Du prétoire à la rue.

imagesDécidément la libération de Catherine Sauvage n’en finit pas d’alimenter les rubriques. Les uns, en dehors du prétoire, font valoir leur point de vue sur l’affaire et critiquent la justice, d’autres remettent en cause la décision du Président de la République qui a fait usage de son droit de grâce. D’autres au contraire lui donnent raison. Le débat se déplace du prétoire à la rue. Chacun y va de sa petite antienne. Ne faudrait-il pas savoir respecter les décisions de ceux qui les ont prises ?

Il y a effectivement un danger sournois à vouloir faire connaître son opinion sur des décisions de justice dont on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants. Deux cours d’assises se sont prononcées dans le même sens. Les débats ont eu lieu au cours desquels les juges professionnels et les jurés ont été suffisamment informés pour prendre leur décision. Ce ne sont pas les articles de presse et les commentaires journalistiques qui nous en apprendront davantage en tout cas pas suffisamment pour formuler un avis autorisé. Qui êtes-vous donc mesdames et messieurs les beaux parleurs, les artistes en mal de notoriété, pour livrer sur la place publique votre avis ? Il faut observer d’ailleurs que loin de vous en tenir aux faits vous exposez vos sentiments et votre ressenti. Cela n’est pas de nature à apporter des éléments nouveaux sur l’affaire et à donner une meilleure connaissance des lois. Restez à votre place et gardez le silence, ce que vous avez fait en fixant des enjeux qui vous dépassent est de nature à affaiblir la justice de notre pays. Cela risque à terme de devenir irréversible.

Le droit de grâce du Président de la République comme la constitution* lui en reconnaît la prérogative, a été en la circonstance maladroitement utilisé. Celui-ci s’est décidé en deux temps. Tout d’abord en accordant une grâce partielle qui n’a eu aucun effet. Son souci légendaire du compromis n’était pas de circonstance et a affaibli sa fonction. Puis, revenant sur cette première position, il a gracié pleinement la condamnée. Il en a le pouvoir et de plus il est admis qu’il n’a pas à motiver sa décision. Même s’il s’agit d’un droit dit régalien, résurgence de l’ancien régime, il existe et ne souffre pas, tant qu’il est inscrit dans la marbre de la constitution, d’être discuté ou commenté. Et pourtant c’est ce que ne se prive pas de faire le monde de la magistrature. C’est ainsi que l’Union Syndicale des Magistrats (68,4%) crie au scandale par la bouche de Virginie Duval, sa présidente. L’indépendance de la justice serait, selon elle, remise en cause. Un autre, retraité de la magistrature, va même jusqu’à dénoncer une justice privée au détriment d’une justice démocratique. Il est même question de clientélisme, d’ingérence du politique.

Il se trouve également des politiques qui, abandonnant ce noble principe de ne pas commenter les décisions de justice, se permettent de faire connaître leur avis. Même si cet avis ne porte que sur la décision du Président de la République, il n’a pas lieu d’être. Dans sa fonction, le Président de la République, veille à l’indépendance de la justice. Ce pouvoir régalien du droit de grâce n’est pas de nature à porter atteinte à ce principe fondamental. Le respect de l’indépendance est ailleurs. S’il faut supprimer ce pouvoir modifions la constitution, mais tant qu’il existe, le devoir de tous est de le respecter.

Alors face à un jugement, face à une grâce, il convient de ne pas apporter de commentaires qui de toute façons ne reposeront que sur une information partielle, voire orientée. Laissons à ceux dont c’est le métier de juger et nous, de notre côté, respectons leurs décisions. La justice se rend dans les prétoires à l’abri des influences et des agitations de la rue. Sa véritable indépendance se trouve dans le respect de cette règle.

Pau, le 3 janvier 2017
par Joël Braud

  • L’article 17 de la constitution, en vigueur depuis la réforme constitutionnelle de 2008 est :
    « Le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel. »

Incohérences

imgresUn homme qui a tiré sur un cambrioleur qui s’était introduit de nuit chez lui a été poursuivi pour homicide volontaire.

