Des émotions à la raison : une urgente nécessité pour la nouvelle année !

En novembre 2017, les journées consacrées aux idées qui mènent notre monde se sont achevées dans l’euphorie à Pau. Le thème présenté était: «Passion, Passions».

Même avec du retard, ce sujet mérite qu’on y revienne, du fait de l’importance pour l’avenir de l’orientation donnée.

Au cours de ces journées, la Passion s’est élevée au rang de déterminisme incontournable de l’avenir de l’homme, le tome 2 du Progrès comme on le trouve évoqué dans l’exposé du thème.

En fait, les intervenants et les interventions, programmés dans ces journées étaient volontairement et soigneusement sélectionnés pour leur qualité, notoriété, leur prestige, compétence, afin d’entretenir l’attention et l’émotion de l’auditoire ; quelques exemples de comportements animés par des passions ont été décrits et justifiaient l’intitulé du thème.

Tout le monde il était beau, il était gentil, les passions menaient le monde.

C’était vraiment très incomplet, surtout orienté, déformant donc la réalité : objectif médiatique, politique, économique ? Bien des passions, moins «gentilles», sont «oubliées», aux retombées collectives pourtant constatables journellement, comme en religion, politique, sport, économie, puissance, pouvoir, justice, médias.., réseaux sociaux!

La passion (wikipedia) «est une très forte émotion tournée vers une personne ou un objet. Elle se traduit par un sentiment d’excitation inhabituelle, un fort enthousiasme ou de l’amour, envers un individu, une activité, une idée, un sujet ou un objet.»

Le ressenti prend le pas sur l’objectivité, les émotions sur la raison, le spontané sur le réfléchi.

Attention, danger !!

L’intitulé du thème est bien dans l’air du temps ; nous vivons de plus en plus dans un univers émotionnel, affectif et individualiste.

«Avant, il fallait maîtriser et surmonter la passion et c’était une souffrance. Et voilà que maintenant, le discours a changé et la passion est devenue quelque chose de beau. Nous sommes dans une période où nous exhortons la passion. Ce changement considérable a des conséquences énormes sur le collectif. On voit tous les jours dans nos relations avec les autres l’importance de la passion….Certaines passions occupent plus d’espace que l’objet de la passion, comme si la passion devenait une drogue en elle–même.» les idées mènent le monde 2017 rencontres littéraires au Palais ..

Ce texte analyse bien le problème posé.

«la passion est devenue quelque chose de beau» car seules les passions «positives» sont mises en exergue. Non seulement elle peut «devenir une drogue en elle-même», mais, les passions «négatives», en réalité, imprègnent et dirigent, souvent en dessous, notre monde de tous les jours ; elles sont redoutables : jeu, argent, possession, pouvoir, puissance, risques, rentabilité, violence, sexe, jouissance, stupéfiants, alcool, tabac, vitesse…, publicité…

Les ignorer c’est refuser de voir notre monde tel qu’il est.

Le N°851 de janvier 2018 de Sciences et Avenir consacre un article à Antonio Damasio, professeur portugais de neurologie, neurosciences et psychologie ; ses idées ont progressivement fait autorité dans le monde scientifique.

Dans un ouvrage intitulé : L’Ordre étrange des choses : «La vie, les sentiments et la fabrique de la culture», il montre que la vie, en lutte contre un perpétuel déséquilibre, porte en elle une force irrépressible pour une recherche permanente d’équilibre : l’homéostasie ; elle œuvre à la régulation de toutes les manifestations, qu’elles soient biologiques, psychologiques et même sociales, depuis les organismes unicellulaires les plus anciens…

«L’homéostasie crée un état vital que nous, créatures pensantes appelons «bien- être». C’est elle qui mène le monde des vivants.»

Au cours de l’évolution, la machine homéostasique s’est perfectionnée, différents niveaux se sont emboîtés hiérarchiquement ; ils sont décrits dans : «Spinoza avait raison : Joie et tristesse
, le cerveau des émotions».

Ils permettent de situer, dans l’échelle de l’évolution humaine, la place des passions.

1°) Premier niveau de régulation :

+Les réponses immunitaires :

+Les réflexes de base : comportements d’arrêt, de fuite, attirance ou répulsion.

+Les régulations métaboliques : régulation circulatoire, respiratoire, digestive, pH…

2°Deuxième niveau de régulation :

+Les besoins et motivations : La faim, la soif, la curiosité, le jeu, le sexe ; ce sont les «appétits» liés à un besoin particulier inconscient.

