHM d’Oloron, un spécialiste en spéléologie pas trop à l’aise sur les parois. Guy le remplace. Il est déposé à coté d’un alpiniste qui a les mains brulées. Pendant qu’il s’occupe du blessé, l’hélicoptère part chercher le deuxième membre de la cordée. En vol stationnaire, il essaye de le charger. Les pales des rotors viennent à toucher la paroi. Ses palettes (embouts de pales) sont sectionnées et volent dans tous les coins. L’hélicoptère pivote et plonge dans la vallée.  Le pilote LUMPERT arrive à redresser l’engin in-extremis et le pose en catastrophe à côté du refuge.

Il faut attendre les CRS de Lannemezan pour secourir, à pied et de nuit, le grimpeur bloqué. Quand à l’alouette, ce n’est que 4 jours plus tard, une fois les pales changés, qu’elle peut redécoller.

Guy aime bien le portage et le nettoyage mais l’accueil et la cuisine ne sont pas son « truc ». Ses soeurs, Michelle et Nicole, abandonnent Arrémoulit et viennent, à tour de rôle, en renfort pour les saisons 77 et 78. Le clan des ossalois(es) est aux commandes avec comme effets immédiats de bonnes garbures béarnaises et du fromage de brebis en permanence. Les tomes de 5 kilos viennent naturellement du saloir de Gabas. Un fromage d’hiver avec 4 mois d’affinage.

En hiver, les boues de la fosse septique se figent et sèchent. Il s’agit de la vider avec seau et pelle. « Le bagne ». En été, avec l’affluence au refuge, tout se complique. Il n’y a qu’un WC à l’intérieur. La fosse septique est souvent pleine. Guy est contraint de louer une pompe à main aux « Pompes funèbres générales » de Laruns. Un court répit pour le guide, gardien à ses dépens.

Et, s’il n’y avait que cela : sans WC accessible, depuis la « salle hors-sacs » et son dortoir ouverts pendant les 7 à 8 mois d’hivernage, les visiteurs n’ont pas d’autre solution que d’aller aux alentours du refuge. Souvent, ils ne s’éloignent pas des murs du refuge et de la terrasse ! Reste alors pour le gardien, à la reprise de saison, à nettoyer tous les pourtours immédiats du refuge. Une tâche pas particulièrement plaisante pour redémarrer la saison. (Une tâche qui reste malheureusement vraie en 2017 !)

Comme pour les BUTEL, le problème de la gestion des déchets est un souci non réglé. Combien d’années faut-t-il donc pour apprendre aux montagnards à ne pas les jeter ? Guy demande avec fermeté à ceux-ci de les descendre. Dès que le refuge n’est plus en vue, ils s’empressent de les cacher sous une pierre ! De quoi désespérer.

Derrière le refuge, un lavoir est installé à l’extérieur. Une poubelle facile que tout le monde utilise. Un jour, pris de colère, Guy le casse à coups de masse.

A la fin de l’été 1978, il y a de 80 à 100 personnes dans le refuge : « Du monde partout ». Dans la salle « hors-sac », les montagnards bourrent le poêle, mis à leur disposition, de leurs déchets. Un autre jour, croyant bien faire, ils entassent les poubelles dans un coin de la salle. Une véritable pyramide et un message (non dit) :  « Au gardien de les descendre. »  Guy n’encaisse pas toujours bien…

Les incivilités continuent dans d’autres domaines. Le mauvais temps tombe. Des randonneurs se réfugient dans l’abri des ânes. Ils prennent les couvertures de ceux-ci puis se mettent à redescendre vers Anéou. Guy les rattrape.

Eté 78, Guy achète à Pau de nouvelles chaussures : des « super-guides ». Il les destine à des courses de guide. Pour les casser, il fait du portage avec elles et les laisse à l’entrée du refuge dans les étagères à chaussures. Un jour, elles n’y sont plus mais ont été remplacées par les mêmes, plus anciennes et dans la même taille ! Coup d’oeil dehors, sans perte de temps, en direction des trois cols : Peyreget, Suzon et Pombie. Quelqu’un file vers ce dernier. Guy lui court après, le rejoint, regarde ses chaussures. Pas un mot n’est échangé. Le randonneur retire immédiatement les chaussures de Guy pendant que celui-ci, fou de rage, jette au loin les chaussures de l’indélicat.

