Itinérance immorale

La semaine d’itinérance mémorielle du président de la République s’est terminée en une lamentable itinérance immorale avec de nouvelles polémiques autour de cet hommage appuyé à Pétain –déchu de ses prérogatives de maréchal. Cela fait dire à Mario Stasi le président de la Ligue Contre le Racisme et l’Antisémitisme, association modérée : «  La LICRA demande au Président de la République de prendre conscience de l’émoi légitime créé par son initiative et de renoncer à honorer la mémoire d’un homme qui, à Vichy et par antisémitisme, a anéanti tout le reste. » Le temps était venu de faire de ce centenaire une grande manifestation pacifiste et de dire avec les survivants de la « grande » guerre : « Plus jamais ça ». Il n’en fut rien, hélas !

Cette semaine restera comme une faute d’un président de la République dont on attendait qu’il parle vrai et qu’il fasse, au moins aussi bien que Jacques Chirac l’avait fait avec courage, au Vel’dHiv, le 15 juillet 1995 : « N’acceptons pas d’être les témoins passifs, ou les complices, de l’inacceptable ». Une faute qui le discréditera définitivement aux yeux de beaucoup d’entre ceux qui l’ont soutenu, voulant donner sa place à une nouvelle génération ; ils souhaitaient que l’on regarde l’avenir avec lucidité et que l’on fasse la lumière sur le passé. Peu nous importe que De Gaulle, puis Mitterrand aient fait fleurir la tombe de l’île d’Yeu, ils avaient leurs raisons et ce n’est pas ce qu’ils ont fait de mieux. Il reste beaucoup de chemin à parcourir au locataire de l’Elysée pour arriver à la cheville de l’un ou de l’autre.

Plus que les « gilets jaunes » ou que les grognes sectorielles souvent irraisonnées et déraisonnables, il paiera cher son itinérance de mauvais goût car il existe en France un consensus républicain qui s’appuie sur ce fameux « récit historique », ciment d’une nation. S’y attaquer c’est risquer de voir le mur s’écrouler sur soi. Ce consensus inconscient, subliminal, il considère à juste titre que la France de Vichy a sali notre Histoire, comme l’a reconnu Jacques Chirac, et que la guerre de 14 a été une boucherie sans raison valable.

Nous espérions que la traditionnelle « commémoration de la Victoire », en réalité une défaite de la civilisation, se transforme –cent après !- en hommage aux braves, morts innocents, à ceux qui n’avaient pas vingt ans, à l’enfer des tranchées, aux insoumis assassinés arbitrairement (célébrés dimanche à Pau par une centaines de personnes), aux familles éplorées, aux esprits pacifistes persécutés. Nous voulions que cela soit la fête de la Paix et de la Réconciliation pour faire le deuil d’un peuple décimé pour des causes futiles et que soient évoqués clairement les méfaits du cancer nationaliste. Au lieu de cela on nous parle d’armée européenne et on critique de manière bien maladroite nos alliés américains qui périrent nombreux aussi sur le sol français. Nous aurions préféré la mise en avant de la figure d’Aristide Briand « l’apôtre de la Paix » plutôt que de celle de Clemenceau l’implacable belliciste. La cérémonie en l’honneur des maréchaux incompétents et cyniques, nous a choqués. Cent ans plus tard il y avait mieux à faire.

Macron a-t-il vu la mise en scène de cette itinérance comme une métaphore de son projet politique ? Du sang et des larmes ; est-ce là le projet macronnien ? « La France qui gagne » serait-elle à l’image de celle qui est sortie exsangue de ce massacre ? Les « premiers de cordée » seraient-ils les clones de ces généraux brutaux ?  « Moi Président » comme un Maréchal de France, je sais ce qui est nécessaire désormais et, bien au chaud avec mes généraux –peu compétents, j’en conviens-  et mes alliés –muets désormais, je vous l’accorde- je vous ordonne de vous réformer car il n’y a pas d’autre issue dans la bataille qui se profile. Je n’écouterai pas vos supplications et je balaierai vos révoltes. Je suis un homme de fer et comme Clemenceau, mon modèle, je vous imposerai des souffrances douloureuses car elles sont nécessaires. Ainsi laisserai-je mon nom dans l’Histoire.

