« Il faut sauver les Grands Prix de Pau ! »

Interview de François Loustalan

Questions/réponses

Pourquoi avez-vous accepté de répondre à nos questions maintenant ?

L’avenir des Grands Prix est clairement en jeu. De nos jours, une manifestation qui a besoin de 2 millions de financements publics doit – et c’est tout à fait normal ! – répondre à de très fortes exigences en termes de qualité, mais aussi de fréquentation et de relais médiatique. Elle doit aussi reposer sur une relation de confiance sans faille avec les contribuables et donc avec tous les élus qui les représentent, ainsi qu’avec les partenaires qui investissent dans l’événement. Sur ces deux plans, les financements publics et la confiance, les Grands prix sont évidemment en danger si rien n’est changé.

Ne va t-on pas vous reprocher cette prise de parole ?

Peut-être, et même très certainement. On va probablement m’accuser de mettre en danger le Grand Prix. J’ai observé, écouté beaucoup de monde… et cela m’a convaincu de la nécessité absolue de rouvrir le débat, sans tabou, sans polémique, et, à mon sens, la Communauté d’agglomération devrait y associer les habitants. Il me semble que c’est une exigence incontournable au regard des deux points évoqués précédemment.

Vous vous exprimez en tant que président de l’Automobile-Club ?

Non, absolument pas. Parce qu’aujourd’hui l’Automobile Club Basco-Béarnais (ACBB) n’est pas impliqué dans l’organisation des épreuves. C’est l’Association sportive (AS ACBB), créée par l’Automobile Club, qui est aux commandes. Si auparavant, les mêmes personnes étaient à la tête des deux associations, désormais, les deux associations fonctionnent de manière indépendante, même si l’ASAC est locataire de l’ACBB.

Alors à quel titre parlez-vous ?

J’ai, pendant des années, côtoyé certains des fondateurs du Grand Prix, ainsi que des responsables de l’Automobile-Club qui ont construit les heures de gloire du Grand Prix, contre vents et marées, parfois dans les pires conditions. Il faut savoir qu’à plusieurs reprises, ils ont comblé eux-mêmes les déficits, avec leur argent personnel. Ce sont eux qui ont fait venir à Pau les plus grands pilotes du monde, avec l’équivalent de la Formule 1. Nous leur devons – et à eux seuls – la réputation du Grand Prix de Pau. A ce titre, je me dois d’apporter un témoignage pour porter ce qui était leur très fort attachement à ce Grand Prix, véritable patrimoine du Béarn. Je m’exprime aussi comme simple citoyen palois, à titre personnel.

Revenons au coût des Grands Prix. Quel est le problème ?

Même si les chiffres précis ne sont pas communiqués, on sait que le coût total des Grands Prix est d’environ 2 millions d’euros par an : une partie sous forme de subvention, l’autre partie en prestations pour aménager le circuit. Il s’agit donc de l’argent des contribuables de Pau et de l’agglomération. Or aujourd’hui, face aux réductions budgétaires imposées par l’Etat, les Villes et les agglomérations sont obligées de couper sérieusement dans leurs dépenses et même dans leurs aides au tissu associatif. La comparaison avec Bayonne est intéressante. La Municipalité vient de prendre une décision lourde en décidant de faire payer ses Fêtes aux participants non Bayonnais. Une décision impopulaire, mais nécessaire pour réduire le coût des Fêtes de Bayonne qui est de 2 millions d’euros.

Autant que le Grand Prix de Pau…

Exactement. Et c’est là qu’est le problème. Certes, les Fêtes de Bayonne coûtent 2 millions d’euros, mais elles attirent 1 million de personnes et apportent une notoriété majeure à la Ville, avec de très nombreux relais dans des médias du monde entier. Les retombées sont considérables et internationales. De leur côté, les Grands Prix coûtent également 2 millions d’euros, mais désormais pour une fréquentation réduite et sans relais médiatique, hors local. Alors, tôt ou tard, si rien n’est remis en question, la Ville et l’Agglo n’auront pas d’autre choix que de dire stop aux Grands Prix. Si Bayonne remet à plat un événement pourtant de réputation mondiale et extraordinairement populaire, Pau ne pourra pas faire longtemps l’économie d’un vrai débat.

Pourquoi parler de confiance ?

Quand l’argent public est engagé à un tel niveau, il faut une large adhésion des contribuables, des élus qui les représentent et des partenaires qui financent. Cette confiance repose avant tout sur la crédibilité des critères de base qui permettent de justifier ces financements publics : notamment la fréquentation (locale, nationale et internationale) et la médiatisation. Sur ces deux points, ce n’est pas rendre service à l’avenir du Grand Prix de ne pas regarder la vérité en face.

C’est-à-dire ?

