Le Sud

« Pau ville anglaise », voilà un slogan surprenant pour qui n’est pas Palois « de souche » -comme on dit dans certains milieux politiques. Or Pau n’est plus constitué majoritairement de Palois d’origine. C’est une vision « provincialiste » que de le croire. En réalité, comme les autres villes importantes d’Aquitaine, Pau vit un brassage perpétuel de population. Plus peut-être que d’autres car Total a drainé une population venue de toute la France –voir d’autres pays-, comme Turbomeca et l’UPPA a un rôle d’attractivité, attirant une population jeune pour l’essentiel qui vient de l’extérieur de la ville.

« Pau ville anglaise », à tous ces Palois nouveaux venus cela ne dit rien. Certes cela fait référence à un passé décrit comme prestigieux, celui du Pau Hunt et du Cercle anglais. Une histoire particulière qui date du début du siècle dernier. La population locale, sauf exception, était remisée au second plan passant les plats à la gentry anglo-saxonne. Cette dernière, anglaise puis américaine, conférait un certain éclat à la vie mondaine de la cité. De cette période éloignée désormais, il reste un patrimoine architectural unique –le casino, les villas de Trespoey- ou émouvant comme cette partie du cimetière palois où il faut se promener entre les tombes des aristocrates anglais : monuments poétiques et discrets.

Bon ! Mais aujourd’hui qu’avons-nous de commun avec l’Angleterre ? Albion se sépare lentement du continent et quittera bientôt l’Europe –en bon terme, souhaitons-le ! C’est son choix, un choix démocratique -à quoi sert de le contester ? Tournons-nous donc vers d’autres horizons. Nous sommes une ville de piedmont et nous avons, de l’autre côté des montagnes, une grande nation : l’Espagne un pays qui a soif d’échanges et de reconnaissance.

Pour beaucoup de Palois, c’est encore un pays en proie à une sorte de fragilité politique : la crise catalane en est l’ultime symptôme. Elle a fait long feu, les indépendantistes se sont décrédibilisés aux yeux des pays européens par leurs palinodies et leurs divisions internes. Ces soubresauts parfois violents s’inscrivent dans une sorte de continuum chaotique de la politique espagnole qui a su, pourtant, sortir de la crise basque par le haut ; preuve de sa maturité. L’Espagne c’est aussi, plus simplement, un autre monde avec une autre langue, d’autres coutumes, dérangeantes pour certains mais si enrichissantes en réalité car elles nous offrent un dépaysement profond à moins de 80 kilomètres…

Bien peu a été fait pour favoriser les relations trans-pyrénéennes et aller de Pau à Saragosse en transport en commun relève de l’exploit –deux villes jumelées pourtant-, comme il est impossible de trouver sur l’agglomération paloise un seul établissement scolaire proposant aux jeunes l’Espagnol en première langue. Les montagnes sont faites pour être franchies par les plus entreprenants : les tunnels, les ponts, les échanges ou les visites sont là pour ça. Les Alpes n’ont pas freiné le développement économique de la Suisse pays pauvre encore au début du XXème siècle avant de se doter d’infrastructures reliant ses vallées entre elles.

Le peu d’appétence des édiles palois qui se sont succédés à l’égard de nos voisins du sud surprend. Aucun projet commun ; aucune perspective de travail ensemble ; aucune prise de position forte sur la nécessité d’améliorer les liaisons routières ou ferroviaires entre ces deux grandes nations. Tandis que sur la côte, de Bayonne à Saint-Sébastien se constitue une grande agglomération franco-espagnole -faut-il dire basque ?- entièrement connectée. A Pau croit-on en une sorte de développement autocentré ? Voit-on le Béarn comme une exception dans la compétition territoriale ? En conclut-on que bâtir des ponts, susciter des alliances ça n’est pas nécessaire ? Où est la vision ? Le projet ? Discourir sur l’Europe c’est bien, poser des actes concrets c’est mieux.

Tendre la main à nos voisins du sud c’est désormais une nécessité. Un jour nous devrons dire « Pau ville espagnole ».

Pierre Vidal

crédit photo : Le pont du troisième millénaire (dp_zaragoza_dg)