A la fin septembre, cinq cafistes dorment dans l’ancien refuge. Cette nuit-là, Guy est à Laruns. Au matin, il va leur demander leurs cartes du CAF pour faire la facture. Ceux-ci ne veulent pas payer sous prétexte qu’il n’était pas sur place durant la nuit. Le ton monte. Ils en viennent presque aux mains. Devant la fermeté de Guy, ils finissent par céder. Ce jour-là, pour Guy le guide, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : « Il ne faut pas que je continue ce métier ». Il  démissionne à la fin de la saison 1978.

Bernard Boutin

Pombie, la saga des gardiens, l’intégrale : Acte 1, Acte 2, Acte 3, Acte 4, Acte 5

Ecole de Gabas : Guy MAYLIN (2è en partant de la droite en bas). A la fin de l’année scolaire, le prof emmène la classe faire l’Ossau, depuis Gabas, par la voie normale. Guy a 5 ans !
1951 – Artouste – Le jeune Guy MAYLIN, deuxième en partant de la gauche. Sous le portique : un ours !

Pombie 1967-2017 – La saga des Gardiens (acte 2, 1971-1975) : Hervé et Renée BUTEL, un photographe, une dessinatrice à la barre !

Refuge de POMBIE : Hervé BUTEL et son fils Guillaume. Crédit : JM OLLIVIER

Hervé BUTEL est décédé le 23 août 1989 sur les pentes de l’arête est de l’Arriel. Un sinistre rappel pour tous, gardiens, grimpeurs et randonneurs, que les Pyrénées ne sont pas qu’un simple terrain de jeu magique et exaltant. Un rocher se détache. L’irréparable se produit. Merci à Renée, son épouse d’avoir bien voulu témoigner à la place d’Hervé sur leurs « années Pombie ». Un retour en arrière pas simple.

Palois, grimpeur expérimenté*, Hervé BUTEL a déjà une première expérience d’un an comme porteur au Chalet Alpin du Tour, dans le massif du Mont-Blanc, quand Jean SUBERVIE, président du CAF de Pau, lui propose de prendre la suite de Jean-Louis PÉRÈS à la fin de la saison 1971.

Refuge de POMBIE : Renée aux « fourneaux » à Pombie. Crédit : JM OLLIVIER

Hervé et Renée montent à Pombie dès le mois d’octobre. Objectif : être ouvert pour l’hiver. Du moins pour les vacances de Toussaint, Noël, nouvel an et Pâques. Une expérience qui sera reconduite pour Pâques 72 et abandonnée par la suite. Force est de constater que seuls des amis montent sur place à ces dates.

Approvisionner le refuge n’est pas simple. La route qui conduit de Gabas au Pourtalet est fermée au niveau du Pont de Camps pour l’hiver. La clientèle espagnole pour le ski n’existe pas encore. Franco disparait en 1975 et l’Espagne ne rejoint l’Europe que 11 ans plus tard. Le col du Pourtalet mettra longtemps avant d’être ouvert régulièrement. Le portage des provisions se fait donc, dans la neige, par le vallon de Pombie. Pas évident et, il ne faut pas compter sur Marquise, l’ânesse des PÉRÈS reprise par les BUTEL, ni sur les héliportages qui ne sont utilisés à cette époque que pour les travaux. N’ayant pas de voiture, Hervé et Renée doivent aussi compter sur l’aide précieuse de la famille et d’amis. Les approvisionnements : pas simples !

Hervé souhaite monter un atelier de photographie en vallée d’Ossau et profiter des saisons à Pombie pour faire de la photo. De son côté, Renée enseigne, au collège à Nay, le dessin et les arts plastiques. Un travail qu’elle conservera pendant les 4 saisons de gardiennage d’Hervé. Comme pour Jean-Louis et Michèle PÉRÈS, il s’agit de trouver un complément de rémunération. Le refuge ne suffit pas.

