Descartes, si tu savais! 1+1 fait bien plus que 2 !!

GVDepuis au moins une quarantaine d’années la situation financière et économique n’est pas brillante, les répercussions sociales et environnementales sont catastrophiques. Si, jadis, par périodes, il en a été de même, la maîtrise, aujourd’hui, est devenue de plus en plus difficile et incertaine, les mêmes remèdes ne produisant plus les mêmes effets.

Cette crise globale et persistante n’est pas conjoncturelle mais systémique.

Les économistes dominants, français entre autres, sont attachés à un cartésianisme culturel, analytique et mécaniste; ils pensent que l’économie ou l’entreprise, peut se ramener à un assemblage mécanique de composants quantifiables.

Ils ne veulent pas s’adapter à l’évolution du réel qu’ils ont pourtant contribué à modeler.

Des «Lumières» nous éclairent pourtant: prix Nobel, professeurs d’économie, experts…! Malgré cela l’efficacité n’est pas au rendez-vous : des avis partagés, aucune vision globale sauf fragmenter et faire des économies de gestion ; les mesures appliquées sont ponctuelles : allongement de la durée de cotisation pour la retraite, baisse des charges pour les entreprises, non remplacement des fonctionnaires, baisse du remboursement des médicaments,…, j’en passe et des plus importantes!

Il y a par contre une nécessité incontournable : il faut croître !

Déjà obèses et hypertendus, car gros mangeurs, nous subissons périodiquement des attaques cardiaques. Les médecins insistent : « il faut manger vite et le plus possible, tout de suite, c’est le seul moyen de vous en sortir » ! C’est délirant !

L’étude de la nature et de son économie, au cours de l’histoire, est passée du domaine descriptif aux domaines fonctionnel et relationnel.

Dans cette dernière étape, on s’est aperçu que l’être vivant : animal, végétal, champignon, bactéries, virus, n’était jamais seul, qu’il dépendait des autres et avait une histoire.

Ce fut une véritable révolution culturelle.

« Exister, c’est être relié : relations à Soi, aux autres (la Communauté), au monde (la Nature) et à l’absolu (le Divin). » dit Marc Halevy.

« Alors que, comme pour la variole, un seul agent pathogène provoquait une seule maladie, il faut aujourd’hui sortir de cette logique causale simple et voir les choses autrement » Remy Slama, épidémiologiste de la reproduction à l’Inserm.

Il existe une quantité immense de déterminants à l’origine des maladies : biologiques, chimiques, physiques, sociaux, comportementaux… Ils se combinent les uns avec les autres. En outre, leurs effets peuvent s’ajouter, être différés dans le temps, au point de s’exprimer parfois sur les générations suivantes !

Les réponses thérapeutiques font appel à la pluridisciplinarité: spécialistes des sciences de l’environnement, des sciences humaines et sociales, de la toxicologie, des sciences fondamentales, de l’épidémiologie….

« Il faut prendre en considération le patient dans toutes ses dimensions » Karine Clément cardiologue.

Par exemple, des publications récentes montrent que la flore intestinale: « représente 100 milliards de bactéries. Ses 3 millions de gènes interagissent avec notre propre génome » Karine Clément. L’alimentation, les agents toxiques, les médicaments, la pollution atmosphérique, les infections, la sédentarité ou le stress, … modifient la santé et le psychisme.

L’analogie avec l’économie culturelle est frappante ; elle est malade aussi et les économistes n’ont pas pris en considération le patient dans toutes ses dimensions, ils n’ont pas pris en compte tous les déterminants !

Si, comme Descartes, on découpe le système pour le démonter, on coupe du même coup les interactions et, donc, on tue la complexité qui fait valeur : prétendre étudier un animal en «reconstituant» son milieu de vie en laboratoire, couper en deux une forêt par une route, sur le forum, D.Sango évoquait la SNCF, le millefeuille administratif, pensons à Alstom, à L’Europe que certains veulent faire éclater….)

Une science s’est investie dans la compréhension des relations entre les déterminants vivants et non vivants : c’est l’écologie. Elle en a déduit que l’ensemble de l’univers et de notre planète, avec son vivant, était formé par l’emboîtement (poupées gigognes) hiérarchisé de systèmes complexes, en étroite dépendance les uns avec les autres, régulant trois flux : Energie, Matière, Information, dans le temps et l’espace, suivant l’évolution de l’environnement.

Il importe de bien faire la différence entre compliqué et complexe :

Compliqué naît de l’assemblage mécanique d’éléments externes, c’est uniquement quantitatif : beaucoup d’éléments, beaucoup de paramètres, beaucoup de règles, beaucoup d’opérations, etc …Quand tout s’enchaîne linéairement la certitude est au bout !

La complexité naît de l’émergence organique de processus internes. L’enchainement est en réseau avec rétroactions, la résultante est incertaine.