3° Troisième niveau de régulation :

Les émotions:

Générales dans le monde animal, les unes innées, les autres acquises. Elles régulent automatiquement et spontanément le processus de la vie. Elles sont présentes sur le théâtre du corps

+ primaires : peur, colère, surprise, joie, plaisir, tristesse, haine, passion amoureuse,…, passions diverses…

+ sociales : embarras, honte, orgueil, envie, admiration, indignation, mépris,

«Les émotions sont à l’origine de la culture que nous sommes capables de fabriquer… Les arts, les sciences et les technologies viennent d’une nécessité de réponse qui vient des émotions.» Antonio Damasio.

4) Quatrième niveau de régulation :

Les sentiments :

Perception d’un certain état du corps après une synthèse des émotions : empathie, altruisme, confiance, méfiance, insécurité, bonheur, amour, bien-être. Les sentiments se combinent avec les souvenirs, l’imagination et le raisonnement, pour prévoir et créer des réponses nouvelles et non stéréotypées. Le sentiment apparaît, lui, sur le « théâtre de l’esprit».

C’est le passage de l’homme biologique à l’homme culturel.

Pour A.Damasio, les émotions, passionnées ou pas, sont le passage obligé pour l’élaboration des sentiments humains.

Elles sont un moyen, pas un but.

«Raison et émotion ne s’opposent pas. Sans émotion, nos raisonnements sont biaisés et nos choix les plus simples peuvent déboucher sur des décisions aberrantes. La dichotomie passions/raison constituait l’erreur de Descartes». C’est ce qui donna son titre au premier ouvrage de A.Damasio, en 1994 : «Spinoza avait raison…»

Les émotions sont issues du contact direct et indirect avec tout ce qui nous entoure et qui nous constitue (collectif, environnement, milieu intérieur) ; ce sont des marqueurs positifs ou négatifs donnant une impression «indispensable» à la décision.

Pour une vision globalisée, et une action appropriée, il convient donc de franchir la 4ème et dernière étape de l’évolution humaine, celle qui utilise toutes les émotions et la mémoire pour élaborer une décision d’actions créatrices, réfléchies, adaptatives à la situation individuelle présente. Pour cela il faut du temps ; l’immédiateté actuelle liée à la passion d’une technologie non humanisée et à l’émotion dominante, s’y oppose.

Alors que l’homéostasie est équilibrante, les passions seules sont déstabilisantes, toujours «inassouvies».

Vouloir que les passions dirigent notre monde, c’est aboutir à un état actuel dérégulé, où tout doit être fait avant d’être commencé ; c’est le domaine de l’instantané, du spontané, de l’irréfléchi, de l’incertain, de la pulsion incontrôlée. Nous vivons une actualité de surface bouillonnante, souvent infinitésimale, masquant les grands mouvements de fond (et de fonds) qui nous entrainent progressivement, à notre insu, dans une subduction des garanties démocratiques et du droit social. C’est un vrai gaspillage, ô ! combien dangereux, des possibilités extraordinaires que l’évolution a donné à l’homme : l’intelligence.

Une image reflète merveilleusement le résultat de notre monde actuel passionné ; elle est fournie par J-Cl Guillebaud chronique 21/12/2017.

«La surface est agitée par mille turbulences maritimes superficielles tributaires de sautes de vent, grains fugitifs et météos changeantes. Ces vagues-là n’agitent que l’épiderme de la mer. Elles peuvent être traîtresses, certes, et suffisent parfois à provoquer un naufrage mais, dans les profondeurs, les mouvements de l’eau sont plus amples, plus durables, plus têtus. Lent à se former, le ressac remue l’océan dans sa masse, même jusqu’à ses tréfonds…. Sa lenteur est trompeuse. On croît qu’il nous berce mollement alors même qu’il se creuse et finira peut-être en tsunami.

«Les émotions négatives mènent à la violence, engendrent les mouvements populistes, racistes… L’éducation est le moyen de mener les émotions dans la bonne direction» A.Damasio.

Conclure sur la nécessité de renforcer l’éducation pour tous, c’est permettre de canaliser les passions et les émotions en les mettant au service du « savoir, savoir-faire, être et savoir-être», comportements inséparables de l’homme raisonnable, libre et responsable ; un beau projet pour 2018 ! 

