Gurs, un silence assourdissant

Tel est le titre du film d’Antoine Laura et Pierre Vidal qui constituait le cœur de la soirée exceptionnelle du vendredi 9 février au cinéma Le Mélies à Pau. Ce titre en forme d’oxymore est justifié par le fait que l’existence d’un camp de concentration au cœur du Béarn est fort peu connue, même si les offices de tourisme peuvent orienter les touristes vers ce lieu proche de Navarrenx. Mais après la Libération une forêt a été implantée sur le lieu du camp, de sorte qu’il est difficile d’appréhender l’ensemble de ce qu’a été le camp. Il a été vaste : 1500 m de long; 15 000 détenus y ont été hébergés simultanément et l’on estime que 60.000 à 65.000 personnes y ont transité ou y sont mortes, pour environ 1.000 d’entre elles. Le site est un véritable marécage et les vieilles personnes ont bien du mal à déambuler dans la boue. La nourriture est moins que chiche. La promiscuité et la saleté sont difficiles à supporter ; l’eau n’est disponible que de 6h à 8h du matin. Chacun des baraquements abrite une soixantaine de personnes adultes ou d’enfants. Que de souffrances évoquées par ces témoignages émouvants !

L’historien Claude Laharie détaille au cours de la discussion qui suit la projection du film les différentes phases du camp. Entre le 15 mars et le 25 avril 1939 le camp est créé pour héberger les réfugiés républicains qui ont fui la Catalogne. Il s’agit du déplacement de population le plus important de l’histoire de notre pays (500.000 personnes) en si peu de temps. Les intentions humanitaires (soulager les lieux d’accueil du Roussillon) y côtoient les aspects les plus révoltants, comme l’enfermement de membres des brigades internationales qui avaient combattu les premières avancées du fascisme et placé leurs espoirs dans la France. Quel reniement de l’idéal républicain ! Avec la guerre le camp se vide, mais à ces premiers occupants succèdent les indésirables du régime de Vichy : communistes, rouges, gitans, homosexuels, francs-maçons. Puis sont amassées des familles juives transférées au camp de Drancy puis aux camps d’extermination.

Cette dérive peut faire réfléchir à un moment où les hébergements d’urgence sont susceptibles d’être inspectés. Recenser les migrants pour avoir une idée aussi exacte que possible du phénomène migratoire peut se défendre. Mais ce recensement ne risque-t-il pas de conduire à une méfiance des migrants qui préféreront des campements sauvages au risque d’être refoulés du pays ? Il convient aussi de réfléchir au comportement de la population voisine ou non du camp, que la discussion a mis en lumière.

Jean-Paul Penot

« Gurs, un silence assourdissant »

AU MELIES VENDREDI A 20 HEURES 15

Vendredi à 20 heures 15, le cinéma Le Mélies de Pau présentera le film de Pierre Vidal et Antoine Laura « Gurs, un silence assourdissant ». L’historien Claude Laharie participera à un débat à l’issue de la projection. C’est l’occasion de découvrir pour la plupart des spectateurs un moment de l’histoire du Béarn tragique et encore trop méconnu. Un moment qui ne laissera personne indifférent car même si l’histoire ne se répète pas il est d’une terrible actualité.
Le camp de Gurs a été construit entre Oloron et Navarrenx sur une lande abandonnée et inhospitalière en quelques semaines en 1939. Il pouvait accueillir 15 000 personnes. Ce fut durant plusieurs années la troisième ville des Basses-Pyrénées après Pau et Bayonne. Ses habitants étaient tous des internés. Dans un premier temps ce furent les espagnols républicains qui le peuplèrent. Défaits par l’armée franquiste en hiver trente-neuf, ils trouvèrent là un refuge indigne de leurs conditions de défenseurs de la liberté. Après tout, n’avaient-ils pas défendu l’état de droit contre un régime factieux appuyé par l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie ? Ils surent pourtant malgré des conditions rudes s’organiser, lutter contre les mesquineries de l’administration et garder un moral qui permit à la plupart d’entre eux de survivre…

Quand ils quittèrent le camp, ils furent suivis par un contingent « d’indésirables », c’est ainsi qu’on les nommait : des juifs allemands pour la plupart, qui avaient fui la montée des nazis en 1933 et qui pensaient trouver un refuge en France. Parmi eux de nombreux intellectuels prestigieux comme la philosophe Anna Harendt. Le gouvernement Daladier n’avait rien trouvé de mieux que les parquer dans des conditions qui commençaient à devenir très dures en raison de la dégradation du camp. Ils furent ensuite rejoints par les victimes d’une rafle antisémite opérée par les nazis dans la région du Palatinat. Ce fut alors une hécatombe : plus de 1000 morts en quelques semaines, en raison du froid, de la faim, des conditions sanitaires très dures, avant le départ pour les camps de la mort dans des convois nocturnes. Les mères étaient alors séparées de leurs enfants, les personnes âgées chargées sans ménagement et chacun se doutait que la destination finale était la mort.

A la fin de guerre, il fallut oublier Gurs. Oublier que la gestion du camp avait été assurée par des français, oublier le marché noir qui profita à certain, oublier l’indifférence et surtout oublier les victimes puisque le cimetière lui-même resta longtemps à l’abandon. Oublier aussi la solidarité de quelques héros comme la jeune suissesse Elsbeth Kasser du Secours Protestant, « l’Ange de Gurs » qui âgée de 22 ans enfermée dans le camp elle apporta son soutien aux enfants. Pour oublier, on vendit à l’encan ce qu’il restait des baraques, on brûla les dernières planches et on planta une forêt qui masque encore les derniers vestiges de lieu de souffrance. Sur Gurs plana alors « un silence assourdissant »…

Lentement s’ouvre désormais le chemin du souvenir grâce aux travaux de Claude Laharie, grâce aussi aux actions de l’Amicale du Camp de Gurs pour ne pas oublier ce que fut le camp par ses proportions, sa violence, l’héroïsme de ceux qui ont survécu. Ainsi les souffrances subies par ceux qui sont passés à Gurs n’auront pas été vaines…

PV