Tiens-toi bien au pinceau, je retire l’échelle.

!cid_90B64188-4B71-413C-9CE1-6E280917D7D8@homeLa «bulle culturelle», comme le fou de l’histoire, est en train de couper le cordon ombilical qui l’unit à ses racines biologiques.

Danger !

Les relations entre le culturel et le biologique ont été, et sont toujours, marquées par deux conceptions.

1°) La première pense que l’homme, au bout d’une dizaine de milliers d’années d’existence, ne fait plus partie de la nature. Il a été le fruit d’une création, et il peut maintenant organiser lui-même son évolution, la nature étant à son service. Cette conception est toujours très proche de l’évolution culturelle actuelle.

Il suffit de se retenir au pinceau !

2°) La deuxième soutient que le culturel s’enracinant dans le biologique, l’évolution de la société humaine est inséparable de son fonctionnement biologique.

La société ne peut pas vivre sans l’échelle et se retenir seulement au pinceau !

Dans son livre :« Spinoza avait raison»(Odile Jacob) Antonio R. Damasio établit un lien très étroit entre le corps, le cerveau et l’esprit. L’objectif inconscient, à tous les niveaux, est la recherche d’un équilibre : «l’homéostasie» en biologie, appelée «bien être» en psychologie.

De l’humble amibe aux êtres humains, tous les organismes vivants naissent, non pas libres et égaux, mais munis de procédés aptes à résoudre automatiquement, sans qu’il soit besoin de raisonner, les problèmes de base que pose la vie : trouver des sources d’énergie, l’incorporer et la transformer, préserver un équilibre chimique intérieur compatible avec les processus de la vie, se défendre contre les agents extérieurs : maladies et blessures physiques, se reproduire.

La machine homéostatique s’est perfectionnée dans le temps en développant des niveaux hiérarchiques adaptant évolution organique, physiologique puis culturelle. A.Damasio définit quatre niveaux :

Premier niveau :

>Les réponses immunitaires : protection contre les virus, les bactéries, les parasites et les molécules chimiques toxiques d’origine externe ou interne.

>Les réflexes de base : comportements d’arrêt, de fuite, attirance ou répulsion vis-à-vis de la lumière, de la chaleur, de substances chimiques.

>Les régulations métaboliques : réactions gouvernant par exemple le pouls, la pression du sang, le sucre, les ajustements acides et alcalins dans le milieu interne, le stockage et la distribution des substances énergétiques, des enzymes…

Deuxième niveau :

Les besoins et motivations : faim, soif, curiosité, le jeu, le sexe : «appétits» d’un organisme engagé dans un besoin particulier.

La douleur contribue à lutter contre le dommage subit ; le plaisir génère un corps détendu facilitant les relations avec les autres ; la sécrétion d’endorphines permet la réalisation du plaisir recherché.

Troisième niveau :

Les émotions :

Présentes chez les vertébrés supérieurs pourvus d’un cerveau, les unes sont innées, les autres acquises.

On distingue des émotions :

– primaires : peur, colère, surprise, joie, tristesse…
– sociales : embarras, honte, anxiété, orgueil, envie, admiration, indignation, mépris, la jalousie,…
Elles régulent spontanément les processus de la vie et favorisent la survie. Certaines sont désagréables comme la peur ou la colère, d’autres agréables comme certains échanges, jeux ou rapports sexuels.

Elles nous sont très utiles à condition qu’elles n’atteignent pas des intensités trop fortes et qu’elles ne durent pas trop longtemps : «Devant l’injustice, une colère indignée peut être appropriée, alors qu’une explosion de rage destructrice ne l’est pas» Matthieu Ricard.

Quatrième niveau :

Les sentiments : amour, amitié, empathie, haine, bien être, bonheur…, représentent la perception d’un certain état du corps. Ils résultent d’une synthèse des émotions automatisées ; ils permettent l’émergence de réponses nouvelles, non stéréotypées.

C’est le passage de l’homme biologique à l’homme culturel.

Ils nous aident à résoudre des problèmes non «routiniers» impliquant créativité, jugement et prise de décision, lesquels nécessitent la manifestation et la manipulation consciente des très grandes quantités de connaissances acquises. Cette intégration siège uniquement au niveau du cortex hypertrophié de l’homme.

Conclusion :

Du fait de la nécessaire immédiateté dans laquelle on vit actuellement, la politique, le comportement médiatique, la réaction sociale aux problèmes actuels…, sont basés de plus en plus largement sur l’émotion : colère, agressivité, peur, ressenti, violences,…: processus instinctifs, biologiques, qui ne laissent pas la place à un contrôle volontaire, à la réflexion consciente, à l’utilisation des connaissances, à l’intelligence donc.

Lors d’un entretien avec Jean-Jacques Urvoas publié par le Nel Obs n°2700 en août 2016, ce dernier se disait inquiet «de la virulence des propos qu’on lit sur les réseaux sociaux. Menaces et vociférations remplacent les arguments.»

Cette inquiétude est justifiée !

Cette nouvelle finalité, qu’est l’émotion, maintient notre interprétation du monde au niveau de la réaction spontanée, non réfléchie, et non à ce qui fait la supériorité de l’homme : la pensée synthétisée et consciente.

Il y a là, très probablement une des explications aux problèmes de notre monde.

A. Damasio nous démontre que les conventions sociales, les règles éthiques, les lois, la démocratie…, sont des extensions des dispositifs homéostatiques de base au niveau de la société et de la culture. Elles ont pour but un équilibre de vie assurant survie et bien-être. Il en est de même des instances mondiales de coordinations sociales : OMS, UNESCO qui favorisent l’homéostasie mondiale.

Comme les équilibres de base, ces structures sont fragiles, des perturbations trop importantes risquent de les mettre en péril ; c’est ce qui explique l’angoisse et tous les problèmes actuels liés à l’inadéquation entre la vitesse de l’évolution économique et financière et la possibilité adaptative d’un homme biologique, récepteur sacrifié, abandonné et soldé pour ce que certains appellent «l’intérêt général»
Comment passer d’une gestion du monde purement physique et instinctive, basée sur l’émotion, à une gestion réfléchie, intelligente, pensée, véritable condition du sentiment de bien-être ?

Peut-être redécouvrir la durée du temps, l’importance de la mémoire, de l’histoire, de l’imagination et de l’empathie ; le «care» est un comportement évoqué qui fait intervenir les sentiments.
Dernièrement Jean-Claude Guillebaud écrivait :

«Nous sommes malades du temps. L’immédiateté haletante a pris le pas sur les autres : l’intelligence, l’histoire, le long terme, le lien, le projet… Il est urgent d’apprendre à résister aux infos intimidantes, aux commentaires insignifiants….»

Signé Georges Vallet

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