Mais nous n’avons pas élu Clemenceau -même s’il fut l’un des pères de la loi de 1905, détricotée aujourd’hui. Nous avons choisi un homme jeune et nouveau, censé mieux nous écouter et comprendre nos souhaits. Nous ne sommes pas de la chair à canon et monter au front ne nous intéresse pas même si c’est le prix à payer pour entrer dans l’Histoire. La guerre -fut-elle économique- n’est jamais « fraîche et joyeuse » nous le savons au regard de l’histoire. L’avalanche de réformes que l’on nous impose en marche… forcée, censée gagner la bataille de la modernité, nous ne la souhaitons pas, nous la subissons. Va-t-elle améliorer notre vie quotidienne ? Nous en doutons désormais. Mérite-t-elle ces blessures annoncées ? Cette dureté hautaine ? Ce mépris de la part de vos amis ? Ces laissés pour compte sur le bord du chemin ?

Certes ce n’est pas le « Chemin des Dames ». On ne saurait les comparer car la souffrance ne peut se mesurer. Nous attendions autre chose, c’est tout…

… et nous revient ce refrain de la chanson de Craonne :

Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu à toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme

Pierre Vidal

Photo: exécution sommaire d’insoumis durant la guerre 14-18 (photo DR)

Clemenceau

Ce mercredi 13 juin 2018, le Président de la République s’est rendu en Vendée visiter la maison natale de Georges Clemenceau*. Hasard ou coïncidence, de mon côté, je terminais la lecture d’une biographie du Tigre signée Michel Winock. Cet homme politique ne peut être réduit à l’image que l’on donne de lui de « Père la Victoire ». Il est à l’origine de bien d’autres engagements politiques, novateurs pour son époque.

Vendéen d’origine, donc, fils d’un médecin, il fait lui-même des études de médecine. Il n’exercera en réalité que très accessoirement cette profession. Attiré par la politique, il est de ceux qui, le 4 septembre 1870, avec Gambetta, après la défaite de Sedan proclame la troisième République. Puis, maire de Montmartre, il s’engage dans la Commune en 1871. Homme aux quatre visages : le Tigre, le dreyfusard, le premier flic de France puis le Père la Victoire.

Le Tigre surnom donné en 1903 fut repris par tous. Il correspond à cette personnalité très engagée, tombeur de ministères, député sans concession dont les discours aux formules violentes blessent par leurs coups de griffe.

Le dreyfusard a joué un rôle fondamental dans ce procès qui a divisé le pays (1894). Antidreyfusard au départ de « l’Affaire », très vite il comprend qu’il y a là un déni de justice dont le capitaine Dreyfus est victime. Il fera tout pour la réhabilitation du militaire qui interviendra seulement en 1906. Acharné contre ce qu’il considérait comme un mensonge et une lâcheté, il sera celui qui permettra à Zola de faire paraître dans le journal « L’aurore » ce fameux article intitulé « J’accuse ». Pamphlet adressé au président de la République de l’époque Félix Faure. A ce propos il faut se souvenir que c’est lui, le Tigre, qui a trouvé le titre de l’article.

Le premier flic de France correspond à son rôle de ministre de l’intérieur en 1906. Clemenceau cumulait alors les fonctions de ministre de l’intérieur et de président du Conseil (actuel premier ministre). Ce cumul était habituel à l’époque de la troisième République. Il a créé ce que la télévision, grâce à un feuilleton, a rendu célèbre : « La brigade du Tigre ». Actuellement encore l’insigne de la police judiciaire reproduit une image mêlant le visage de Clemenceau et le dessin d’un tigre.

Enfin le titre de « Père la Victoire » lui vient de la responsabilité qu’il a exercée lors du traité de paix de Versailles. Il représentait la France et a dû adopter des positions difficiles pour convaincre à la fois les Anglais et les Américains et même les Italiens, afin d’obtenir une paix négociée. La signature le 28 juin 1919 mettait un terme définitif à la guerre de 14-18. Clemenceau en était le principal artisan.

Au cours de sa vie politique, le Tigre a su prendre et initier d’autre engagements moins connus. Anticlérical affiché il a été à l’origine de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Dès son entrée en politique en 1870 il avait esquissé la réalisation de cette séparation.

On parle peu également de son opposition à la peine de mort. Il est à l’origine d’un projet de loi visant à son abolition. Mais à son grand regret, cette abolition n’a pas été votée par la Chambre (assemblée nationale). Dans ce domaine encore il a été un précurseur.

Pour terminer il faut évoquer l’impôt sur le revenu que le Tigre avait placé dans son programme de président du Conseil. C’est en effet sous le gouvernement Clemenceau, en 1906, que Joseph Caillaud, Ministre des Finances présente un projet de loi instituant l’impôt progressif sur le revenu. Rejetée par le Sénat, elle ne sera votée qu’en 1915.