Pour la fréquentation, il n’est pas raisonnable d’annoncer 53.000 personnes pour l’édition 2018, comme cela vient d’être fait. Ceux qui fréquentent le stade du Hameau, savent ce que représentent 15.000 personnes en termes d’embouteillages et de problèmes de stationnement. Ils visualisent ce qu’est une foule de cette importance. Il n’est vraiment pas raisonnable d’affirmer que les Grands prix ont attiré cette année l’équivalent de 4 fois le stade du Hameau. Au contraire et malheureusement, les contribuables, les élus et les partenaires ont pu constater de leurs propres yeux que le public était absent des gradins et de la palmeraie lors du grand prix moderne. Il y a eu plus de monde lors du grand prix historique, avec le beau temps, mais certainement pas 25.000 personnes comme annoncé. Comme chaque dimanche de beau temps, il y avait du monde qui se promenait sur le boulevard des Pyrénées. Mais pour autant, beaucoup d’entre-eux ne sont pas rentrés dans l’enceinte du circuit.

Les vrais chiffres sont-ils si difficiles à connaître ?

Pas du tout, c’est très simple. Chaque personne qui rentre sur le circuit doit être munie d’un billet (payant ou gratuit) ou d’un pass personnalisé, comme pour un match de rugby ou de basket. Il suffit que la Communauté d’agglomération demande communication des résultats réels de la billetterie pour donner la bonne information aux Palois et aux habitants de l’agglomération. Que dirait-on si la Section Paloise annonçait 53.000 personnes pour un match au Hameau ? On peut imaginer qu’elle perdrait instantanément la confiance de ses partenaires et de son public.

Qu’en est-il du relais médiatique ?

Il est désormais très faible, sauf au niveau local où des budgets significatifs sont apportés aux médias. Lors de la conférence de presse de présentation des Grands Prix à Paris, le principal média présent était… Pyrénées-Presse, invité à faire le déplacement. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui le Grand Prix ne bénéficie d’aucun relais médiatique, si ce n’est quelques lignes sur les résultats d’une course dans les brèves de rares publications spécialisées. Certains ont cru que les télévisions étaient présentes, mais il n’en était rien. Il ne s’agissait que d’une retransmission à l’intérieur du circuit pour les partenaires et une partie du public, avec une diffusion complémentaire sur Youtube.

Que faut-il faire ?

Il n’y a pas 36 solutions, il faut ouvrir le débat, sans polémique et de manière constructive, pour remettre à plat l’organisation du Grand Prix. Vu l’importance du financement public, cela ne peut pas se faire en petit comité. Il y a nécessité d’associer très largement les habitants de l’agglomération, ainsi que les principaux acteurs de la vie locale. Il y a obligation de faire émerger des idées différentes de celles qui n’ont pas fonctionné ces dernières années, pour retrouver de nouvelles ambitions populaires et médiatiques. Cela passe, bien entendu, par la recherche de nouvelles compétences. Il en existe. Encore une fois, quand 2 millions d’euros d’argent public sont engagés, cela n’a de sens que s’il y a un public très nombreux et réel ainsi que des retombées médiatiques, au minimum nationales, consistantes et réelles. Il ne faut surtout pas que le Grand Prix se réduisent à un noyau d’initiés, à un entre-soi qui sera tôt ou tard condamné à l’échec.

Vous y croyez ?

Bien sûr. Pour en avoir largement parlé avec des personnes très variées, je suis plus que jamais convaincu du potentiel des Grands Prix. Mais à condition qu’il y ait une profonde remise en question, comme cela se fait dans tous les domaines. Par contre, si l’on continue dans la voie actuelle, il est évident que les Grands Prix sont en danger ou le seront à très brève échéance, malheureusement. J’en parle d’autant plus librement que je ne cherche rien dans l’affaire qu’à tirer la sonnette d’alarme comme doivent le faire tous ceux qui aiment le Grand Prix et qui sont attachés au patrimoine qu’il représente.

Et les Casetas ?

Rien à voir. Je préfère ne pas mélanger. L’Automobile-Club s’est exprimé dans un article sur son site*. Il s’indigne d’avoir été dépossédé par la Ville d’un événement qu’il a créé et développé pendant 7 ans, sans faire appel à des financements publics. L’ACBB s’exprimera à nouveau, en temps utile, en fonction des retours que l’association aura ou pas de la part de la Ville.

Les médias locaux sont bien silencieux…

C’est leur problème. Aux journalistes de juger s’ils sont véritablement en accord avec l’éthique de leur profession ; s’ils sont capables d’agir en toute indépendance par rapport aux budgets qu’ils reçoivent de la Ville et de l’Agglo, ou encore par rapport à leurs relations commerciales avec le promoteur actuel des Grands Prix.