                                                                                                                                                                                                                                                                             Signé: Georges Vallet

crédits photos: santé.journaldesfemmes.com

L’Entente cordiale, ce n’est pas encore pour demain

GV 2016 02 23Sud Ouest, dimanche dernier, présente, sur deux grandes pages intitulées «Société», une exposition à la Cité des sciences et de l’industrie de Paris-la-Villette. Elle s’inscrit dans un cycle d’histoire culturelle ; Léonard de Vinci a débuté, Louis Pasteur est programmé pour l’an prochain, cette année, jusqu’au 31 août, c’est Charles Darwin. En pleine crise écologique, sociétale et culturelle, sa pensée continue d’irriguer la recherche scientifique mais a bien du mal à s’imposer dans notre société car elle révolutionne la façon de concevoir le fonctionnement du vivant et la place de l’homme.

En cette période de «duel» franco-anglais, évoqué par l’un de nos rédacteurs, il m’a paru intéressant d’en évoquer un autre, bien plus ancien, mais plus important, car si l’actuel se situe dans un même ambiance de pensée, l’autre mettait en jeu l’histoire du monde.

L’enseignement de la préhistoire et de l’histoire s’appuie surtout sur des repères technologiques : âge de la pierre taillée, polie, du fer….., ère industrielle…., ou politiques :  guerres, règnes, révolution, Empires, Républiques…
Cette démarche omet trois faits essentiels :

• L’évolution de l’humanité ne repose pas sur les seules innovations techniques ou politiques, mais sur les façons de comprendre le monde. Les idées donc !
• L’évolution n’est pas une histoire du passé ni encore moins une histoire passée ; elle est toujours en train de se faire.
• Il existe une analogie profonde entre l’évolution biologique et celle des systèmes socio-économiques.

Les entreprises, comme les espèces, n’échappent pas à ces mécanismes.

Des aspects environnementaux et anthropologiques : éthologiques, sociologiques, historiques et idéologiques, favorisent tel ou tel type de politique d’innovation.

Remontons au XVIII ème et XIX ème siècle. Prenant le relais de la pensée fixiste qui a dominé les comportements du passé, deux hommes vont être les représentants d’une théorie révolutionnaire : le transformisme. La notion d’évolution voit le jour. Le combat pour l’imposer sera rude ; d’ailleurs, il n’est pas encore achevé, même dans un pays aussi développé que les Etats-Unis !

Une bataille est gagnée, pas la guerre.

Entre ces deux hommes, les différences portent sur les «mécanismes» de l’évolution. L’un est plus ancré dans le XVIII ème : Lamarck, l’autre vers le XIX ème : Darwin.

Pour Lamarck, les ancêtres des girafes avaient le cou court ; pour continuer à se nourrir, de plus en plus haut, du feuillage des arbres, ils ont étiré le cou ; de génération en génération, le cou s’est allongé. L’idée a été reprise par certains pour expliquer qu’un grand singe s’est redressé, à l’orée de la forêt, pour voir au-dessus des hautes herbes !!

C’est l’hérédité des «caractères acquis» et de «la fonction crée l’organe».

Au niveau de l’économie humaine, imprégnée de cette vision, se situe l’innovation de type ingénieur : elle consiste à améliorer sans cesse des produits dans des filières bien établies : automobile, aéronautique, train, spatial, téléphonie, BTP, pétrochimie, Nouvelles Technologies,… C’est la recherche appliquée.

Pour Darwin, par contre, l’évolution du vivant se fait en deux temps :

• Le milieu vivant produit de la diversité, sans augurer de créations émergentes avantageuses, neutres ou désavantageuses.

C’est la recherche fondamentale de notre économie.

• Dans un second temps, la sélection retire, de cette réserve, les avantages, en fonction des nécessités fluctuantes du moment…

Les mutations et les recombinaisons génétiques de la reproduction sexuée, produisent, au hasard, une grande diversité ; l’environnement sélectionne ensuite, laissant, comme dans notre ADN dit «poubelle», de très nombreux caractères, neutres, mais riches d’innovations potentielles qui pourront servir un jour ( c’est le cas pour l’immunité). L’organe nouveau apparu est porteur d’une fonction nouvelle. Au niveau de certaines entreprises innovantes on organise des temps dits de «brainstorming» qui font naître des idées novatrices, bonnes ou mauvaises, à trier.

La France est le pays de Lamarck (et de Descartes !), pas de Darwin !