Les deux premières saisons, sont plutôt calmes. Des moments de joie pour le jeune couple qui partage son temps entre famille et amis.

Le Parc National achève assez rapidement l’axe Ayous, Peyreget, Pombie, Soques, Arrémoulit qui correspond à celui de la HRP (Haute Route des Pyrénées). Un bouleversement se produit alors. Aux grimpeurs, surtout cafistes et aussi espagnols (des « durs » ceux-là!), s’ajoutent de plus en plus de randonneurs.

Si le jeune Parc National commence à générer du trafic au refuge, il a aussi ses exigences. A cette époque, les montagnards n’ont pas le souci de descendre dans la vallée leurs déchets. Des boîtes de sardines, de pâté, des papiers, du plastique jonchent les sommets alentour et les bords du lac de Pombie. Les bouteilles sont abandonnées à même le sol.

Au refuge, depuis son ouverture, il a été pris l’habitude de mettre les déchets dans des sacs bleus clairs qui sont ensuite entassés dans un coin de la raillère. On les voyait depuis le sommet de l’Ossau !

Le Parc ne veut plus de cela et contraint à nettoyer la raillère. Hervé, entouré d’amis, de membres du CAF et du Parc National, s’attelle à la lourde tâche. Plusieurs rotations d’hélicoptères sont nécessaires pour descendre les déchets collectés à Anéou.

Cette « opération commando » réalisée, Hervé doit continuer à nettoyer tous les coins et recoins autour du refuge et de son lac. Il y passe beaucoup de temps.

Il doit aussi s’assurer que les montagnards descendent leurs déchets. Toute une éducation à faire, pour changer de mauvaises habitudes, qui prend aussi du temps et de l’énergie. Un supplément de travail pour la famille BUTEL qui, de son côté, se met à évacuer les déchets du refuge à dos d’âne.

Gérer Pombie devient contraignant d’autant plus qu’avec l’augmentation du nombre de randonneurs, les demandes se font plus pressantes pour manger à tout instant. Quand elle est là, Renée cuisine de bonnes garbures, « façon Barétous, ma vallée d’origine », et complète les repas par du rôti de porc, jambon, fromage du pays. Le gros des provisions vient des commercants de Laruns : Coudouy pour la viande et la charcuterie, Arros pour l’épicerie générale, Béchat pour le vin et Sanchette pour « ses énormes et délicieuses miches de pain ». Quelques fruits proviennent aussi des « ventas » du Pourtalet.

Hérvé, Marquise et Anéou, le labrit

Un âne rejoint Marquise pour le port des charges. Des animaux pas toujours facile à contrôler et enclins, dès qu’ils ne sont pas surveillés, à descendre rejoindre leurs collègues dans le vallon de Pombie.

Les bergers des trois vallons (Pombie, Magnabaigt, Anéou) prennent l’habitude de se retrouver ensemble, tous les 14 juillet et les 15 août, pour déjeuner au refuge. Un déjeuner qui se prolongeait tard dans l’après-midi. Les chants béarnais « réchauffent alors le refuge ». Une occasion, d’oublier la solitude de l’estive, que les bergers ne voulaient rater à aucun prix.

La réputation du pic du Midi d’Ossau se répand. En juillet 1974, un sherpa népalais, Pertimba, grimpe au sommet de l’Ossau, accompagné par Paulette DAUDU, dite Popo, une grande pyrénéiste paloise. Il avait été son porteur et guide lors d’une expédition dans l’Himalaya.