Pau, le 25 mai 2O18

Propos recueillis par Joël Braud

* https://www.automobile-club-64.info/acbb2/

Les grands prix de Pau

Sans avoir la prétention d’écrire l’histoire du grand prix de Pau et même des grands prix, il est intéressant de découvrir comment se mettent en place certaines dispositions concernant l’organisation de l’événement. On est loin de la compétition elle-même. Ou quand les politiques s’en mêlent.

Le grand prix de Pau connait cette année, sa 77 ème édition. Il a rencontré quelques péripéties, pas si lointaines d’ailleurs. Qui se souvient que cette compétition n’a pas eu lieu en 2010 ? Martine Lignières-Cassou, maire de Pau, élue en 2008, annonce le 15 octobre 2009 qu’elle a décidé de suspendre l’épreuve automobile de 2010. Il s’agit de revoir les conditions de l’organisation d’un événement qui coûte à la ville la bagatelle de 2,2 millions d’euros. « Nous ne pouvons pas continuer comme cela, sinon c’est la mort assurée du Grande Prix » dit-elle. Parce qu’elle fait le constat que l’impact tant économique que médiatique ne répond pas à ce que l’on peut en attendre, elle considère qu’il faut « rebâtir » l’épreuve sportive (La République des Pyrénées du 7 mai 2010).

Il faut donc faire des économies. Pour cela elle lance un appel d’offre pour assistance à maîtrise d’ouvrage en vue du Grand prix de 2011. Le prestataire retenu devra lancer une mise en concurrence pour sélectionner le promoteur. Ce dernier devra réduire le coût pour la ville et prendre le risque à la place de l’ASAC (Association sportive de l’automobile club basco-béarnais, présidée par Joël Do Vale) et de la ville. C’est l’ancien préfet, Gilles Bouilhaguet qui remporte l’appel d’offres. Assisté de Bruno David, connu dans le milieu du sport automobile, il reçoit pour mission de refonder le Grand prix. Le rapport était public et chaque candidat a pu s’en servir. Le principe essentiel de celui-ci était que la ville s’engageait pour un montant plafonné et se dégageait de la couverture des éventuels déficits. Deux autres candidats étaient sur les rangs, Eric Dournès de Créa-Sud communication et Pascal Sayous de Centaure production.

http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2010/05/07/grand-prix-de-pau-le-marche-pour-l-ancien-prefet-bouilhaguet,135476.php

En 2010 un appel d’offre est lancé par l’Agglo et la ville afin de sélectionner officiellement le promoteur. C’est Peter auto de Patrick Peter, déjà promoteur du Grand prix historique, qui est choisi face à Créa-Sud Communication. Pour résumer l’ASAC est l’organisateur officiel et incontournable. Cette association est titulaire d’une licence de la fédération française des sports automobiles. Une convention à trois est alors signée entre l’Agglo, l’ASAC et le promoteur Peter auto. Celle-ci précise que c’est le promoteur qui assurera la responsabilité des deux Grand prix, le Grand prix de Pau et le Grand prix historique. Autrement dit, si déficit il y a, il sera épongé par le promoteur. La communauté d’agglo versera une subvention annuelle de 250 000 euros à l’ASAC. A cette subvention viennent s’ajouter des coûts de mise à disposition du circuit. La facture qui se montait en 2009 à 2,2 millions d’euros, ne dépassera pas 1,7 million d’euros en 2011.

Restent différents points dont les animations. La mairie ne les finançant pas, il faut trouver un partenaire. Cela n’est pas chose facile et c’est l’ACBB (Automobile club basco-béarnais) qui accepte cette charge sur proposition de l’ASAC qui a un rôle de coordination. Ces animations, les fameuses casetas, devront donc s’autofinancer. Dans une interview du 21 septembre 2010, Joël Do Vale se dit satisfait que le Grand prix revienne.

http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2010/09/21/l-acte-de-naissance-du-gp-2011,156923.php

En marge de ces dispositions, Créa-Sud Communication dépose un recours devant le tribunal administratif. Face à l’attribution du marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage par l’Agglo à Gilles Bouilhaguet Consultant, il demande une indemnisation qu’il situe à hauteur de 128 000 euros. Il n’obtiendra pas satisfaction.

Après un délai de trois ans, Peter Auto décide de renoncer. Il doit faire face à des déficits et la ville n’accepte pas de modifier les termes de la convention. En 2014, dans la plus grande discrétion, le marché de promoteur est confié à Créa-Sud Communication. La ville finance l’événement à un niveau supérieur à 2 millions d’euros. On n’a pas le souvenir d’une mise en concurrence. Cette année en 2018 la formule 3 sera pour la dernière fois au départ du Grand prix de Pau

Pau, le 8 mai 2018

par Joël Braud

Crédit image : la republique des pyrenees.fr