« Et pleine d’un bétail magnifique, l’étable,
A main gauche, près des fumiers étagés haut,
Volets fermés, dormait d’un pesant sommeil chaud,
Sous les rayons serrés d’un soleil irritable ».
L’étable Emile Verhaeren.
Voici venu le temps du salon de l’agriculture, grand-messe annuelle sur laquelle un regard apaisé est censé se poser. La dérive des continents, celle qui éloigne toujours plus les ruraux des urbains, les jeunes des vieux et les branchés des ringards se ralentit pour quelques jours. Les journaux télévisés viennent filmer cet énorme taureau, les mamelles prodigieuses de telles vaches ; les porcs noirs, fierté gasconne, seront médaillés avant d’être débités en saucisson goûteux et personne n’y trouvera à redire. La France, en pleine crise de schizophrénie, va se réconcilier avec ses racines et, même le président, si éloigné de ce monde, coupera le ruban de cette manifestation consensuelle. Dans les allées, il ne fera jamais aussi bien que Chirac qui savait taper sur le cul des vaches et lever le coude avec bonheur…
Cette ferme au salon n’est que théâtre car le ressentiment des urbains, vis-à-vis des ruraux n’a jamais été aussi fort. La question de la sécurité alimentaire ne s’apprécie plus du point de vue quantitatif mais qualitatif -un luxe si on se place du point de vue de la planète. Ainsi la vague du bio oblige les producteurs à se remettre en question et après qu’ils aient reçu pour mission de nourrir la planète, ils doivent aujourd’hui produire moins mais mieux, avec pour conséquence des changements complets dans l’organisation des productions mais aussi dans leur vie quotidienne. Ces efforts ne sont ni compris ni encouragés par la collectivité dans son ensemble embarquée par ailleurs dans une course au progrès qu’elle ne peut maîtriser.
Le ressentiment à l’égard des ruraux, des éleveurs en particulier, s’exprime de manière souvent violente par la voix des militants animalistes, anti-viande, végans notamment puissamment relayés par les médias comme le montre le graphique qui illustre ces quelques lignes*. Il est dû au chercheur anthropologue Eddy Fougier dans son récent ouvrage « La contestation animaliste radicale », Fondapol, 2019. Il commente ces chiffres ainsi : « La dérégulation récente du marché de l’information a aussi joué un rôle majeur : les réseaux sociaux ou les plateformes de vidéos en ligne ont donné une grande visibilité au discours et surtout aux vidéos postées par ces mouvements. Or, on le sait, ce nouveau marché de l’information donne une prime aux individus et aux groupes les plus déterminés, et souvent les plus radicaux et caricaturaux ». Eddy Fougier ajoute : « Cette contestation animaliste radicale se caractérise tout d’abord par plusieurs formes de ruptures par rapport aux associations traditionnelles de protection animale avec une radicalisation de leurs propos et de leurs images, de leur vision (qui est de nature abolitionniste, par rapport à l’élevage ou à la corrida) et de leurs modes opératoires (qui favorisent souvent des actions directes au-delà des campagnes classiques d’information et de sensibilisation). En outre, les franges animalistes les plus radicales ont souvent recouru à des actions violentes visant les biens, voire dans certains cas les personnes, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis à un point tel que certains groupes ont été assimilés outre-Atlantique à des organisations terroristes ».
« Le Monde » de samedi revient sur ce hiatus entre les exigences nouvelles des urbains et le monde rural citant la Confédération paysanne. Elle a mis en ligne sur son site un livre intitulé « Paroles paysannes sur les relations humain-animal : plaidoyer pour l’élevage paysan » (…) « Alors que certains plaident pour des “lundis verts”, la Confédération paysanne, face aux violentes attaques des mouvements anti-élevage comme L214, a mené un travail de longue haleine pour libérer la parole paysanne ». Ainsi ce témoignage de Fanny Métrat, éleveuse de brebis en Ardèche : « Quand on nous traite de meurtriers parce que nous abattons nos bêtes, d’esclavagistes parce que nous persévérons dans la domestication, qu’on nous dit que les loups ont plus le droit que nous de vivre dans les montagnes, après la stupéfaction viennent la colère et le désarroi et c’est très lourd à porter ». Elle souligne : « la déconnexion de plus en plus grande en Occident avec la terre, les bêtes et l’acte de production, mais aussi avec la nature et la mort ».
Mme Gassiloud de la FNSEA qui fut récemment violemment prise à partie par le mouvement « Viande Abolition » estime, toujours dans « le Monde », qu’« en coulisse se joue le lobbying des industriels de la viande propre, celle sur laquelle on fait une marge facile». C’est le cas, selon elle, de l’entreprise Poulehouse, à l’origine de l’initiative « L’œuf qui ne tue pas la poule », qui propose « une retraite » aux poules moyennant un prix de vente des œufs à 6 euros les six. Il y a donc bien de puissants intérêts commerciaux qui supportent le discours anti-élevage. Les mêmes, qui dans nos pays développés, a donné une place inédite aux animaux de compagnie comme le montre l’espace qui est leur est consacré dans les grandes-surfaces.
Qui se souvient du « pèle-porc » ? Ça n’est pas si loin pourtant et la plupart des générations qui nous ont précédés mettaient la main à ce qui était une sorte de rite, un rendez-vous familial, une fête païenne et rigolarde. Les considérations morales sont désormais vaines dans un domaine où la passion l’emporte sur la raison. On nous explique qu’il est temps d’agir pour une agriculture « propre », une « transition agricole ». C’est vrai, sans doute, puisqu’on nous le martèle ; mais qui en paiera le prix ? Le consommateur et/ou le producteur ?
Pierre Vidal
*Illustration extraite du livre « La contestation animaliste radicale », Eddy Fougier, Fondapol, 2019. L214, de son nom complet L214 éthique et animaux, est une association à but non lucratif française fondée en 2008 qui défend la cause végane et les droits des animaux . (Wilkipedia)