Crédit Renée BUTEL – versant sud muraille de Pombie

Le 29 et 30 juin 1975 ont lieu les « 9 Rencontre Féminine de Haute-Montagne ». Des alpinistes expérimentées, avec parmi elles quelques himalayistes dont Popo, sont présentes. Elles viennent d’Allemagne, Yougoslavie, Tchécoslovaquie, Italie, Bulgarie, Suisse, Hollande et France. Pas une représentante espagnole ! Certaines alpinistes ont leurs propres guides. Les autres sont encadrées par Jean OSCABY, Gigi BERGES et Bernard PEZ accompagnés de nombreux grimpeurs des vallées proches. Une équipe de télévision de Bordeaux suit les escalades depuis le sommet de l’Ossau. Deux techniciens avaient du y porter 25 kilos chacun au sommet ! Les exploits étaient partout.

Une première descente du pic du Midi d’Ossau, est réalisée en Deltaplane le 19 juillet 1975. Il faudra 6 heures à Jean-Marie BLANC, dit Bil ou encore M. 45000 watts, pour monter au sommet les 16 kilos de l’engin et seulement 14 minutes pour planer jusqu’à Anéou. « De vrais masos, mais quel pied ! » rapporte le carnet que tenait Hervé. Il ajoute que le même delta-plane, un « Hill Plane » fabriqué à Biarritz, avait réalisé la descente du Canigou peu de temps auparavant, piloté cette-fois par Jacques SOLERE.

En septembre de la même année, c’est au tour d’alpinistes russes de venir. L’Ossau est bien sur la carte des grimpeurs du monde et avec lui : le refuge de Pombie !

Avec les grimpeurs et les randonneurs de plus en plus nombreux, il y a quelques fois des accidents. Sans téléphone au refuge, il n’y avait pas d’autre remède que de descendre en courant, à l’hôtel des Casadebaig au Pourtalet, pour alerter les secours. Ce n’est qu’en 1976, après le départ des BUTEL qu’un premier téléphone est installé. Un confort nouveau qui permettra aussi de pouvoir gérer les réservations en « temps réel ». Enfin !

Hervé BUTEL portant Romain

Guillaume, né en avril 72, et Romain, en octobre 1974, viennent agrandir la famille. Ils passent la saison « là-haut ». Se pose alors le problème du lavage du linge des « petits ». Les PÉRÈS avaient laissé la solution avec un tambour métallique tout rond qui n’attendait qu’à être mis action par le mouvement ininterrompu d’une manivelle. Pour une plus grande propreté, il fallait alterner le sens de la rotation. La crampe menaçait au bout d’un moment !

L’emploi du temps se complique, d’autant plus que Renée, avec son travail dans la plaine de Nay, n’est finalement disponible que les fins de semaines et durant les mois de juillet et d’août. Hervé doit donc assurer seul la permanence au refuge, en juin et septembre, tout en préparant l’installation d’un laboratoire photo à Gère-Bélesten à partir de 1973. Terminé en 1975, les premières commandes arrivent. La décision de redescendre définitivement s’installer dans la vallée est prise dès la fin de la saison. En 4 saisons, les BUTEL auront vu l’activité de Pombie profondément se transformer.

De ces années-là, Renée conserve aujourd’hui beaucoup de sensations fortes : « Les mots sont presque vulgaires pour les décrire. Dès Anéou, l’océan de pâturages et les bouffées d’air qui vous assaillent. L’odeur des rhododendrons, de la réglisse et des myrtilles qui monte aux narines. La puissance des murailles de l’Ossau avec ses couleurs chaudes, rouges, jaunes. Ses couleurs changeantes en permanence.» Sensations fortes renforcées par une belle expérience montagnarde, partagée entre famille et amis. Des années bonheur, mot qu’elle répète. Tout comme Jean-Louis PÉRÈS, son prédécesseur à Pombie. Une « énergie positive » flotte-t-elle sur le refuge de Pombie ?

Bernard Boutin

*Hervé BUTEL s’est illustré par la première ascension hivernale en solitaire en mars 1966 du couloir Pombie-Suzon à l’Ossau, et celle, toujours en solitaire de la Grande Lézarde au Balaïtous en mars 1967. Il est aussi l’auteur de plusieurs voies nouvelles à l’Ossau, Ansabère et Gourette.

