Dernièrement, dans «Jusqu’où et jusqu’à quand ?(2) », M.Braud intervenait sur le forum : «je retiens deux choses, d’une part les reproches adressés à la hiérarchie qui est accusée de carriérisme et l’impotence des syndicats et des politiques qui ont été surpris et dépassés par un climat qu’ils n’ont pas su détecter.»
Il touchait un point sensible !
Pour moi, il ciblait deux problèmes de fond qui sont présents depuis très très longtemps, toujours étouffés, et qui sont entrain d’exploser par le ras le bol de ceux qui sont au contact de la réalité qui s’aggrave.
Naturellement, la politique s’en empare, c’est misérable, car cela sème la discorde, le discrédit…, sur la réalité et la justesse de ces malaises exprimés. Les extrémismes explosent.
Comme c’est la police qui réagit, l’attention est grande mais le problème n’est pas limité aux policiers, il est général dans toutes les sphères ou règne une hiérarchie qu’elle soit publique ou privée.
Je me limiterai à la sphère enseignante où je me sens légitime pour pouvoir témoigner, du fait d’une certaine expérience.
>Avant de développer, je me permettrai de substituer, dans le texte, pour les syndicats, entre autres, le terme de «su détecter» par «voulu détecter» car ils sont encore plus près de la base que la hiérarchie, les délégués syndicaux du personnel, à la différence des «inspecteurs», sont des enseignants en activité. Ils n’ignoraient rien, mais eux aussi ont des problèmes de hiérarchie verticale donc de filtration aux différents niveaux. Les syndicats sont de plus en plus rejetés car ils sont de moins en moins la courroie de transmission des besoins des acteurs de la base.
>Je peux témoigner, pour avoir vécu tout au long de ma carrière, parfois, au contact d’enseignants en difficulté, dans leur classe et en dehors, et de la façon dont ils étaient perçus et traités.
De l’aide ? Il ne fallait pas trop y compter. De la compassion ; parfois hélas, un sourire sur les lèvres! Bien des collègues souhaitaient intervenir mais comment ? C’est difficile, d’autant plus que l’intéressé, en souffrance, fuit, gêné, n’osant pas se livrer.
Dans une classe, on est seul(e).
S’il y a un problème de discipline, il est du ressort de l’administration ; le renvoi d’un ou plusieurs élèves d’une classe est soumis à un contingentement (!) dans le temps, car on ne sait qu’en faire et ce n’est pas «pédagogique» ! Il faut vivre avec. Le rejet de l’établissement ou le changement de classe ne fait que déplacer le problème !
Depuis, «pour arranger les choses», les surveillants qui circulaient pour « surveiller », et rentraient dans les classes pour relever les absents par exemple, ont été supprimés ; si les parents d’élèves interviennent, l’administration s’efforce d’étouffer l’affaire, se retourne souvent sur «le ou la responsable !», conseille éventuellement une prise de congé, l’absentéisme diraient certains !
Surtout, pas de vague, si la hiérarchie apprend quelque désordre, cela retombe sur le chef d’établissement, et ainsi de suite en remontant, alors : motus et bouche cousue !
Je pourrais multiplier les exemples d’agression d’enseignants dans leur classe ou à l’extérieur : dans un collège professionnel, à Toulon, un enseignant avait invité, un samedi soir, des collègues d’éducation physique, pour «réceptionner» des élèves de troisième dont il prévoyait la visite à son domicile !
Dans un collège du Var, c’est une enseignante d’espagnol qui s’est suicidée ; conclusion de la direction : «elle était fragile !».
Les policiers seraient-ils aussi fragiles !
Faut-il, pour diffuser la connaissance et apprendre à vivre ensemble, ne plus avoir des têtes bien faites mais des corps bien musclés ?
Les injures verbales, ou gravées sur les tables, ou écrites sur les murs des couloirs, ou envoyées par courrier anonyme, les pneus crevés, les crachats ou les jupes soulevées dans les escaliers…., sont les comportements habituels dans certains établissements, (depuis le port du pantalon pour les femmes s’est généralisé !).
Tout ceci, naturellement, avec une défense absolue, là aussi, d’utiliser «des armes personnelles» : une bonne gifle ou un coup de pied aux fesses !
Comme chez les fonctionnaires de police, la peur au ventre décrite par les manifestants policiers, à C dans l’air, existe aussi chez des enseignants ! le « ressenti » par la population n’est pas le même !
Certains, plus au courant que d’autres, soutiennent qu’il faut, dans la formation (de plus en plus sommaire car c’est coûteux) des enseignants, apprendre à imposer une autorité !
Après la guerre d’Algérie et les conséquences du boum des naissances, l’éducation nationale s’est trouvée en déficit de professeurs de maths et de physique ; on a alors recruté, au lycée de Toulon, en première et terminale, des officiers de marine (ils y étaient nombreux !). Je n’ai jamais entendu pareil chahut dans les classes d’un officier d’artillerie de marine !
L’autorité ne fait pas tout !
Les inspecteurs sont là pour imposer des méthodes pédagogiques conçues dans des centres de recherche par des intellectuels qui n’ont aucune idée «du terrain». On juge l’application de la méthode, on note, et rien de plus !
Naturellement, il ne faut pas généraliser cette obscure clarté ; comme pour la police, les enseignants ne sont pas agressés dans tous les quartiers ni dans tous les établissements scolaires ; certains sont mieux situés que d’autres et d’autres trient !
Non la hiérarchie n’a jamais vraiment soutenue ses troupes, elle s’est soutenue elle-même ! Depuis, le fossé s’est creusé entre ce qu’on appelle la base qui agit et la tête qui pense à autre chose : la rentabilité, les chiffres, le pouvoir, la reconnaissance, la promotion dans la carrière….
A trop tirer sur la ficelle un jour elle se coupe !
Signé: Georges Vallet.
Credit photos:www.icem-pedagogie-freinet.org