Le naturaliste Lamarck a d’abord été malmené par le fixiste Georges Cuvier et le conservatisme confessionnel de l’Empire suivi du retour de la Restauration.
Napoléon Bonaparte créa les grandes écoles. Nous avons ainsi hérité depuis deux siècles d’une double structure de l’enseignement supérieur : l’Université diffusait la Culture, et les grandes écoles la formation des élites au service de l’État et des grandes entreprises. Maintenant, devant la multi-polarité du monde, nos élites,  toujours éduquées selon une vision figée du monde, ne savent plus s’adapter.

Nous n’avons pas besoin d’une élite(lamarckisme) mais d’une diversité d’élites potentielles (darwinisme).

La dynamique lamarckienne est incontournable en France et en Allemagne, la dynamique darwinienne à des adeptes actifs aux Etats-Unis.

Pour Lamarck.

• Les lignées sont indépendantes et se développent en se perfectionnant isolément, l’évolution est verticale et par secteur.
• La croissance est fondée sur une disponibilité sans limite d’énergie et de matières premières (le cou de la girafe peut s’allonger indéfiniment en s’étirant).

C’est ainsi que fonctionnent les grandes administrations, les grandes entreprises. La culture de l’ingénieur est entièrement dédiée au perfectionnement de filières déjà existantes (les pôles d’excellence), avec de grandes réussites comme Airbus, le nucléaire ou les télécommunications. C’est un transfert de technologies et pas de l’innovation. Le développement des filières est concurrentiel, sectoriel, vertical. Améliorer sans cesse un record débouche toujours sur un gain de plus en plus réduit et coûteux(nucléaire). Le recyclage rapide dans une autre filière devient impossible.

Qu’y a-t-il de plus lamarckien que notre système d’enseignement ?

Il y a qu’une seule structure à laquelle l’élève doit se conformer ; gravir le plus vite possible l’escalier unique de la réussite(comme le cou de la girafe !). Si l’élève ne répond pas aux critères, ce n’est pas le système qui est en cause mais sa capacité à se caler sur une échelle préétablie des réussites ; s’il est en avance, c’est un génie ; s’il est en retard, il redouble ou est évacué dans des filières moins nobles, voire méprisées. Notre système scolaire est fondé sur une sélection par l’échec alors que chacun est porteur d’une «richesse» potentielle.

On se croyait des hommes, on est devenu des nombres.

Un changement de paradigme est nécessaire, passer du monde des chiffres au monde des idées, d’un modèle «mélioriste» à un modèle «conceptuel» créant de nouveaux marchés. On a besoin de créativité et d’innovation réelle : chercheurs, artistes, designers, littéraires….
Les entreprises les plus innovantes recourent plus à des capacités de réorganisation mettant en place les conditions de nouvelles émergences à partir de caractères ou de compétences déjà existantes, qu’à cette manie de perfectionner un modèle déjà existant par la seule recherche d’une meilleure productivité qui s’essouffle forcément.

Nous sommes devenus très intelligents non pas avec des neurones particuliers (qualitatif) ou un plus grand nombre(quantité), mais avec des  connexions en réseaux de plus en plus complexes. Au sein de ces réseaux, les parties ne sont pas en relation hiérarchique entre eux mais en relation dialectique.

En période de crise on préfère dégraisser les effectifs plutôt que de réorganiser. Si c’est «soutenable» pour les métiers de faible qualification, à condition d’y associer, à l’avance, une formation relais, c’est condamnable pour ceux qui exigent de hautes compétences.
On considère les ressources humaines comme des variables d’ajustement quantitatives (lamarckisme) plutôt que les ressources qualitatives de chaque individu susceptibles de proposer une autre structure (darwinisme)..
«Les entreprises innovantes comme 3M ou Google incitent leurs ingénieurs-chercheurs à faire ce qu’ils veulent entre 10 et 20% de leur temps» Pascal Picq.
Les idéologies productivistes lamarckiennes recherchent des solutions quantitatives, alors que tant de solutions qualitatives existent ; l’exemple le plus aberrant est celui des biocarburants ; on tente de développer la production agricole de plantes destinées à produire des hydrocarbures alors que les terres arables se réduisent et s’épuisent et que les manifestations de la faim se multiplient !

La culture entrepreneuriale en France accentue l’incompréhension et la paralysie entre les acteurs de l’entreprise ; les uns et les autres sont rangés dans des catégories bien séparées : l’employé, la cadre, le patron, l’actionnaire, suivant une échelle hiérarchique autoritaire. Or, les enjeux des entreprises reposent sur les capacités d’inventer de nouvelles interactions à partir de la diversité. L’entreprise devrait favoriser les personnes n’ayant pas la même vision du monde et ouvrir un champ d’échanges. Pour faire émerger l’innovation darwinienne, il faut savoir «perdre» du temps et installer des conditions de production d’idées. En France, on massacre la recherche fondamentale ; on ne trouve pas assez vite, c’est du gaspillage d’argent !