On ne retient généralement de Clemenceau que l’image de Père la Victoire. Même si celle-ci constitue, sans aucun doute, la plus glorieuse partie de son investissement politique elle ne doit pas faire oublier qu’il a été un précurseur dans d’autres domaines.

Pau, le 18 juin 2018

par Joël Braud

* « Clemenceau » s’écrit sans accent. Longtemps indifférent à l’orthographe traditionnelle de son nom, il l’a imposée en 1884 dans son journal La Justice.

**Clemenceau de Michel Winock. Éditions Perrin. 685 pages. 12 €

Maison natale de Clemenceau (Ouest-France)

Félix Faure

_01_bigLe 16 février 1899 dans un salon de l’Elysée, décédait le président Félix Faure. L’affaire fit grand bruit à l’époque et  permit ironie et moqueries de la part des journaux et des humoristes. Félix Faure est mort dans les bras de sa maîtresse Meg Steinhel. Vie privée ou mort privée ?

 Lorsqu’elle s’est aperçue que l’illustre homme ne réagissait plus à ses attentions, Meg s’est un peu affolée et est parvenue à prévenir les secours. Le médecin est arrivé mais n’a rien pu faire, la mort avait fait son œuvre. Meg était tenue par les cheveux d’une main resserrée dans une ultime contraction. Il fallut bien la libérer, ce qui fut fait, elle fut alors invitée à rapidement se retirer des lieux  avec la discrétion indispensable  à ces circonstances biens spéciales. Il lui fut même intimé l’ordre de garder le secret le plus absolu.

 Puis, car la religion avait encore son poids, on appela l’abbé Lepetit qui vint toute soutane hurlante pour remplir son saint office. Arrivé à la porte du palais, il demanda à l’huissier si le président avait encore sa connaissance et ce dernier, peut-être avec innocence peut-être avec ironie, répondit qu’on l’avait fait sortir par l’escalier de service. L’anecdote est bien connue.

 Alors on avisa la veuve qui vint se recueillir devant la dépouille mortelle. Elle eut, dans sa douloureuse situation, ces mots si délicats : «  C’était un si bon époux ! ». Cela ne s’invente pas.

 Félix Faure avait 58 ans, il en était à la quatrième année de son mandat. On retiendra de lui le rapprochement de la France avec la Russie. Mais on retiendra surtout du « Président Soleil » son goût pour le faste. Il avait voulu redonner de la pompe et de l’apparat à la fonction présidentielle ; ainsi il avait fait graver la vaisselle de l’Elysée à ses initiales et avait envisagé la création d’un habit somptueux pour sa personne. Soucieux de laisser une image de lui-même, il entreprit de faire réaliser son portrait en pied et choisit pour cela un certain Steinhel, peintre dont le renom s’arrêtait aux limites de son quartier. Et voilà comment la belle Meg fit dans un premier temps sa rencontre et dans un second temps devint sa maîtresse.

 A l’époque la presse et les langues étaient cruelles. Très vite on baptisa Meg du joli nom de « pompe funèbre ». Mais la palme  des coups de griffe revint à Clemenceau. Ce dernier n’aimait pas Félix Faure, il écrivit dans l’Aurore : « Félix Faure vient de mourir, cela ne fait pas un homme de moins en France ». Ou encore cette noble épitaphe : « Il se voulait César et il finit Pompée ».

 D’autres encore eurent des paroles de poids comme ce monsieur de la Palisse bien connu des milieux politiques qui n’hésita pas à affirmer : « La vie privée c’est la vie privée ». Paroles puissantes et chargées de sens qui ne suffirent pourtant pas à faire cesser la rumeur et les quolibets.  Un autre, Gascon de son état, qui, après avoir copieusement fustigé la presse pour son inconvenante intrusion dans la vie privée d’un homme, n’hésitât pourtant pas à provoquer sa propre et unique hilarité en glosant sur le statut de la première dame de France et même sur le statut de la seconde et éventuellement des autres.

  Si tout le monde s’accordait à dire haut et fort que la vie privée de chacun doit être respectée, personne ne s’interdisait un commentaire qu’il voulait savoureux.

 Enfin et c’est sans doute le plus douloureux de l’affaire, lorsque Mme Faure dû quitter l’Elysée elle fut tellement accablée et couverte d’opprobre que personne ne daigna l’aider à porter ses valises. La femme trompée est toujours une victime.

 Je ne sais pourquoi je vous rapporte ce fait historique car, comme vous l’avez constaté, il n’a aucun rapport avec l’actualité.

                                                                                               Pau, le 15 janvier 2014

            Par Joël Braud