Des émotions à la raison : une urgente nécessité pour la nouvelle année !

En novembre 2017, les journées consacrées aux idées qui mènent notre monde se sont achevées dans l’euphorie à Pau. Le thème présenté était: «Passion, Passions».

Même avec du retard, ce sujet mérite qu’on y revienne, du fait de l’importance pour l’avenir de l’orientation donnée.

Au cours de ces journées, la Passion s’est élevée au rang de déterminisme incontournable de l’avenir de l’homme, le tome 2 du Progrès comme on le trouve évoqué dans l’exposé du thème.

En fait, les intervenants et les interventions, programmés dans ces journées étaient volontairement et soigneusement sélectionnés pour leur qualité, notoriété, leur prestige, compétence, afin d’entretenir l’attention et l’émotion de l’auditoire ; quelques exemples de comportements animés par des passions ont été décrits et justifiaient l’intitulé du thème.

Tout le monde il était beau, il était gentil, les passions menaient le monde.

C’était vraiment très incomplet, surtout orienté, déformant donc la réalité : objectif médiatique, politique, économique ? Bien des passions, moins «gentilles», sont «oubliées», aux retombées collectives pourtant constatables journellement, comme en religion, politique, sport, économie, puissance, pouvoir, justice, médias.., réseaux sociaux!

La passion (wikipedia) «est une très forte émotion tournée vers une personne ou un objet. Elle se traduit par un sentiment d’excitation inhabituelle, un fort enthousiasme ou de l’amour, envers un individu, une activité, une idée, un sujet ou un objet.»

Le ressenti prend le pas sur l’objectivité, les émotions sur la raison, le spontané sur le réfléchi.

Attention, danger !!

L’intitulé du thème est bien dans l’air du temps ; nous vivons de plus en plus dans un univers émotionnel, affectif et individualiste.

«Avant, il fallait maîtriser et surmonter la passion et c’était une souffrance. Et voilà que maintenant, le discours a changé et la passion est devenue quelque chose de beau. Nous sommes dans une période où nous exhortons la passion. Ce changement considérable a des conséquences énormes sur le collectif. On voit tous les jours dans nos relations avec les autres l’importance de la passion….Certaines passions occupent plus d’espace que l’objet de la passion, comme si la passion devenait une drogue en elle–même.» les idées mènent le monde 2017 rencontres littéraires au Palais ..

Ce texte analyse bien le problème posé.

«la passion est devenue quelque chose de beau» car seules les passions «positives» sont mises en exergue. Non seulement elle peut «devenir une drogue en elle-même», mais, les passions «négatives», en réalité, imprègnent et dirigent, souvent en dessous, notre monde de tous les jours ; elles sont redoutables : jeu, argent, possession, pouvoir, puissance, risques, rentabilité, violence, sexe, jouissance, stupéfiants, alcool, tabac, vitesse…, publicité…

Les ignorer c’est refuser de voir notre monde tel qu’il est.

Le N°851 de janvier 2018 de Sciences et Avenir consacre un article à Antonio Damasio, professeur portugais de neurologie, neurosciences et psychologie ; ses idées ont progressivement fait autorité dans le monde scientifique.

Dans un ouvrage intitulé : L’Ordre étrange des choses : «La vie, les sentiments et la fabrique de la culture», il montre que la vie, en lutte contre un perpétuel déséquilibre, porte en elle une force irrépressible pour une recherche permanente d’équilibre : l’homéostasie ; elle œuvre à la régulation de toutes les manifestations, qu’elles soient biologiques, psychologiques et même sociales, depuis les organismes unicellulaires les plus anciens…

«L’homéostasie crée un état vital que nous, créatures pensantes appelons «bien- être». C’est elle qui mène le monde des vivants.»

Au cours de l’évolution, la machine homéostasique s’est perfectionnée, différents niveaux se sont emboîtés hiérarchiquement ; ils sont décrits dans : «Spinoza avait raison : Joie et tristesse
, le cerveau des émotions».