Ce n’est pas ce qu’elle coûte qui importe mais ce qu’elle rapporte !

Actuellement, séparer les compétences en recherche appliquée et en recherche fondamentale est une absurdité. Les ingénieurs sont plus efficaces dans l’innovation lamarckienne, les chercheurs dans l’innovation darwinienne.

La solution est d’investir d’abord dans le désordre créatif darwinien avant que n’entre en lice l’excellence lamarckienne.

Pour Pascal Picq (un paléoanthropologue dans l’entreprise) :
«L’avenir de notre pays réside autant dans nos «banlieues» qu’à «Normale Sup.» chez des jeunes capables de faire évoluer notre modèle plutôt que ceux sélectionnés pour perpétuer un modèle qui ne cesse d’accumuler des échecs. »

par Georges Vallet

crédits photos : colegioweb.com.br

Descartes, si tu savais! 1+1 fait bien plus que 2 !!

GVDepuis au moins une quarantaine d’années la situation financière et économique n’est pas brillante, les répercussions sociales et environnementales sont catastrophiques. Si, jadis, par périodes, il en a été de même, la maîtrise, aujourd’hui, est devenue de plus en plus difficile et incertaine, les mêmes remèdes ne produisant plus les mêmes effets.

Cette crise globale et persistante n’est pas conjoncturelle mais systémique.

Les économistes dominants, français entre autres, sont attachés à un cartésianisme culturel, analytique et mécaniste; ils pensent que l’économie ou l’entreprise, peut se ramener à un assemblage mécanique de composants quantifiables.

Ils ne veulent pas s’adapter à l’évolution du réel qu’ils ont pourtant contribué à modeler.

Des «Lumières» nous éclairent pourtant: prix Nobel, professeurs d’économie, experts…! Malgré cela l’efficacité n’est pas au rendez-vous : des avis partagés, aucune vision globale sauf fragmenter et faire des économies de gestion ; les mesures appliquées sont ponctuelles : allongement de la durée de cotisation pour la retraite, baisse des charges pour les entreprises, non remplacement des fonctionnaires, baisse du remboursement des médicaments,…, j’en passe et des plus importantes!

Il y a par contre une nécessité incontournable : il faut croître !

Déjà obèses et hypertendus, car gros mangeurs, nous subissons périodiquement des attaques cardiaques. Les médecins insistent : « il faut manger vite et le plus possible, tout de suite, c’est le seul moyen de vous en sortir » ! C’est délirant !

L’étude de la nature et de son économie, au cours de l’histoire, est passée du domaine descriptif aux domaines fonctionnel et relationnel.

Dans cette dernière étape, on s’est aperçu que l’être vivant : animal, végétal, champignon, bactéries, virus, n’était jamais seul, qu’il dépendait des autres et avait une histoire.

Ce fut une véritable révolution culturelle.

« Exister, c’est être relié : relations à Soi, aux autres (la Communauté), au monde (la Nature) et à l’absolu (le Divin). » dit Marc Halevy.

« Alors que, comme pour la variole, un seul agent pathogène provoquait une seule maladie, il faut aujourd’hui sortir de cette logique causale simple et voir les choses autrement » Remy Slama, épidémiologiste de la reproduction à l’Inserm.

Il existe une quantité immense de déterminants à l’origine des maladies : biologiques, chimiques, physiques, sociaux, comportementaux… Ils se combinent les uns avec les autres. En outre, leurs effets peuvent s’ajouter, être différés dans le temps, au point de s’exprimer parfois sur les générations suivantes !

Les réponses thérapeutiques font appel à la pluridisciplinarité: spécialistes des sciences de l’environnement, des sciences humaines et sociales, de la toxicologie, des sciences fondamentales, de l’épidémiologie….

« Il faut prendre en considération le patient dans toutes ses dimensions » Karine Clément cardiologue.

Par exemple, des publications récentes montrent que la flore intestinale: « représente 100 milliards de bactéries. Ses 3 millions de gènes interagissent avec notre propre génome » Karine Clément. L’alimentation, les agents toxiques, les médicaments, la pollution atmosphérique, les infections, la sédentarité ou le stress, … modifient la santé et le psychisme.

