À contre courant de l’obsédant matraquage ambiant, j’ai décidé d’aller cultiver mon jardin. Cette période printanière douce et ensoleillée peuple ce bout de jardin abandonné à la nature, de violettes, primevères, pulmonaires et autres renoncules et consoudes en bouton. Des insectes de passage, attirés par la forme, la couleur, l’odeur se nourrissent du nectar, transportent le pollen accrocheur et permettent la continuation de la vie.
«Chaque pomme est une fleur qui a connu l’amour» dit le poète(F.Leclerc).
Les fleurs sauvages échangent avec leur environnement.
C’était, jadis, vers 1970, ce que je rencontrais, en abondance, en me rendant et en circulant près de la maison familiale, à proximité de «la Mecque de la Course Landaise». Depuis, bien des bois ont disparu, les lieux humides, les haies, les jachères «florissantes» aussi ; la surface des champs est recouverte jusqu’au bord extrême par un maïs uniforme, claustrophobe, une terre nue, lessivée, l’hiver, avec les restes des pieds de Datura très toxiques, de plus en plus fréquents depuis quelques années, parfois des étendues jaunes monospécifiques de renoncules ; plus de cresson dans les fossés près de la maison, quelques graminées et angéliques résistantes aux herbicides, quelques restes, par-ci par-là, de la flore sauvage d’origine, des invasives ; un miracle de retrouver l’hoplia bleue ou les longicornes sur ces fleurs !
La campagne béarno-chalossaise a vendu son âme au diable !
La richesse des échanges, donc le langage de la nature s’appauvrit ; l’essence et les sens de la symphonie dite «pastorale»sont un lointain souvenir.
Croissance, compétitivité, dette, consommation, impôts, cumuls, affaires….Telles sont, entre autres, nos préoccupations majeures. Cela fournit du grain à moudre aux médias, permet de s’écharper sur les forums…mais surtout détourne l’attention des événements essentiels. Pendant ce temps, comme disait J.Chirac à Johannesburg :
«Notre maison brûle et nous regardons ailleurs.»
La terre de nos ancêtres a eu une longue histoire mouvementée ; son évolution a subi de nombreuses bifurcations, créations et sélections ont permis l’essor et le maintien d’un grand nombre d’espèces dont la nôtre.
Parmi ces bifurcations, il en est une, dont le sort est incertain ; elle remonte au secondaire, il y a environ 200 millions d’années, celle qui a fait apparaître les plantes à fleurs ; ces dernières se sont fortement diversifiées par la suite, au tertiaire : dicotylédones d’abord, puis, plus tard, les monocotylédones à fleurs plus discrètes chez les graminées. Nous avons pu, avec d’autres espèces, nous maintenir sur terre grâce à elles ; elles apportaient les bases de notre alimentation nécessairement variée : fleurs, fruits, feuilles, graines, tiges, racines, que nous consommons directement, et indirectement, par la viande des animaux herbivores; une coévolution donc.
On peut vivre, difficilement peut-être, avec nos élus, une dette importante, les contraintes économiques et budgétaires, des bouchons en ville, des crottes sur les trottoirs……………….mais pas sans plantes à fleurs !!
Or, les «besoins»(!) de notre économie sont en train de les mettre en péril !
«La FAO estime que 75% des variétés végétales qui composaient notre alimentation au tout début du XXème siècle sont perdues.»
On peut y ajouter les plantes à fleurs des jachères, terrains vagues, bords des routes, fossés, haies, cultures…qui assuraient la vie des pollinisateurs de cultures proches.
Bien des plantes à fleurs vivaces n’ont pu se diversifier et s’étendre que grâce à deux associations à bénéfice réciproque (symbiose), qui s’appauvrissent aussi :
– l’une avec les champignons (les mycorhizes).
– l’autre avec les animaux, insectes surtout.
La première a permis leur nutrition minérale, la seconde, leur reproduction.
De plus, les plantes à fleurs ne peuvent pas vivre sans substances minérales, recyclées par des microorganismes infiniment diversifiés, or, on constate, avec la chimie, qu’ils disparaissent.
Mettre en avant la véritable urgence, c’est vraiment trop demander à la plupart des candidats à la présidentielle (et à leurs électeurs) !
Parmi les 6 chantiers prioritaires dévoilés par E.Macron aux lecteurs de Sud Ouest, il n’y en a aucun qui porte sur le souci de retrouver une biodiversité !
«L’homme est l’espèce la plus insensée, il vénère un Dieu invisible et massacre une Nature visible ! Sans savoir que cette Nature qu’il massacre est ce Dieu invisible qu’il vénère.» Hubert Reeves.
Que l’on soit libéral, socialiste, social-démocrate, social-libéral, communiste….ou, comme maintenant, tout à la fois, on n’a qu’un but, l’efficacité immédiate et le mépris du futur ; le «durable» est un trompe-couillon, la politique de l’autruche !
Deux priorités liées aux problèmes socio-économiques, sont à mettre en avant :
– Reconsidérer totalement le fond et la forme de l’agriculture productiviste.
– Prendre conscience et agir contre les causes de la disparition progressive des angiospermes ou plantes à fleurs donc des pollinisateurs.
Envisageons le problème de l’agriculture. Beaucoup de données sont issues d’un livre remarquable de Stephano Paludosi, directeur du laboratoire Biodiversity à Rome, au service de l’ONU pour la FAO (à lire après les élections !)
«A la recherche des plantes oubliées»Calmann-Lévy 2013.