Crédit photo : Hervé BUTEL et Jean-Marie OLLIVIER

Pombie, la saga des gardiens, l’intégrale : Acte 1, Acte 2, Acte 3, Acte 4, Acte 5

POMBIE 1967-2017 – La saga des Gardiens

L’ancien et le nouveau refuge de Pombie, au petit matin, par Jean-Marie OLLIVIER

Il y a 50 ans, en juin 1967, le nouveau refuge de Pombie (2032 m) ouvrait au public. Cinquante ans plus tard, vu de l’extérieur, le refuge est toujours le même : bien campé sur de solides murs en pierre de taille, flanqué du fidèle « vieux » refuge, fier de ses vues plongeantes vers les vallons de Pombie et d’Arrious, fier de sa raillière, fier de son lac et de ses cols (Pombie, Peyreget, Suzon), honoré d’être adossé à un pic du Midi d’Ossau (2885 m) dominateur et aux mille voies.

Cette fierté, on la retrouve chez les gardiens successifs et les bénévoles du Club Alpin Français de Pau et de la vallée d’Ossau, qui n’ont eu de cesse de l’entretenir.

Si le refuge n’a pas changé, au fil des années, son activité s’est profondément modifiée. Cinq gardiens et leurs familles ont vécu ces changements. Tous ont connu, à Pombie, des moments de « bonheur » – mot qui revient souvent dans leur bouche – et quelquefois des moments pénibles. 

Pour les 50 ans de Pombie*, laissons-les nous entraîner dans la grande et la petite histoire de ce lieu, si emblématique, de la vallée d’Ossau. Une aventure qui démarre en juin 1967 avec Jean-Louis et Michèle PÉRÈS, les premiers acteurs de « La Saga des Gardiens de Pombie ». Une saga en 5 actes qui vous sera dévoilée au cours des 5 semaines à venir.

(*les 50 ans du refuge de Pombie seront célébrés sur place le 24 et 25 juin. Le programme des festivités sera mis en ligne, fin mai, sur le site du Club Alpin de Pau et de la vallée d’Ossau)

Pombie 1967-2017 – La saga des Gardiens (acte 1, 1967-1971)
Jean-Louis et Michèle PÉRÈS, heureux précurseurs

1967 : Emmanuelle PÉRÈS, fille du premier gardien du nouveau refuge de Pombie

Quand en juin 1967, Jean-Louis et Michèle PÉRÈS, accompagnés d’Emmanuelle, leur fille de 2 ans et demi, arrivent au nouveau refuge de Pombie, celui-ci est en plein travaux : « Il y a tout juste quatre murs qui suintent d’humidité, un toit et des fenêtres ». Le reste est à faire.

Après avoir commencé par tirer un tuyau d’eau depuis le lac situé derrière le refuge, les PÉRÈS sont contraints de s’installer dans l’ancien refuge. Commence alors une première saison compliquée par la présence de l’entreprise CASTELL de Bagnères de Bigorre qui ne terminera les travaux qu’à la fin de la saison, en septembre.

Michèle a ses premiers clients à nourrir : les 6 ou 7 ouvriers pour lesquels elle cuisine avec, comme gazinière, un simple « bleuet de Camping Gaz « ! Ce seront virtuellement les seuls clients qu’ils verront de tout l’été. Et en plus, de mauvais payeurs puisque Jean-Louis sera contraint d’aller en justice pour faire payer les repas par leur employeur CASTELL.

Petit-à-petit, les assiettes, couverts et autres fournitures sont montés au cours de l’été. Un ou deux héliportages ont lieu. Ils seront très rares ensuite. L’hélicoptère ne sera cependant pas totalement absent des 5 années qui démarrent. Jean-Louis est en effet responsable du secours en montagne pour le massif de l’Ossau. La « Protection Civile » viendra quelquefois le chercher même s’il n’aime pas monter dans ces engins.

