Le très intéressant compte rendu de Larouture sur «Impressions sur les rendez-vous de l’urbanisme» m’incite à déborder, en complément intellectuel, le cadre prévu, en situant ces » impressions sur les rendez-vous de l’urbanisme « au cours de l’évolution de la vie biologique et culturelle.
«La nature a près de 4 milliards d’années d’expérience. Autant regarder comment elle fait pour résoudre des problèmes auxquels nous sommes confrontés» Jacques Livage, laboratoire de chimie condensée de Paris.
Tous les domaines sont concernés : énergie, santé, matériaux, agriculture, pollution…La photosynthèse est un exemple incomparable d’utilisation non polluante d’énergie renouvelable «dont nous avons intérêt à comprendre le mécanisme pour tenter de le copier ou de s’en inspirer dans le cadre de la transition énergétique»Kalina Raskin directrice du centre européen d’excellence en biomimétisme(Ceebios).
L’idée de s’inspirer de la nature n’est pas nouvelle. Déjà, Léonard de Vinci copiait les oiseaux pour sa machine volante….
Le biomimétisme apporte des solutions dans bien des domaines de la recherche comme la construction, les technologies non polluantes, les matériaux entièrement recyclables, les énergies renouvelables performantes..
Le FBEI Fermanian Business and Economic Institute en Californie estime que cette science représente un potentiel de 300 milliards de dollars de PIB et de 1,6 millions d’emplois pour les Etats-Unis en 2025.
Pour plus d’info on peut lire :«Quand la nature inspire la science» Mat Fournier. Plume de carotte 2016.
«Saviez-vous que le Velcro est le résultat de l’observation d’une plante «accrocheuse», la bardane ? Que la première montre-réveil est due au grillon ? Que la coquille Saint-Jacques est à l’origine de l’invention de la tôle ondulée ? Que les yeux antireflets des mouches ont permis la création de panneaux photovoltaïques ? Que le toit de Waterloo Station, à Londres, a été bâti sur le modèle des écailles du pangolin ? Que la cigogne, la chauve-souris, le canard et même le thon ont inspiré autant de modèles d’avions ? Depuis des centaines d’années, les animaux et les plantes ont soufflé leurs idées simples et naturelles aux ingénieurs, aux architectes et aux scientifiques qui ont su les observer.»
Je me propose de développer, dans deux textes, deux domaines où le biomimétisme, consciemment ou inconsciemment, a ou devrait accompagner l’homme dans son évolution culturelle.
Pour ce premier exemple faisons une comparaison entre l’évolution de l’architecture au niveau biologique, depuis l’apparition de la vie, et celle développée par l’homme au cours de son histoire, ancienne et moderne.
La sélection naturelle a progressivement privilégié, du fait des contraintes agressives de l’environnement, la membrane cellulaire, puis des formes présentant des systèmes de résistance plus efficaces :
- Aux chocs, sous forme de squelette externe comme les tests des unicellulaires constituant le plancton marin ou d’eau douce, à l’origine des roches calcaires ou siliceuses.
- A la pesanteur, pour les animaux ayant peuplé le milieu terrestre. C’est le cas des squelettes des vertébrés.
- Les premiers pluricellulaires apparus ont développé des squelettes externes massifs formés, comme des parpaings ou des briques juxtaposés, de prismes de calcite ou d’aragonite lamellaire dans la nacre. Épais, lourds, ils devaient vivre sur le fond de l’eau. Ce n’était pas un gros inconvénient car la poussée d’Archimède (qu’ils ignoraient !), compensait et permettait les déplacements, souvent limités d’ailleurs. On peut citer les coquilles des mollusques, des ammonites, des oursins…
- Les seconds, apparus par la suite, conquérants de la terre ferme, ont pu éviter l’écrasement et se maintenir, d’abord couchés (reptiles), puis, sur 4 pattes courbés (batraciens) puis sur deux pattes, semi-vertical puis vertical (oiseaux, mammifères et l’homme), grâce à l’allègement d’un squelette interne sinueux, armé, souple, léger (creux par endroit), adapté par sa structure évolutive, aux forces qu’il a à subir. Ce n’est plus du calcaire mais un mélange de différents sels minéraux et de matière organique, le tout parcouru par des fibres s’entrecoupant dans de nombreuses directions (un peu comme dans le béton armé). L’exemple le plus spectaculaire est fourni par l’observation d’une coupe longitudinale de fémur humain (1).
Le tube creux est privilégié ; plus léger, il est protecteur de formations fragiles comme le cerveau ou des centres de formation des globules du sang; il est empli d’air chez les oiseaux.