Pour Descartes tout était « compliqué ».

Un Airbus est compliqué; une forêt, un homme, le climat, l’économie, l’Europe…sont complexes.

La complexité mesure la capacité d’un système à devenir plus que la somme de ses parties. Elle s’appuie sur la quantité, l’intensité et la fréquence des interactions entre les constituants. La complexité, et non le compliqué, engendre des propriétés émergentes, c’est-à-dire des propriétés qui surgissent du fait de ces interactions entre les constituants sans appartenir en propre à aucun d’eux. 1+1 fait toujours plus que 2 : H2 et O = eau !

Un être vivant est plus que la somme de ses cellules, une forêt plus que l’ensemble des arbres, une pensée intelligente plus que la somme de ses neurones. L’Europe pourrait-être plus que la somme de ses états !

Une entreprise est plus que la somme des composantes humaines et financières.

Avec la globalisation, la mondialisation et «l’internetisation» le nombre des acteurs : hommes, entreprises, marchés, échanges, a considérablement augmenté. La quantité, l’intensité, la fréquence des interactions entre ces acteurs a cru exponentiellement, sans régulation, le tout largement amplifié par le jeu malsain des médias, d’où le déséquilibre systémique. C’est l’explication profonde des turbulences d’aujourd’hui mises en exergue par les résultats alarmants des dernières élections. Nos « sciences économiques», analytiques et mécanistes, sont incapables d’anticiper ces immenses convulsions systémiques actuelles. Elles demandent à leur environnement humain de «se réformer» sans imaginer que c’est à elles de le faire !

« Une entreprise est un système ouvert, en prise permanente avec son milieu…. le milieu économique global connaît une transformation profonde… une bifurcation systémique, semblable à la métamorphose d’une chenille en papillon….nous vivons le passage d’une logique économique (industrialisation, financiarisation, standardisation) à une tout autre logique économique (qualité, durabilité, créativité). » Marc Halévy, «Un univers complexe. L’autre regard sur le monde ».

La réussite financière d’une entreprise n’est pas pas seulement liée à la baisse quantitative des charges, des employés et de leur salaire, au management « expéditif » agressif, mais à la qualité des produits, à la compétence des collaborateurs, la qualité des rapports humains, horizontalement et verticalement: confiance, respect, sécurité, bien-être du personnel apportent l’essentiel : l’envie d’aller travailler, de collaborer, de se perfectionner et de créer, valeurs non chiffrables retrouvées pourtant dans les bilans !

Concrètement, chaque entreprise doit apprendre à élever son niveau de complexité afin de se mettre au diapason de la réalité systémique du monde réel.

Une lueur d’espoir :

L’ESSEC a lancé la  » chaire Edgar Morin de la complexité  » le 11 mars 2014, au grand amphithéâtre du campus de Cergy.

« Lors de cette leçon inaugurale il nous introduira à la compréhension et la maîtrise des enjeux de la notion de complexité et de son utilité pour aborder les réalités du monde contemporain. »

– par Georges Vallet

crédit photos:studyramagrandesecoles.com

Pour le pape François, les voies de l’Economie seraient impénétrables!

gvIl y a une quinzaine de jours paraissait dans la presse (La Tribune), sous leur nom, la réponse de deux professeurs de l’Essec, école de commerce dépendant de l’Institut Catholique de Paris, à l’exhortation apostolique « Evangelii Gaudium » publiée par le pape François, le 26 novembre 2013. Ce dernier remettait en cause, dans le chapitre 2 surtout, les croyants de la croissance économique :

La main invisible du marché ne serait pas celle de Dieu.

Ces deux économistes, non suivis, il faut le dire, par le directeur de l’école soucieux de respecter la liberté académique, dénonçaient la vision économique du pape François:

«La compréhension du pape de la crise financière de 2008 prête à sourire».

Le Dieu des catholiques serait-il faillible?

D’après les quelques extraits significatifs publiés, les paroles du pape sont particulièrement fortes:

«Aujourd’hui, nous devons dire non à une économie de l’exclusion et de la disparité sociale, car une telle économie tue.»

«Il n’est pas possible que quand une personne âgée réduite à vivre dans la rue meurt de froid, ce ne soit pas une nouvelle, tandis que la baisse de deux points en bourse en soit une!»

«Aujourd’hui, tout entre dans le jeu de la compétitivité et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible.»

«On considère l’être humain en lui-même comme un bien de consommation, qu’on peut utiliser et ensuite jeter.»

«Nous avons mis en route, et même promu, la culture du “déchet”…….Les exclus ne sont pas des «exploités», mais des déchets, des «restes».

Pour les deux professeurs de l’Essec:

«Ce fonctionnement de l’économie libérale échappe complètement au Pape….. la magie du système libéral est qu’il profite à tous sans avoir besoin de la bonne volonté des puissants. C’est un système qui est vertueux par lui-même et ne nécessite pas que ses membres aient la vertu du partage».