Ils permettent de situer, dans l’échelle de l’évolution humaine, la place des passions.

1°) Premier niveau de régulation :

+Les réponses immunitaires :

+Les réflexes de base : comportements d’arrêt, de fuite, attirance ou répulsion.

+Les régulations métaboliques : régulation circulatoire, respiratoire, digestive, pH…

2°Deuxième niveau de régulation :

+Les besoins et motivations : La faim, la soif, la curiosité, le jeu, le sexe ; ce sont les «appétits» liés à un besoin particulier inconscient.

3° Troisième niveau de régulation :

Les émotions:

Générales dans le monde animal, les unes innées, les autres acquises. Elles régulent automatiquement et spontanément le processus de la vie. Elles sont présentes sur le théâtre du corps

+ primaires : peur, colère, surprise, joie, plaisir, tristesse, haine, passion amoureuse,…, passions diverses…

+ sociales : embarras, honte, orgueil, envie, admiration, indignation, mépris,

«Les émotions sont à l’origine de la culture que nous sommes capables de fabriquer… Les arts, les sciences et les technologies viennent d’une nécessité de réponse qui vient des émotions.» Antonio Damasio.

4) Quatrième niveau de régulation :

Les sentiments :

Perception d’un certain état du corps après une synthèse des émotions : empathie, altruisme, confiance, méfiance, insécurité, bonheur, amour, bien-être. Les sentiments se combinent avec les souvenirs, l’imagination et le raisonnement, pour prévoir et créer des réponses nouvelles et non stéréotypées. Le sentiment apparaît, lui, sur le « théâtre de l’esprit».

C’est le passage de l’homme biologique à l’homme culturel.

Pour A.Damasio, les émotions, passionnées ou pas, sont le passage obligé pour l’élaboration des sentiments humains.

Elles sont un moyen, pas un but.

«Raison et émotion ne s’opposent pas. Sans émotion, nos raisonnements sont biaisés et nos choix les plus simples peuvent déboucher sur des décisions aberrantes. La dichotomie passions/raison constituait l’erreur de Descartes». C’est ce qui donna son titre au premier ouvrage de A.Damasio, en 1994 : «Spinoza avait raison…»

Les émotions sont issues du contact direct et indirect avec tout ce qui nous entoure et qui nous constitue (collectif, environnement, milieu intérieur) ; ce sont des marqueurs positifs ou négatifs donnant une impression «indispensable» à la décision.

Pour une vision globalisée, et une action appropriée, il convient donc de franchir la 4ème et dernière étape de l’évolution humaine, celle qui utilise toutes les émotions et la mémoire pour élaborer une décision d’actions créatrices, réfléchies, adaptatives à la situation individuelle présente. Pour cela il faut du temps ; l’immédiateté actuelle liée à la passion d’une technologie non humanisée et à l’émotion dominante, s’y oppose.

Alors que l’homéostasie est équilibrante, les passions seules sont déstabilisantes, toujours «inassouvies».

Vouloir que les passions dirigent notre monde, c’est aboutir à un état actuel dérégulé, où tout doit être fait avant d’être commencé ; c’est le domaine de l’instantané, du spontané, de l’irréfléchi, de l’incertain, de la pulsion incontrôlée. Nous vivons une actualité de surface bouillonnante, souvent infinitésimale, masquant les grands mouvements de fond (et de fonds) qui nous entrainent progressivement, à notre insu, dans une subduction des garanties démocratiques et du droit social. C’est un vrai gaspillage, ô ! combien dangereux, des possibilités extraordinaires que l’évolution a donné à l’homme : l’intelligence.

Une image reflète merveilleusement le résultat de notre monde actuel passionné ; elle est fournie par J-Cl Guillebaud chronique 21/12/2017.

