«Il n’y a point de vent favorable pour qui ne sait en quel port se rendre.»(1)

Il faut reconnaître que la situation actuelle est caractérisée par la plus grande confusion, flou, incertitude. Cette situation ne peut plus durer : paralysie dans les ronds-points, radars au silence, circulation gratuite sur les autoroutes.. .chute des chiffres d’affaires… tout va bientôt rentrer dans l’ordre et chacun chez soi, avec ses problèmes et ses désillusions. Ce mouvement a mis face à face :

D’un côté, un pouvoir complètement sourd, avec une formation et une idéologie très loin de la vie des citoyens ; il en est résulté une surprise, un manque d’expérience, de compétence, de concertations avec les élus de base, de communications surtout ; au sein de l’exécutif, une certaine sournoiserie parfois !

De l’autre une spontanéité et un apparent manque d’unité dans les revendications des gilets jaunes. Je dis «  apparent » car l’analyse et la synthèse des propos des uns et des autres montrent qu’il y a un dénominateur commun visible sur les ronds-points. Dans la manipulation de l’immédiat, de la colère, la plupart réagissent à l’émotion personnelle et ne sont pas à même de l’exprimer.

C’est le besoin de plus en plus impérieux de donner un sens à la vie de tous ces laissés pour compte de la société individualiste au logiciel basé uniquement sur le quantitatif.

D’où le titre du texte.

Ces gens de toute la France dite périphérique veulent retrouver du collectif, ils veulent faire revivre un monde abandonné, le village, le bourg avec ses services publics, ses cafés, ses centres de discussion, ses agoras, composantes essentielles de la cité, à tel point qu’Aristote traita les barbares de non-civilisés, car ils n’avaient pas d’agora (LERM à méditer !).

C’est un manque total de considération, de respect,… ; on fait comme si on n’existait pas ! en bref c’est un SENTIMENT qui résulte d’une accumulation de colères (émotions) diverses, suivant la situation de chacun, mais collectivement réunies, face à toutes les inégalités imposées, les promesses non tenues depuis des années par les politiques, les actions corporatistes verticales et pyramidales, contenues, dirigistes, aux résultats insignifiants, des syndicats, le constat que la casse, hélas, devient la seule solution pour se faire entendre… Comme c’est triste !

Le gouvernement veut transformer du qualitatif en quantitatif, les gilets jaunes ne demandent pas la charité ; le «ce n’est pas votre problème», la colère, la douleur, ne se monnaient pas, elles nécessitent un autre traitement qualitatif donc un autre logiciel de gouvernance.

Que penser du quantitatif ?

Devant les propositions annoncées dernièrement par le Président, il y a, pour certains, un étonnement, un agacement inquiet même, de voir l’enlisement et les dommages collatéraux coûteux qui en résultent ; comment se fait-il qu’avec de tels efforts financiers, le calme ne soit pas revenu ??

Qu’en est-il actuellement dans la presse ?

Le Parisien :

Emmanuel Macron a promis que les salariés au Smic verraient bien une hausse de 100 euros en janvier.

Libération :

«Cette attribution de 100 euros est composée ainsi : 20 euros de hausse mensuelle gagnée en deux temps, sur 2018 grâce à la baisse des cotisations salariales, une dizaine d’euros de hausse déjà accordée à l’automne 2018 sur la prime d’activité, et près de 70 euros d’augmentation de la prime d’activité début 2019, comprenant à la fois la hausse déjà prévue et votée pour le printemps 2019 (30 euros), mais aussi celles de 20 euros attendues pour 2020 et 2021.

En réalité, c’est surtout la prime d’activité qui va augmenter dans ces 100 euros. Mais surtout, il ne s’agit pas de 100 euros en plus en janvier 2019 par rapport à la situation actuelle : ce montant intègre en effet des hausses qui ont déjà eu lieu, et d’autres qui étaient déjà prévues, mais de manière plus progressive.»

BFMTV

«L’exécutif avait choisi la prime d’activité, une aide sociale versée aux salariés et indépendants à bas salaire (entre 0,5 et 1,2 fois le Smic). Sauf qu’en pratique, seule une partie des salariés au Smic touche cette prime d’activité, soit parce qu’ils ne la demandent pas, soit parce que le revenu de leur conjoint leur fait franchir les plafonds.»