Lors de sa comparution devant une cour d’assises, le représentant du ministère public a requis son acquittement, considérant sans doute qu’il avait agi en état de légitime défense. L’accusé fut condamné à sept ans d’emprisonnement. Fort de la position du ministère public, il s’avisa d’en relever appel.

Malheureusement, le ministère public en fit autant. Difficile à comprendre puisque ce dernier avait requis un acquittement.  Première incohérence.

Tout était donc à refaire.

Ainsi, devant la cour d’assises d’appel, le ministère public représenté par un autre magistrat professionnel, requit une peine de 5 ans de prison dont une partie avec sursis. Deuxième incohérence au regard de ce qu’avait requis son prédécesseur.

Or, l’accusé vit sa peine portée à 10 ans d’emprisonnement. Troisième incohérence.

Techniquement, ces multiples appréciations ne sont contraires à aucune loi.

Elles paraissent, cependant, contrevenir au bon sens. Comment peut-on comprendre qu’un même fait puisse faire l’objet l’objet d’opinions aussi différentes, voire contradictoires ?

La seule explication possible vient de ce que les deux juridictions composées différemment  de magistrats et de citoyens non professionnels dont l’appréciation est capitale, ont considéré les faits de façon plus sévères que le ministère public.

Ce mécanisme est-il judicieux ? Chacun aura un avis propre, que ces observations souhaitent provoquer, selon sa sensibilité. Seule certitude, hélas , nous devrons toujours nous satisfaire d’une justice incertaine.

Pierre ESPOSITO
Avocat honoraire

Grâce présidentielle et légitime défense.

imgresDevant une mobilisation populaire d’une importance sans doute jamais atteinte, surtout dans un laps de temps relativement bref, le Président de la République a usé d’un droit que lui confère la constitution, en accordant à Madame Sauvage, après avoir consulté les services ministériels compétents, une remise partielle de sa condamnation pour lui permettre de recouvrer prématurément sa liberté.

Ce qui interpelle sans doute le profane est la condamnation de Madame Sauvage par deux cours d’assises. Comment des jurés (six en première instance, neuf en appel)  n’ont-ils pas été sensibles à son calvaire, aux viols de ses filles par leur père, au suicide de son fils la veille du jour où elle a supprimé son mari ?

Ce fut aussi le cas quand, après un acquittement par la cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques, le docteur Bonnemaison fut condamné en appel par une autre cour d’assises.

La raison en est que depuis une réforme récente, les décisions des cours d’assises doivent être motivées, qu’elles condamnent ou qu’elles acquittent.

Ainsi, alors qu’auparavant un acquittement pouvait être prononcé sans aucune justification, il est maintenant enfermé dans une règle de droit.

Outre au bénéfice du doute, l’accusé peut être acquitté s’il est déclaré innocent, atteint de troubles mentaux le rendant irresponsable ou s’il a agi en légitime défense.

Et c’est cette notion qui fait débat, car pour être cause d’irresponsabilité, la légitime défense s’entend d’un acte accompli pour la défense de soi-même ou d’autrui devant une atteinte injustifiée, sauf disproportion entre les moyens employés et la gravité de l’agression.

Tout ce qui a été dit ou écrit sur le cas de Madame Sauvage peut expliquer la mobilisation pour sa libération, mais en l’état actuel de notre droit, le fait d’avoir abattu son mari alors qu’il lui tournait le dos ne pouvait conduire à son acquittement.

Néanmoins, ce fait divers, où le droit peut être en conflit avec une opinion publique sans doute majoritaire, conduit à en appeler au législateur pour une conception plus large de la légitime défense. Ce devrait être le nouveau combat de ceux qui ont milité pour la grâce de Madame Sauvage.

Pierre ESPOSITO
Avocat honoraire