«La surface est agitée par mille turbulences maritimes superficielles tributaires de sautes de vent, grains fugitifs et météos changeantes. Ces vagues-là n’agitent que l’épiderme de la mer. Elles peuvent être traîtresses, certes, et suffisent parfois à provoquer un naufrage mais, dans les profondeurs, les mouvements de l’eau sont plus amples, plus durables, plus têtus. Lent à se former, le ressac remue l’océan dans sa masse, même jusqu’à ses tréfonds…. Sa lenteur est trompeuse. On croît qu’il nous berce mollement alors même qu’il se creuse et finira peut-être en tsunami.

«Les émotions négatives mènent à la violence, engendrent les mouvements populistes, racistes… L’éducation est le moyen de mener les émotions dans la bonne direction» A.Damasio.

Conclure sur la nécessité de renforcer l’éducation pour tous, c’est permettre de canaliser les passions et les émotions en les mettant au service du « savoir, savoir-faire, être et savoir-être», comportements inséparables de l’homme raisonnable, libre et responsable ; un beau projet pour 2018 ! 

                                                                                                                                                                                                                                                                             Signé: Georges Vallet

crédits photos: santé.journaldesfemmes.com

Tiens-toi bien au pinceau, je retire l’échelle.

!cid_90B64188-4B71-413C-9CE1-6E280917D7D8@homeLa «bulle culturelle», comme le fou de l’histoire, est en train de couper le cordon ombilical qui l’unit à ses racines biologiques.

Danger !

Les relations entre le culturel et le biologique ont été, et sont toujours, marquées par deux conceptions.

1°) La première pense que l’homme, au bout d’une dizaine de milliers d’années d’existence, ne fait plus partie de la nature. Il a été le fruit d’une création, et il peut maintenant organiser lui-même son évolution, la nature étant à son service. Cette conception est toujours très proche de l’évolution culturelle actuelle.

Il suffit de se retenir au pinceau !

2°) La deuxième soutient que le culturel s’enracinant dans le biologique, l’évolution de la société humaine est inséparable de son fonctionnement biologique.

La société ne peut pas vivre sans l’échelle et se retenir seulement au pinceau !

Dans son livre :« Spinoza avait raison»(Odile Jacob) Antonio R. Damasio établit un lien très étroit entre le corps, le cerveau et l’esprit. L’objectif inconscient, à tous les niveaux, est la recherche d’un équilibre : «l’homéostasie» en biologie, appelée «bien être» en psychologie.

De l’humble amibe aux êtres humains, tous les organismes vivants naissent, non pas libres et égaux, mais munis de procédés aptes à résoudre automatiquement, sans qu’il soit besoin de raisonner, les problèmes de base que pose la vie : trouver des sources d’énergie, l’incorporer et la transformer, préserver un équilibre chimique intérieur compatible avec les processus de la vie, se défendre contre les agents extérieurs : maladies et blessures physiques, se reproduire.

La machine homéostatique s’est perfectionnée dans le temps en développant des niveaux hiérarchiques adaptant évolution organique, physiologique puis culturelle. A.Damasio définit quatre niveaux :

Premier niveau :

>Les réponses immunitaires : protection contre les virus, les bactéries, les parasites et les molécules chimiques toxiques d’origine externe ou interne.

>Les réflexes de base : comportements d’arrêt, de fuite, attirance ou répulsion vis-à-vis de la lumière, de la chaleur, de substances chimiques.

>Les régulations métaboliques : réactions gouvernant par exemple le pouls, la pression du sang, le sucre, les ajustements acides et alcalins dans le milieu interne, le stockage et la distribution des substances énergétiques, des enzymes…

Deuxième niveau :

Les besoins et motivations : faim, soif, curiosité, le jeu, le sexe : «appétits» d’un organisme engagé dans un besoin particulier.

La douleur contribue à lutter contre le dommage subit ; le plaisir génère un corps détendu facilitant les relations avec les autres ; la sécrétion d’endorphines permet la réalisation du plaisir recherché.

Troisième niveau :

Les émotions :

Présentes chez les vertébrés supérieurs pourvus d’un cerveau, les unes sont innées, les autres acquises.