L’analogie avec l’économie culturelle est frappante ; elle est malade aussi et les économistes n’ont pas pris en considération le patient dans toutes ses dimensions, ils n’ont pas pris en compte tous les déterminants !

Si, comme Descartes, on découpe le système pour le démonter, on coupe du même coup les interactions et, donc, on tue la complexité qui fait valeur : prétendre étudier un animal en «reconstituant» son milieu de vie en laboratoire, couper en deux une forêt par une route, sur le forum, D.Sango évoquait la SNCF, le millefeuille administratif, pensons à Alstom, à L’Europe que certains veulent faire éclater….)

Une science s’est investie dans la compréhension des relations entre les déterminants vivants et non vivants : c’est l’écologie. Elle en a déduit que l’ensemble de l’univers et de notre planète, avec son vivant, était formé par l’emboîtement (poupées gigognes) hiérarchisé de systèmes complexes, en étroite dépendance les uns avec les autres, régulant trois flux : Energie, Matière, Information, dans le temps et l’espace, suivant l’évolution de l’environnement.

Il importe de bien faire la différence entre compliqué et complexe :

Compliqué naît de l’assemblage mécanique d’éléments externes, c’est uniquement quantitatif : beaucoup d’éléments, beaucoup de paramètres, beaucoup de règles, beaucoup d’opérations, etc …Quand tout s’enchaîne linéairement la certitude est au bout !

La complexité naît de l’émergence organique de processus internes. L’enchainement est en réseau avec rétroactions, la résultante est incertaine.

Pour Descartes tout était « compliqué ».

Un Airbus est compliqué; une forêt, un homme, le climat, l’économie, l’Europe…sont complexes.

La complexité mesure la capacité d’un système à devenir plus que la somme de ses parties. Elle s’appuie sur la quantité, l’intensité et la fréquence des interactions entre les constituants. La complexité, et non le compliqué, engendre des propriétés émergentes, c’est-à-dire des propriétés qui surgissent du fait de ces interactions entre les constituants sans appartenir en propre à aucun d’eux. 1+1 fait toujours plus que 2 : H2 et O = eau !

Un être vivant est plus que la somme de ses cellules, une forêt plus que l’ensemble des arbres, une pensée intelligente plus que la somme de ses neurones. L’Europe pourrait-être plus que la somme de ses états !

Une entreprise est plus que la somme des composantes humaines et financières.

Avec la globalisation, la mondialisation et «l’internetisation» le nombre des acteurs : hommes, entreprises, marchés, échanges, a considérablement augmenté. La quantité, l’intensité, la fréquence des interactions entre ces acteurs a cru exponentiellement, sans régulation, le tout largement amplifié par le jeu malsain des médias, d’où le déséquilibre systémique. C’est l’explication profonde des turbulences d’aujourd’hui mises en exergue par les résultats alarmants des dernières élections. Nos « sciences économiques», analytiques et mécanistes, sont incapables d’anticiper ces immenses convulsions systémiques actuelles. Elles demandent à leur environnement humain de «se réformer» sans imaginer que c’est à elles de le faire !

« Une entreprise est un système ouvert, en prise permanente avec son milieu…. le milieu économique global connaît une transformation profonde… une bifurcation systémique, semblable à la métamorphose d’une chenille en papillon….nous vivons le passage d’une logique économique (industrialisation, financiarisation, standardisation) à une tout autre logique économique (qualité, durabilité, créativité). » Marc Halévy, «Un univers complexe. L’autre regard sur le monde ».

La réussite financière d’une entreprise n’est pas pas seulement liée à la baisse quantitative des charges, des employés et de leur salaire, au management « expéditif » agressif, mais à la qualité des produits, à la compétence des collaborateurs, la qualité des rapports humains, horizontalement et verticalement: confiance, respect, sécurité, bien-être du personnel apportent l’essentiel : l’envie d’aller travailler, de collaborer, de se perfectionner et de créer, valeurs non chiffrables retrouvées pourtant dans les bilans !

Concrètement, chaque entreprise doit apprendre à élever son niveau de complexité afin de se mettre au diapason de la réalité systémique du monde réel.

Une lueur d’espoir :

L’ESSEC a lancé la  » chaire Edgar Morin de la complexité  » le 11 mars 2014, au grand amphithéâtre du campus de Cergy.

« Lors de cette leçon inaugurale il nous introduira à la compréhension et la maîtrise des enjeux de la notion de complexité et de son utilité pour aborder les réalités du monde contemporain. »

– par Georges Vallet

crédit photos:studyramagrandesecoles.com