Lettre ouverte à Elisabeth Guigou

imagesCela fait quinze ans qu’un débat sur le PACS avait lieu. Elisabeth Guigou était alors garde des Sceaux du gouvernement de Lionel Jospin et, à ce titre, avait soutenu le projet devant l’Assemblée Nationale. Le mariage pour tous provoque les mêmes inquiétudes que celles exprimées à l’époque pour le PACS. Mme Guigou reste-elle sur ses positions ?

Madame la ministre,

En effectuant des recherches dans les archives des débats de l’Assemblée Nationale, j’ai retrouvé le texte du discours que vous aviez prononcé le 3 novembre 1998. Permettez-moi, afin de lever toute ambiguïté, de le reproduire en partie ici.

« Je reconnais totalement le droit à toute personne à avoir la vie sexuelle de son choix. (…) Mais je dis avec la plus grande fermeté : ce droit ne doit pas être confondu avec un hypothétique droit à l’enfant. Un couple qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel, n’a pas de droit à avoir un enfant, en dehors de la procréation naturelle, bien entendu, qui, elle, implique nécessairement un homme et une femme. (…) Les lois récentes sur la procréation médicalement assistée ont été l’occasion de tracer les limites du droit à l’enfant comme source de bonheur individualiste. Elles ont clairement indiqué – et je partage ce point de vue – que les procréations médicalement assistées ont pour seul objet de remédier à l’infertilité pathologique d’un couple composé d’un homme et d’une femme. Elles n’ont pas pour but de permettre des  procréations de convenance sur la base d’un hypothétique droit à l’enfant. (…)

Pourquoi l’adoption par un couple homosexuel serait-elle une mauvaise solution ? Parce que le droit, lorsqu’il crée des filiations artificielles, ne peut, mesdames et messieurs les députés, ni ignorer ni abolir la différence entre les sexes. (…) Cette différence est constitutive de l’identité de l’enfant et du sens de cette identité : « Qu’est-ce que cela signifie pour moi d’être un homme, d’être une femme ? » Je soutiens, comme de nombreux psychanalystes et psychiatres, qu’un enfant a besoin pour sa structuration psychique, sociale et relationnelle d’avoir face à lui pendant sa croissance (…) un modèle de l’altérité sexuelle, un référent homme et un référent femme. (…)

Un enfant adopté, déjà privé de sa famille d’origine, a d’autant plus besoin de stabilité que l’on crée pour lui, en vertu de la loi, une difficulté supplémentaire liée à son milieu d’adoption. Mon refus d’adoption pour les couples homosexuels (…) est  fondé sur l’intérêt de l’enfant, sur son droit à un milieu familial où il puisse structurer son identité et épanouir sa personnalité.  C’est ce point de vue que je prends en considération et non celui des couples, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels. Je n’ignore pas non plus les procès d’intention quant à un éventuel « après » de cette proposition de loi, qui préparerait des évolutions plus fondamentales de notre droit. (…)

Ce texte, a-t-on pu lire ici ou là, serait une valise à double fond. Je veux m’élever avec la plus grande énergie contre de telles insinuations.

Les mots, je crois, ont un sens… Ce vocabulaire de contrebande, qui ferait croire que ce texte cacherait autre chose et que vos rapporteurs et le gouvernement exerceraient une fraude à la loi est inacceptable.

Bien au contraire, le débat que nous allons avoir doit être conduit en toute clarté et je souhaite que mes mises au point y contribuent. Ce qui est en discussion aujourd’hui, c’est un texte de 12 articles, qui permettra d’offrir des droits nouveaux à deux personnes ayant fait un choix de vie commune, pas plus, pas moins. Je vous demande de vous prononcer sur ce texte réel et non sur je ne sais quelle évolution ou quel hypothétique projet virtuel. Je laisse ces conjectures à ceux qui se complaisent dans les fantasmes. »

 

Vous vous placiez alors, Madame, sur le terrain des valeurs et vos convictions étaient exprimées avec force et talent.

Ce serait vous faire affront que d’imaginer que vous ayez pu, depuis cette date, changer d’avis. Je crois qu’il serait opportun que vous renouveliez,  aujourd’hui,  vos propos. Ils seraient de nature à dissiper certaines craintes qui s’expriment actuellement dans la rue. Celles-ci, en effet, reposent sur l’incertitude qui est ressentie par ceux qui restent persuadés que le mariage pour tous n’est qu’une étape vers le droit à la filiation pour les couples homosexuels. L’allusion  à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour autrui est par trop insistante, pour  leur donner entièrement tort.

Restant persuadé de l’intérêt que vous voudrez bien porter à ma sollicitation, je vous prie de croire, Madame le Ministre, en l’assurance de ma respectueuse considération.

                                                                                                                                                      Pau, le 23 avril 2013

 

                                                                                                                                                            Par Joël BRAUD