On distingue des émotions :

– primaires : peur, colère, surprise, joie, tristesse…
– sociales : embarras, honte, anxiété, orgueil, envie, admiration, indignation, mépris, la jalousie,…
Elles régulent spontanément les processus de la vie et favorisent la survie. Certaines sont désagréables comme la peur ou la colère, d’autres agréables comme certains échanges, jeux ou rapports sexuels.

Elles nous sont très utiles à condition qu’elles n’atteignent pas des intensités trop fortes et qu’elles ne durent pas trop longtemps : «Devant l’injustice, une colère indignée peut être appropriée, alors qu’une explosion de rage destructrice ne l’est pas» Matthieu Ricard.

Quatrième niveau :

Les sentiments : amour, amitié, empathie, haine, bien être, bonheur…, représentent la perception d’un certain état du corps. Ils résultent d’une synthèse des émotions automatisées ; ils permettent l’émergence de réponses nouvelles, non stéréotypées.

C’est le passage de l’homme biologique à l’homme culturel.

Ils nous aident à résoudre des problèmes non «routiniers» impliquant créativité, jugement et prise de décision, lesquels nécessitent la manifestation et la manipulation consciente des très grandes quantités de connaissances acquises. Cette intégration siège uniquement au niveau du cortex hypertrophié de l’homme.

Conclusion :

Du fait de la nécessaire immédiateté dans laquelle on vit actuellement, la politique, le comportement médiatique, la réaction sociale aux problèmes actuels…, sont basés de plus en plus largement sur l’émotion : colère, agressivité, peur, ressenti, violences,…: processus instinctifs, biologiques, qui ne laissent pas la place à un contrôle volontaire, à la réflexion consciente, à l’utilisation des connaissances, à l’intelligence donc.

Lors d’un entretien avec Jean-Jacques Urvoas publié par le Nel Obs n°2700 en août 2016, ce dernier se disait inquiet «de la virulence des propos qu’on lit sur les réseaux sociaux. Menaces et vociférations remplacent les arguments.»

Cette inquiétude est justifiée !

Cette nouvelle finalité, qu’est l’émotion, maintient notre interprétation du monde au niveau de la réaction spontanée, non réfléchie, et non à ce qui fait la supériorité de l’homme : la pensée synthétisée et consciente.

Il y a là, très probablement une des explications aux problèmes de notre monde.

A. Damasio nous démontre que les conventions sociales, les règles éthiques, les lois, la démocratie…, sont des extensions des dispositifs homéostatiques de base au niveau de la société et de la culture. Elles ont pour but un équilibre de vie assurant survie et bien-être. Il en est de même des instances mondiales de coordinations sociales : OMS, UNESCO qui favorisent l’homéostasie mondiale.

Comme les équilibres de base, ces structures sont fragiles, des perturbations trop importantes risquent de les mettre en péril ; c’est ce qui explique l’angoisse et tous les problèmes actuels liés à l’inadéquation entre la vitesse de l’évolution économique et financière et la possibilité adaptative d’un homme biologique, récepteur sacrifié, abandonné et soldé pour ce que certains appellent «l’intérêt général»
Comment passer d’une gestion du monde purement physique et instinctive, basée sur l’émotion, à une gestion réfléchie, intelligente, pensée, véritable condition du sentiment de bien-être ?

Peut-être redécouvrir la durée du temps, l’importance de la mémoire, de l’histoire, de l’imagination et de l’empathie ; le «care» est un comportement évoqué qui fait intervenir les sentiments.
Dernièrement Jean-Claude Guillebaud écrivait :

«Nous sommes malades du temps. L’immédiateté haletante a pris le pas sur les autres : l’intelligence, l’histoire, le long terme, le lien, le projet… Il est urgent d’apprendre à résister aux infos intimidantes, aux commentaires insignifiants….»

Signé Georges Vallet

Crédits photos: virusphoto.com