Magie! Une main invisible, qui assure l’autorégulation des marchés, forcément surhumaine, forcément divine, est de retour!

Un chercheur français, Jean-Pierre Dupuy a même suggéré que l’économe est «une théologie qui s’ignore.»

Pas de doute, ils ont trouvé une justification du libéralisme dans la Bible!

Ces propos sont l’émanation des économistes américains et de leur chef de file Milton Friedman; ils ont élevé l’argent, sous le pseudonyme de «marché», au rang d’une autorité suprême et consciente capable d’agir et de réagir de lui-même, de prendre les décisions adéquates, pour le bien de tous.

C’est une immanence tournant à la transcendance.

Pour Jean-Claude Carrière dans «L’Argent, sa vie, sa mort», on assiste à «la naissance d’une idole, affublée de toutes les prérogatives des idoles d’autrefois, ambitieuse, grignotant petit à petit les territoires avoisinants, se déclarant un jour souveraine, bienfaisante, impeccable…».

Mais l’actualité montre que le dieu des économistes est aussi faillible!

Le polythéisme n’est donc pas mort et la compétitivité transcendantale est à l’ordre du jour.

Que le fonctionnement pseudo scientifique de l’économie libérale échappe au pape, peut-être (ce n’est pas un économiste, heureusement!), mais ses propos montrent qu’il a la parfaite maîtrise de ses résultats et qu’il les condamne.

Avec un sens stupéfiant de l’anticipation, Michel Foucault avait dévoilé le véritable projet de ce courant de pensée: «officiellement, le néolibéralisme prétend «libérer» les individus et leur permettre d’agir à leur guise; en réalité, il s’agit d’imposer une façon de vivre entièrement guidée par l’intérêt et le calcul économique…»

Laréussite de cette politique se mesure au nombre de zéros des profits.

En tant que représentant de la religion catholique, même si on n’est pas prêt à le suivre dans tous les domaines, on ne peut que comprendre le pape de vouloir l’épanouissement individuel, social, intellectuel de l’Homme, bien avant sa réussite financière.

Il est vrai que, globalement, le nombre d’humains vivant sous le seuil de pauvreté, dans le monde, a régressé ces dernières décennies, mais il ne pouvait pas en être autrement avec les progrès de la connaissance et de la technologie, résultats n’ayant aucun rapport avec le néolibéralisme mais avec la dynamique de la recherche scientifique qui anime instinctivement l’espèce humaine.

Sans la main invisible d’Adam Smith, depuis le paléolithique, la condition humaine a évolué. Par contre, ce qui est lié au néolibéralisme, c’est le déséquilibre de plus en plus important dans la distribution des richesses produites, si bien qu’un très petit nombre d’individus accaparent une grande partie de la richesse mondiale alors qu’une autre partie, bien plus grande, vit sous le seuil de pauvreté. Avec les progrès technologiques réalisés grâce à la science, l’augmentation fabuleuse des rendements agricoles et autres, l’indécente inégalité de la répartition est flagrante.

La croissance qui résulte de l’économie de marché ne permet donc pas une meilleure inclusion sociale mais au contraire une détestable exclusion.

J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur la notion de tiers exclu et inclus; nous y sommes à nouveau confrontés. Chacun des deux protagonistes, dans sa bulle, est enfermé dans un dogme. Le monde dans lequel il vit est un monde fermé dans ses principes et ses objectifs.

Tout tiers est exclu.

On pourrait rétorquer aux professeurs de l’Essec que:

«La compréhension des professeurs de l’ESSEC de la crise sociale prête à sourire».

En réalité, le monde des humains est un monde ouvert, non figé, où tout est en relation avec tout et interagit, où tout est inclus dans tout, où chacun dépend de tous. Ce n’est donc pas un monde dogmatique mais pragmatique car il doit s’adapter en permanence aux vicissitudes d’un environnement imprévisible. C’est une troisième voie qui fonctionne depuis des milliards d’années, non pas par la multiplication gratuite des pains et par la charité, non pas par la transcendance d’un être-argent qui nous veut du bien, (l’argent n’a pas sa place dans l’évolution de l’espèce!) mais grâce à une économie-outil au service de la durabilité de l’écosystème.

«L’argent doit servir et non pas gouverner !» chapitre 2, n°58

Il y a donc une solution pragmatique héraclitéenne qui consiste à transformer ces oppositions en complémentarité, ce tiers inclus associant la dynamique humaniste de l’un à la nécessaire économie-outil apportée par l’autre.

Rappelons les propos de Pascal:

«La source de toutes les hérésies est de ne pas concevoir l’accord de deux vérités opposées»

– par Georges Vallet

crédit photos: noorinfo.com