Voie PÉRÈS, sur la face sud de la Pointe d’Aragon

Pour Jean-Louis commence, au-delà des difficultés de la première saison, une « époque paradisiaque ». Le nouveau refuge voit passer très peu de monde : « Des semaines sans personne ». Jean-Louis devient « seigneur en ces lieux ». Agé de 30 ans, en cet été 67, l’ancien guide et moniteur de ski de Font Romeu, puis de Gourette, passe son temps entre cueillette des myrtilles, framboises, champignons, pêche à la truite dans le lac qu’il alevine avec l’ingénieur des eaux et forêts CHIMITS, initiateur du Parc National des Pyrénées, créé lui-aussi en 1967.

Jean-Louis grimpe aussi beaucoup. C’est son métier. L’Ossau, « nouste Jean-Pierre », est un massif plein de possibilités. L’andésite, proche du porphyre, dont il est fait, multiplie les petites prises et favorise l’escalade. Il ouvre plusieurs voies : la « voie Fouquier » du nom des clients avec qui il fait cette première sur la face est du rein de Pombie, la face sud de la pointe de l’Aragon, la prolongation de la « voie Jolly » appelée la « Super Jolly » qui va jusqu’au sommet de la Jean Santé et une voie à droite de la face ouest du Petit Pic. Il y a aura aussi, la « voie Emmanuelle » réalisée avec sa fille, âgée de 5 ou 6 ans au moment de son ascension : « elle était toute légère, je pouvais la hisser. »

Quand il ne parcourt pas son domaine, Jean-Louis aime inviter ses amis à partager le cadre magnifique de Pombie : derrière le lac et l’Ossau dominateur, devant les longs vallonnements du val d’Arrious.

Emmanuelle, de son côté, lorsqu’elle ne grimpe pas, joue avec ce que la nature lui procure. Elle attrape les têtards, les écrase, les fait sécher pour ensuite les coller sur son cahier et les peindre. Emmanuelle ramasse aussi des racines de réglisse qu’elle essaye de vendre, dès 3 ans, aux rares « passants ». La nature lui procure ses seuls jouets.

Une nuit, dans le petit refuge, les lits superposés se mettent à trembler : « arrête de faire bouger le lit ! ». Un énorme fracas de chute de pierres s’ensuit. Les choucas se mettent à « gueuler ». Une bénévole, qui dort dans le nouveau refuge, sort en courant, affolée : « Les jambons dansent ! ». La nuit, du 13 août 1967, a ses fantômes. Très vite, par le transistor à piles, la famille PÉRÈS entendra parler du tremblement de terre à Arette. Il n’y avait pas de téléphone à Pombie. Une île !

Fin septembre 1967, les travaux sont finis. Le refuge est inauguré en grande pompe. Deux à trois cents personnes sont présentes. Le sous-préfet arrive en hélicoptère. Des Cafistes viennent de toutes les Pyrénées et même de Paris. Parmi eux, le président du CAF de Pau : Monsieur LABADOT. Michèle est habillée en Ossaloise, comme de nombreux valléens présents. Beaucoup de bergers, vite devenus des amis, sont là. Un groupe folklorique anime la journée. Il aura fallu à Michèle et Jean-Louis 15 jours pour préparer la fête. Dès le lendemain, le calme et la quiétude retombent sur les lieux. Ils sont à nouveau chez eux.

Courant 1967, le refuge d’Ayous ouvre lui-aussi. Les effets de la mise en place du PNP (Parc National des Pyrénées) ne sont pas immédiats. A Pombie, Jean-Louis ne les ressentira qu’au bout de plusieurs années. Les touristes, attirés par le nouveau Parc, commencent par visiter les lieux les plus connus : Gavarnie, Pont d’Espagne et le Marcadau.

La première saison terminée, fin octobre 1967, Jean-Louis « descend » à Toulouse pour démarrer des études de dentistes. Il en sera ainsi pendant 5 ans. En 1972, le diplôme en poche, le couple ira s’installer en Andorre où Jean-Louis ouvre un cabinet. Vacances en été à Pombie, études le reste du temps à Toulouse !