Enfin, comment tenir compte des cas particuliers nombreux comme les salariés qui cumulent des temps partiels auprès de plusieurs employeurs ou encore ceux qui vont avoir droit à des heures supplémentaires défiscalisées et qui dépasseront peut-être le plafond actuel ?

Le Parisien

«Quoi qu’il en soit, les futurs bénéficiaires – autour de 2,66 millions de foyers – devront en faire la demande auprès de la Caisse d’allocations familiales. Et c’est bien là que le bât blesse. « Au regard du fonctionnement de la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf), il faudrait six mois pour que la mesure devienne effective », ont fait savoir les fonctionnaires à Bercy. Une mesure effective, donc, en juin ?»

Un bricolage est envisagé par l’exécutif pour donner l’impression de tenir parole.

Faudra-t-il que les salariés remercient les grosses entreprises, Total en tête, pour leur générosité de fin d’année ? Cette charité est vraiment la preuve qu’il n’y a aucune recherche pour injecter de l’égalité. Il faudra pardonner l’absence bien compréhensible de cette prime de fin d’année de la part des petites entreprises, certains de ces directeurs ayant d’ailleurs enfilés des gilets jaunes !

Comment vont faire les artisans, les auto-entrepreneurs, les chômeurs, les indépendants pour se verser une prime de fin d’année ?

Défiscalisation des heures supplémentaires : pertes pour l’État, gains pour certains, chômage pour ceux qui pouvaient faire ces heures ; là encore inégalités car les ci-dessus citoyens ne font pas d’heures sup., ou plutôt en font gratuitement.
Une catastrophe pour les petits commerçants peut-on lire et entendre !

C’est tout à fait exact, la chute des ventes est énorme, tout le monde en est conscient, c’est navrant… mais peut-être que ceux qui s’élèvent, de partout, pour le dénoncer et rejeter la faute sur les gilets jaunes, auraient pu le faire depuis longtemps alors que des milliers de petits commerces et leurs employés ont disparu quand les municipalités ont laissé s’implanter les grandes surfaces périphériques !!

Serions-nous plus compréhensifs pour les uns que pour les autres ?

Le référendum d’initiative populaire ne me semble pas une bonne solution car on ne peut pas gouverner en zig zag, au coup par coup : cependant un vote de confiance de tous les Français au gouvernement, à la mi-mandat, pourquoi pas !

Je ne peux m’empêcher, à cette occasion, de rappeler les propos prémonitoires de Michel Serres : «Un nouvel humain est né : petite Poucette»

«Il ou elle n’a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, avec la même langue, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n’habite plus le même espace.»

Il l’appelle Petite Poucette, et Petit Poucet pour leur capacité à envoyer des SMS avec le pouce, à développer des interrelations et interactions par un «jeu de mains» sur les claviers d’ordinateurs ou autre télécommande. Ces jeunes d’aujourd’hui vivent un tsunami tant le monde change autour d’eux. Pour M. Serres, c’est une période d’immense basculement.

«Tout le monde veut parler, tout le monde communique avec tout le monde en réseaux innombrables.»

«Ce chaos remplit tout l’espace, un véritable mouvement brownien ! A la nouvelle démocratie du savoir correspond, pour la politique générale, une démocratie en formation, qui demain s’imposera.»

«Concentrée dans les médias, l’offre politique meurt, elle n’offre plus aucune réponse, elle est fermée pour cause d’inventaire.»

«Vous vous moquez , dit petite Poucette, de nos réseaux sociaux. Avez-vous jamais réussi à rassembler, sans contraintes, des groupes aussi considérables ? Vous redoutez qu’à partir de ces tentatives apparaissent de nouvelles formes politiques qui balaient les précédentes, obsolètes !! Pouvez-vous rester fiers des résultats de vos politiques passées ?

«Armée, nation, église, peuple, classe, prolétariat, famille….,voilà des abstractions maintenant, volant au dessus des têtes. Incarnées, dîtes-vous ? Certes, sauf que cette chair humaine, loin de vivre, devait souffrir et mourir. Sanguinaires, ces appartenances exigeaient que chacun fît sacrifice de sa vie : martyrs suppliciés, femmes lapidées, hérétiques brûlés vifs, prétendues sorcières immolées sur les bûchers, voilà pour les églises et le droit ; soldats inconnus, alignés par milliers dans les cimetières militaires, liste longue de noms sur les monuments aux morts, en 14-18 : presque toute la paysannerie ; voilà pour la Patrie ; camps d’extermination et goulags, voilà pour la théorie folle des «races» et la lutte des classes ; quant à la famille, elle abrite la moitié des crimes, une femme mourant chaque jour des sévices du mari ou de l’amant ; et voici pour le marché : plus d’un tiers des humains souffrent de la faim pendant que les nantis font des régimes.»