La «révolution verte», au lendemain de la seconde guerre mondiale, était une réponse à une explosion démographique dans le monde. Les premiers travaux concernèrent le développement de variétés à haut rendement: blé, maïs… Il n’était pas encore question de modifications génétiques, les OGM ne virent le jour qu’en 80, mais seulement de croisements (hybrid vigor) de variétés traditionnelles sélectionnées.
Il fallait alors investir dans de nouvelles infrastructures d’irrigation, l’achat de gros matériels, d’engrais industriels et de nouvelles semences.
Les résultats furent au rendez-vous, entre 1975 et 1990 la production de céréales doubla dans le monde ; malheureusement, le coût n’a pas pu être supporté par un grand nombre de paysans ; les variétés hybrides ont envahi champs, auges et assiettes ; il en est de même pour les légumes. Développés par et pour l’industrie de la semence, l’agriculteur est obligé de racheter chaque année sa semence car les hybrides F1 ne forment qu’une seule génération homogène exploitable. Résultat : l’exode rural a grossi les bidonvilles et amplifié le chômage. En France et en Béarn, état jadis indépendant, le nombre des petits et moyens agriculteurs a chuté spectaculairement, les entreprises agroalimentaires ont fait l’inverse.
Cette révolution agricole mérite-t-elle d’être encore conservée voire accélérée ?
Les variétés à haut rendement sont non seulement très gourmandes en eau et engrais chimiques mais aussi plus sensibles aux prédateurs, aux maladies cryptogamiques (au vent aussi : verse) : il fallait donc développer et répandre des insecticides et des désherbants très onéreux pour limiter la prolifération des espèces compagnes concurrentes. Pour optimiser la production il faut qu’une seule variété soit cultivée, sur de grandes surfaces, les pieds bien alignés, même hauteur, les récoltes calibrées. Dans beaucoup de pays, original n’est-il pas, le monde paysan doit vivre toute l’année, pour cela, il doit prévoir des cultures échelonnées d’où une diversité dans les espèces, l’espace et le temps. Par exemple, en Afrique, la révolution verte s’est focalisée sur les cultures d’exportation : café, cacao, arachide, coton… et a complètement délaissé les cultures vivrières. Les techniciens, les monopoles, perdus dans leurs statistiques, avaient pensé à tout (??)… sauf, par exemple, à assurer la pitance de millions d’Africains !
La faim dans le monde demeure le problème majeur et la révolution industrielle semble, plus que jamais, non pas en mesure de l’enrayer mais de l’augmenter.
Pire encore, en éliminant les espèces ou variétés jugées moins performantes pour l’époque, on a entraîné une catastrophe écologique : l’érosion de la biodiversité.
«Il existe des milliers d’espèces cultivables et comestibles sur terre dont seulement….150 sont commercialisées. L’alimentation mondiale est désormais basée sur 30 cultures qui satisfont 90% de nos besoins en calories! A eux seuls, le riz, le blé et le maïs couvrent 60% de nos besoins ! En Europe, au cours du XXème siècle, l’agriculture intensive a fait perdre 95% des variétés originelles de choux, 91% de celles de maïs, 94% de celles de petits pois, 81% de celles de tomates….» Idem pour les autres cultures : maraîchères, arbres fruitiers…
«Tous les deux ans une variété traditionnelle de fruit ou de légume disparaît.»
C’est une épée de Damoclès ; nous sommes à la merci de maladies et de parasites susceptibles de ravager des monocultures fragilisées par la sélection.
«Un panel génétique très réduit revient, comme à la roulette, à miser toutes les économies et la nourriture sur un même numéro. Si le numéro sort, on est riche, sinon, on perd tout» (grippe aviaire!!).
Le mildiou, en raison de l’humidité du climat en Europe vers 1840, fit s’effondrer la production de pomme de terre. Les morts, suite aux famines, se comptèrent par dizaine de milliers : 10000 en France, 40000 dans les Flandres, 50000 en Prusse. En Irlande, la totale dépendance à la pomme de terre se transforma en tragédie. La grande famine, jusqu’en 1848, causa entre 1 million et 1 million 5 morts et poussa 1 million d’Irlandais à émigrer. (comparaison avec l’actualité non exclue !)
Si la révolution verte, en son temps, a sauvé des vies humaines, il convient maintenant d’en corriger les dérives. Avec les dérèglements climatiques cette industrie est à l’origine des famines dans le monde ; elle n’est plus au service de la faim alimentaire mais de la faim insatiable en énergie et argent ! Objectifs à fixer :
– Recentrer l’agriculture sur sa vraie finalité : une alimentation saine et goûteuse.
– Accepter une baisse des rendements par le partage des récoltes avec d’autres «consommateurs» dont nous avons autant besoin par ailleurs.
– Retrouver les patrimoines génétiques variés à partir des conservatoires botaniques et favoriser la culture des «plantes oubliées» adaptées aux différentes régions et climats, à culture moins coûteuse ; des initiatives locales existent déjà.
– Diminuer les variétés «stars» dévoreuses d’eau, d’engrais et d’argent.
– Redonner de l’importance au fumier animal paillé et à une structure agricole diversifiée, polyvalente, créatrice d’emplois.
– Retrouver la rotation des cultures, l’assolement, pour lutter contre l’appauvrissement des sols.
– Reconsidérer l’urbanisation, l’importance des haies, des fossés, des bords de routes, des espaces boisés, des jachères…
– Compenser, dans nos pays, la baisse de productivité par l’adaptation de notre alimentation trop abondante à notre physiologie et non aux besoins de l’économie.
Heureusement, parmi les anciens et beaucoup de nouveaux paysans, ce dialogue avec le terroir se rétablit, mais pas chez la plupart des candidats qui sollicitent nos suffrages.
Georges Vallet
crédits photos: babelio.com