Contractuellement, le refuge devait être ouvert à Pâques et pour Carnaval. Quand, il n’est pas disponible, Jean-Louis se fait remplacer par des copains de dentaire ! Personne ne monte, ils sont obligés de manger toutes les provisions !

Saison 1968 : encore plus calme que la précédente. Les ouvriers ne sont plus là. Isolés, là-haut, les PÉRÈS voient de loin les soubresauts de la nation française. Mai 68 est bien loin. Inquiet, Jean-Louis achète toutefois, en Andorre, un fusil et une paire de jumelles. On ne sait jamais si des « desperados » venaient à passer par là !

Face sud du Grand Pic, crédit : H. Butel

Le manque d’activité du refuge est compensé par l’activité de guide d’alpinisme ou de raid de Jean-Louis qui travaille aussi comme conseiller clientèle en magasin de sport. Michèle, de son côté, fait des remplacements d’infirmières et travaille, en hiver, comme « jardinière des neiges » à Font Romeu. Ces emplois cumulés permettent à toute la famille de tenir 5 ans à Pombie. Sans eux, cela n’eut pas été possible.

A Pombie, Michèle monte la garde au cas où du « monde » passe. De longues journées à attendre. Il n’y a pas de téléphone. Seul le courrier arrive à l’hôtel, chez Casadebaig, au col du Pourtalet. Rapidement, avec l’aide des bergers, elle apprend à faire de bonnes garbures. Le fromage de brebis atterrit bien logiquement sur la table, de même le grueil qu’elle apprécie particulièrement.

En 1970, la famille s’agrandit avec la naissance de Thomas. Il est baptisé, sur les berges du lac de Pombie, par le curé de Foix, l’abbé SIMORRE, entouré d’une assistance composée principalement de bergers… et de moutons !

Ses premières années se passent sur la « plage », au bord de l’eau. Laissé seul, c’est à Marquise, l’ânesse, que revient la garde du bambin. Si celui-ci vient à trop s’approcher de l’eau, elle le repousse du museau. Mieux encore, si le danger se précise, Marquise pousse alors de grands cris d’alerte à destination des parents. Qui a dit « bête comme un âne » ? D’ailleurs, quand la neige vient à tomber et couvrir le sol ou quand le brouillard arrive, Marquise, trouve toujours la voie plus rapidement que son guide.

L’ânesse fait partie intégrante de la famille. Non seulement, elle a la garde du jeune Thomas, mais c’est aussi à elle qu’il appartient de porter les plus lourdes charges, pour approvisionner le refuge. Jean-Louis doit toutefois l’entraîner. En début de saison, ce sera pour elle 60 kg, à la fin 100 kg. Pour le gardien, la charge commencera à 25 kg pour terminer à 50 kg.

Marquise sait aussi trouver sa nourriture dans les endroits les plus improbables. Un jour, elle ouvre, avec sa lèvre, un sac à dos laissé là à l’entrée du refuge pour y manger un chapeau de paille ! Le propriétaire écossais s’en souvient encore.

Fin octobre 1971, pour célébrer leur départ définitif les PÉRÈS organisent une fête. Ce jour-là, Marquise se « soule la gueule à l’Izarra » ! L’histoire ne retient pas s’il s’agit d’Izarra jaune ou verte.
D’autres animaux ne sont jamais loin. Bien avant que ne soit créé le Parc National, les isards sont protégés par une réserve naturelle nationale. Ils sont nombreux autour du refuge dès 1967. A force de les observer, Jean-Louis se rend compte que, quand le mauvais temps menace, ceux-ci descendent toujours juste sous la limite pluie/neige.

Un jour, en été 68, descendant sur Gabas, par le talweg qui court le long du ruisseau de Magnabaigt, Jean-Louis repère des traces de griffe. Un ours ? Il continue sa descente, sans faire de bruit, et… tombe sur l’animal qui, en le voyant, fait un bond et file à toute vitesse. Un peu plus tard, il sera à nouveau observé du côté du refuge de Pombie.