Petite Poucette ne demande la mort de personne, elle veut seulement que cela change.

(1) Sénèque (complété par Montaigne pour la métaphore maritime)

Signé Georges Vallet

crédits photos:http://www.tite-asuka.fr

Balade paloise

Selon Brassens, il y a des jours où Cupidon s’en fout. Pour ma part, il m’arrive de ressentir parfois le même abandon. Mon inspiration me délaisse et cette semaine du mois d’août, j’avoue que ma plume a besoin d’être particulièrement tancée pour parvenir à alimenter les colonnes d’Alternatives Pyrénées. Alors j’ai pris mon vélo, pardon ma bicyclette.

Ce qu’il y a de bien avec ce fringant coursier c’est que l’esprit vagabonde et ne se laisse pas distraire par ce qui l’entoure. C’était ce quinze août 2017, et j’avais projeté d’aller sur le boulevard des Pyrénées pour voir ce que la ville nomme « Boulevard en fête ». Cette manifestation que je trouve sympathique à plus d’un titre devait se dérouler entre 15 h 00 et 19 h 30. Oh n’exagérons rien, les artisans d’art qui exposent ne sont pas tous à proprement parler des artistes mais il arrive ici ou là de trouver quelques idées et aussi de s’inspirer pour réaliser des objets comparables. Pas toujours facile !

Alors en avant. Entre mon domicile et le centre-ville, il y a environ cinq kilomètres. C’est plat et, hormis quelques difficultés résultant des travaux et des ronds-points, il faut à peu près vingt minutes pour parcourir ce trajet, sans trop se presser.

Une anecdote : rue Carnot, je suis doublé par une voiture de police. De la police nationale s’il vous plaît ! Lorsqu’elle arrive au feu du carrefour de la rue Pasteur, celui-ci qui ne respecte rien, même pas l’autorité, passe au rouge et la voiture ne s’arrête pas. Pensez-donc, une voiture de police qui grille un feu rouge, ce 15 août vers 15 h 15, c’est un spectacle. Néanmoins je m’efforcerai de ne pas l’imiter, l’exemple ne vient pas toujours « d’en haut ».

Alors je continue, rue Serviez, place Clemenceau, rue Saint-Louis, place Royale et, enfin, le boulevard des Pyrénées. Et là, je vous le donne en mille, il n’y a pas plus d’artisans créateurs et de peintres que de beurre en branche. Imaginez ma déception ! Enfin soyons réalistes. Je suis étonné tout au plus. Pourtant, je n’ai pas rêvé ! Le site officiel de la ville de Pau, le journal Sud Ouest (15/8/2017 – page 16), le journal La République (15/8/2017 – page 31), à l’unisson nous annonçaient : « aujourd’hui, le boulevard en promenade, le long du boulevard des Pyrénées, exposition d’artisans créateurs et de peintres de 15 h à 19 h 30 sur fond musical gratuit ». Donc j’ai parcouru le boulevard jusqu’au parc Beaumont et suis revenu pour prendre un pot dans le centre de la ville. C’était calme, quelques magasins étaient ouverts, mais il n’y avait pas foule. C’est vrai qu’un quinze août…

Avec mon vélo, pardon, ma bicyclette, j’ai décidé de regagner mes pénates. Au fait pourquoi ai-je commencé mon récit en vous parlant de Brassens et de Cupidon ? Ah oui ça y est, c’est à cause de Philippe Delerm et de son livre « La première gorgée de bière » (Gallimard – collection l’Arpenteur). A la fin, il se trouve un chapitre intitulé : « La Bicyclette et le vélo». Après une comparaison bien sentie entre ces deux véhicules, il conclut : « On naît bicyclette ou vélo, c’est presque politique. Mais les vélos doivent renoncer à cette part d’eux mêmes pour aimer – car on n’est amoureux qu’à bicyclette ». Il est ici mon Cupidon !

Pau, le 16 août 2017
Joël Braud