La sélection culturelle a maintenu d’abord, elle aussi, des architectures réalisant des bâtiments massifs, lourds, peu élevés du fait de leur poids, formés par des blocs énormes (pyramides), des pierres taillées (forteresses..), des blocs de synthèse (briques, parpaings…). Les œuvres d’art, comme les églises, ont représenté l’apothéose de : l’art roman.
Puis avec les progrès de la technologie et du savoir faire, telle l’évolution biologique, le bâtiment s’est élevé, allégé, aéré,.., un nouvel art est apparu:
L’art gothique.
La technologie a transformé par la suite, elle aussi, les tubes pleins en tubes creux en changeant, elle aussi la composition de la matière; le béton armé, l’acier, le plastique…
Le corps humain est une merveilleuse cathédrale gothique qui peut se déplacer !
Dans les deux souffle l’esprit.
Un certain nombre de caractères permettent de faire la démonstration(1) et (2) :
- La forme élancée, verticale, comparable à une nef très élevée avec arcs-boutant. Les deux jambes forment une ogive répartissant le poids du corps sur chaque jambe, le bassin servant de clé de voûte. Les deux membres supérieurs sont autant d’arcs-boutants chez les quadrupèdes assurant l’équilibre, le vol ou la préhension chez les bipèdes.
- On retrouve cette même structure en croisée d’ogives dans la structure des os longs intervenant dans la stature (3). Le fémur est constitué de plusieurs milliers de travées reliées entre elles. C’est dans l’orientation de ces mêmes travées que réside la force de résistance du fémur. En effet, l’orientation des travées dépend des lignes de forces mécaniques auxquelles est soumis l’os car les cellules qui les fabriquent ont la capacité de percevoir ces forces mécaniques et de produire de l’os là où les forces exercées sont les plus intenses. Le fémur présente une série de prolongements agencés le long des lignes de force générées en position debout, le tout lui permettant d’optimiser sa résistance mécanique et d’évoluer suivant l’évolution des contraintes.
Et pour Spinoza et d’autres, Dieu est dans tout cela !
Au XIXe siècle, un mathématicien et ingénieur: Karl Cullman, traduisit ces informations en théorie appliquée au concept de la Tour Eiffel(4).
«L’architecture du futur construira en imitant la nature parce que c’est la plus rationnelle, durable et économique des méthodes» Antoni Gaudi.
Il ne pouvait pas mieux dire.
Un article paru dans la Revue d’histoire naturelle «Espèces», développe une étude sur notre façon de plus en plus recherchée «d’habiter des Architectures animales»
>La structure des animaux, dès la fin du siècle dernier, inspire ingénieurs et architectes pour créer des formes alliant esthétique, fonctionnalité, capture de d’énergie.
Esthétique comme le National Stadium de Pékin (5) édifié pour les jeux olympiques de 2008 sur le modèle du nid d’oiseau.
Fonctionnalité comme la Tour Eiffel(4) inspiré par le fémur(3) du fait des qualités exceptionnelles de cet os le plus résistant et l’un des plus légers du corps humain.
Capture d’énergie dans le bâtiment H.Poincaré à Aix en Provence qui utilise des feuilles artificielles orientables pour capter l’énergie solaire.
>Les radiolaires(6), organismes marins unicellulaires à squelette siliceux ont inspiré, dans les années 30, Robert Le Ricolais; il créa des dômes géodésiques comme le pavillon des USA (7) à l’exposition universelle de 1967 et celui de la Biosphère sur l’île sainte-Hélène à Montréal.
>L’éponge marine Euplectelle(8) a un squelette siliceux composé de spicules formant un réseau rigide, solide, aux propriétés exceptionnelles de transmission de la lumière. Elles ont été la source d’inspiration des fibres optiques à haut rendement; le squelette de cette éponge a servi à Norman Foster pour édifier «Le Cornichon»dans la City de Londres(9) et récemment la structure de la passerelle de la gare de la Roche-sur-Yon.
>La tôle ondulée a été conçue sur le modèle de la coquille Saint-Jacques qui associe rigidité et légèreté, et, d’un point de vue symbolique le pouvoir protecteur, emblème des pèlerins du chemin de St Jacques de Compostelle.
La ville de Royan, après sa destruction lors de la guerre, a vu son marché reconstruit avec un toit en béton armé (11) copié sur une valve de la coquille de bénitier (10).
>On pourrait citer bien d’autres exemples comme l’East-gate Building de Harare au Zimbabwe copiée sur l’architecture et la fonctionnalité de la termitière africaine du genre Macrotermes(12).
Les inventeurs dialoguent, comme dans le passé, sans cesse avec la nature, pour créer des formes et des structures originales plus adaptées aux besoins de la société.
Evolution biologique et évolution culturelle: encore un point commun !
Georges Vallet