Les mulots s’installent au refuge dès que ses occupants ont terminé la saison. Au début de la suivante, les étiquettes des boites de conserves sont toutes mangées. Bien malin qui sait ce qu’il y a dans les boites : Choux ? Petits pois ? Haricots ou fruits au sirop ?

Les mulots ne sont pas les seuls à faire des ravages. Le frigidaire à pétrole n’est pas encore arrivé, le gigot est enfoui dans un névé pour le conserver. Michèle se laisse aller à la contemplation des nombreuses hermines qui jouent sur le névé jusqu’à ce qu’elle réalise, qu’elles ont creusé une galerie jusqu’au gigot dont elles se repaissent !

Les clients arrivent tout de même. Souvent, ils deviendront des amis. Un jour, de grandes clameurs proviennent de derrière la raillère, en direction du col de Suzon. Une famille, de 3 ou 4 personnes, avance péniblement. Jean-Louis les guide de la voix. Le père de famille est aveugle. M. DOUTREUWE est avocat à Rochefort. Sa femme qui l’accompagne est sa secrétaire. Elle lui tape les plaidoiries en braille. Ils veulent faire l’Ossau. Jean-Louis les y mène.

Une amitié va naître. Ensemble, ils feront le Balaïtous et le Vignemale. Encordé, M. DOUTREUWE est plus à l’aise avec les mains que sur les jambes. Un couple atypique qui eut 5 enfants. Il ne s’arrêta pas à la montagne puisqu’ils firent aussi du voilier. Beaucoup de courage pour l’un et l’autre.

Parmi les clients, les Espagnols sont présents dès le début. Franco règne d’une main implacable. Les « tricornios » (gardes-civils) gardent fermement la frontière. Les grimpeurs espagnols la passent alors « en douce ». « Fauchés, sans un rond », ils ne pénètrent que dans la partie non-gardée du refuge et dorment dehors. La passion du « Midi » est plus forte que tout pour eux.

Jean-Louis PÉRÈS et Michèle chez eux à Riglos

Une douzaine de Japonais arrivent au refuge. Ils portent tous des tongs au pied et ne parlent pas un mot de français, ni d’anglais ! Ils plantent une tente au bord du lac. Les PÉRÈS les invitent à manger. Plus tard, en guise de remerciements, quand ils seront de retour au Japon, ils enverront à Emmanuelle des livres et des poupées.

En montagne, le meilleur peut côtoyer le pire. Un jour apparaît, au refuge, un solitaire. Il veut grimper à l’Ossau. Jean-Louis lui indique comment rejoindre la voie normale. Ce qu’il ne sait pas c’est qu’il s’agit d’un malade mental sous sédatif. Il s’est échappé de chez lui sans médicament. On le retrouvera mort après trois semaines de recherche. L’emplacement de son cadavre laisse alors à penser qu’il était monté tout droit sur la face sud du Grand Pic. Le seul accident tragique en 5 saisons de gardiennage.

Cinq saisons passent. La famille PÉRÈS quitte son royaume au pied de l’Ossau. « Une des périodes les plus heureuses de ma vie » répète Jean-Louis. Michèle confirme. On veut bien le croire même si les années qui suivent, en Andorre, en Savoie, aux Antilles n’ont pas dû être désagréables non plus. Sans parler de sa vie actuelle, avec Michèle, dans sa « bergerie » située immédiatement sous les Mallos, à Riglos. Pombie, pour eux, c’était il y a 50 ans…

Bernard Boutin

PS : en 1973, Jean-Louis publiera, aux éditions ARTHAUD, un livre, écrit avec Jean UBIERGO intitulé « Montagnes Pyrénées ». En 1978, avec Robert OLLIVIER, il publiera, chez MARRIMPOEY à Pau, le premier livre sur la traversée des Pyrénées à ski sous le titre « A ski, de l’Atlantique à la Méditerranée par la haute route d’Hiver ».

Pombie, la saga des gardiens, l’intégrale : Acte 1, Acte 2, Acte 3, Acte 4, Acte 5