Une rue des Républicains Espagnols sera inaugurée dans le quartier du Hédas à la fin de la semaine. Elle sera située près de celle dédiée à Abdel-Kader, bien oubliée hélas ! C’est un rapprochement symbolique que celui de ces deux voies consacrées à des faits en réalité bien différents mais qui consacrent des événements historiques longtemps occultés ou oubliés, dédiés d’un côté à une personnalité rayonnante, proie de la conquête coloniale et de l’autre à des héros anonymes, victimes d’une injuste tyrannie.
Pau n’est pas seulement ville anglaise comme on se plait à le dire dans les dépliants en omettant de dire qui en étaient les maîtres et les domestiques. Elle est plurielle. Il faut relire l’histoire de la capitale du Béarn comme étant avant tout le produit d’un métissage qui l’a façonnée au long de son histoire -à l’instar de la nation française d’ailleurs. Les Espagnols –comme les Portugais, dans une moindre mesure- ont joué un rôle important, dans sa démographie comme dans sa culture.
Il y eut une part importante, une première vague de cette immigration espagnole qui fuyait la misère qui régnait chez nos voisins, au sud de la péninsule surtout. Elle fut, pour l’essentiel, d’origine rurale et n’en pouvait plus de la loi d’airain imposée par les grands propriétaires latifundistes, affamant littéralement les populations. C’était un peuple d’ouvriers agricoles embauché –ou non- quotidiennement pour une pesette, tenu d’effectuer de lourds et pénibles travaux, exposés aux brûlures d’un ardent soleil.
Pas de syndicat, pas de manifestations, aucun moyen de défense sauf la fuite vers un monde meilleur : la France. Ces victimes de la faim, d’une certaine manière, étaient républicains avant l’heure car cette barbarie, cet ordre injuste, la république espagnole avait pour projet de l’abolir. Ainsi quand Franco et son gang de généraux se soulevèrent, ils trouvèrent face à eux un peuple souvent désarmé mais déterminé.
Ce fut donc une guerre fratricide sans pitié et d’une cruelle dureté qui annonçait les massacres de masse qui suivraient à l’échelle européenne dès 1942. Le clergé espagnol soutint le soulèvement factieux apportant ainsi sa caution morale à la mise à bas de la jeune république. Contre cela se levèrent des chrétiens sincères comme François Mauriac ou Georges Bernanos révoltés par le cynisme franquiste. Les républicains perdirent la guerre abandonnés de tous et d’abord des démocraties : la France de Léon Blum et l’Angleterre de Chamberlain. Ils se tournèrent alors vers l’Union Soviétique et Staline, dans son délire paranoïaque, en profita pour régler ses comptes avec ses ennemis de l’intérieur comme l’a si bien décrit George Orwell dans ses « Adieux à la Catalogne ». Le camp franquiste bénéficia lui du soutien massif de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste.
Après une résistance farouche, le soutien de brigades internationales dont les membres venaient du monde entier, la république espagnole s’effondra et vint l’heure de la « Retirada », la retraite. Entre 450 000 et 500 000 femmes, enfants, vieillards franchirent en trois jours la frontière dans les Pyrénées Orientales, venues de l’ultime réduit légitimiste, mitraillées par l’aviation franquiste. Débordée par le flot immense, mal intentionnée aussi, l’administration Daladier accueillit bien mal cette vague immense. Après qu’ils furent désarmés, ils furent parqués dans un premier temps sur les plages de la Catalogne française en ce mois de février 1939, balayées par le vent glacé. Nombreux sont ceux qui disparurent dans ce premier enfermement on en connaît pas vraiment le nombre et la souffrance de ces premiers mois d’enfer pour des dizaines de milliers de personnes reste encore à décrire.
Les républicains furent ensuite dispersés dans des camps dits « de concentration » par l’administration de l’époque. Ils furent très mal accueillis par l’ensemble de la population –il y eut des exceptions-, vilipendés par la presse locale et par une grande partie des hommes politiques. Ce fut particulièrement vrai pour Gurs, à quelques kilomètres de Pau, où se construisit en quelques semaines le plus grand de ces camps. La troisième ville du département. Le camp reçut environ 30 000 Espagnols, des soldats d’abord : les Basques –ils avaient leur armée-, les « aviateurs » -élite de l’armée républicaine- puis des membres des Brigades Internationales venus de 25 pays différends ; plus tard des hommes et des femmes réfugiés.
Enfermés derrière une triple rangée de barbelés, dans la boue et la faim, les Espagnols de Gurs montrèrent une discipline de fer qui fit l’admiration de tous. Ils gérèrent le camp eux-mêmes en en faisant un haut lieu de culture populaire. Jamais ils ne se laissèrent aller à l’amertume de la défaite, stimulés par des leaders charismatiques et de brillants intellectuels. Cela sans doute les aura sauvés et la population locale, pour une partie, commença à les voir autrement.
Plus tard une partie d’entre eux rejoindront la Résistance. Ils seront très actifs dans les maquis. Entre autres exploits ils seront les premiers à rentrer dans Paris et ils formeront la garde rapprochée du Général de Gaule lui-même. Beaucoup d’entre eux restèrent en France, sans amertume et avec une volonté d’intégration farouche. Ils apprirent notre langue à leurs enfants et ils font désormais partie du tissu social de notre cité où ils sont parfaitement intégrés tout en gardant une identité propre.
Ainsi une rue de Pau viendra rappeler cette Histoire douloureuse où la France ne s’est pas toujours illustrée. C’est un hommage tardif mais bien mérité à la dignité de ces combattants souvent héroïques qui forment une part de cette diversité qui fait notre ville.
Pierre Vidal
Photo : Capa