Discuter d’un projet de loi, surtout lorsqu’il n’est pas bien connu et susceptible de recevoir des modifications importantes n’est pas chose aisée.
Si vous en doutez, regardez les mesures envisagées pour calmer le conflit entre chauffeurs de taxis, de VTC et de LOTI. Le 15 janvier dernier, le Conseil constitutionnel a pris position après une saisine du Conseil d’État sur une question prioritaire de constitutionnalité estimant qu’un chauffeur de taxi peut exercer en parallèle une activité VTC. Vous ne vous sentez guère concerné et vous trouvez la question trop complexe ? En revanche, la loi travail concerne un grand nombre de citoyens. Mais ils ne sont pas plus armés juridiquement sur cette question que sur l’autre et il faut bien qu’ils écoutent ceux qui semblent plus compétents pour l’analyser.
A lire le communiqué des unions départementales de la CGT, FO et FSU des Pyrénées atlantiques il y a de quoi blêmir devant ce qui paraît être un retour cent ans en arrière. Un peu comme ces images glaçantes de corps efflanqués parvenues de villages encerclés de Syrie qui ne peuvent qu’évoquer la Shoah. Voici ce communiqué :
L’inventaire non exhaustif est terrifiant :
· Une entreprise peut, par accord, baisser les salaires et modifier le temps de travail.
· En cas de refus de modification du contrat de travail, conséquence de tels accords, les salariés seront licenciés pour motif personnel, sans possibilité d’en contester la cause réelle.
· Élargissement des motifs de licenciement économiques : une baisse de commandes sur plusieurs trimestres devient suffisante.
· Un accord ou une mesure dégradant les droits des salarié-e-s, peuvent être imposés par référendum
contre l’avis des syndicats représentant 70% des salariés. Quand la représentation des salariés est
affaiblie ou détournée, c’est au seul bénéfice du
patronat et du capital.
· Pour neutraliser le déclenchement des heures supplémentaires le temps de travail pourrait être calculé sur 3 ans.
· Par simple accord on peut passer de 10h à 12h de travail maximum par jour.
· Le temps de repos minimum va descendre sous les 11 heures.
· Les indemnités prud’homales sont plafonnées à un maximum de 15 mois de salaires pour licenciement illicite. Les juges n’auront plus la possibilité d’apprécier la réalité du préjudice subi.
· Le temps de travail des apprentis augmentera passant de 8h à 10h par jour et de 35 à 40h par semaine.
· Les temps d’astreinte peuvent être décomptés des temps de repos.
· Un accord d’entreprise peut prévoir que les heures supplémentaires soient 5 fois moins majorées, c’est la fin programmée des 35h.
A cette lecture on peut se demander comment peuvent se sentir les membres de la commission Badinter qui ont tracé les grandes lignes d’une réforme du droit du travail.
En sens opposé à l’analyse précédente, un collectif de plus de trente professeurs d’économie, dont le prix Nobel Jean Tirole, estime dans une tribune du journal « Le Monde » que la réforme envisagée est une avancée pour les plus fragiles. Leur argument est fondé sur une observation de l’exemple espagnol qui a connu en 2013, 300.000 embauches supplémentaires en CDI après la promulgation d’une loi similaire en 2012. Selon eux, la loi El Khomri pourrait bénéficier aux jeunes, aux personnes peu qualifiées et aux chômeurs en fluidifiant le marché du travail. Elle pourrait aussi bénéficier à celles et ceux qui se sentent mal dans leur emploi mais ne veulent pas le quitter, de crainte de ne pas en retrouver un autre.
Concilier ces deux points de vue ne sera pas chose aisée et deux semaines pourraient ne pas suffire. Une méthode pourrait consister à sortir de la loi les dispositions les plus controversées, comme les plafonds des indemnités prud’homales. Une concertation entre les instances prud’homales (qui émettent souvent des avis divergents) pourrait amener à des grilles de référence selon les différentes situations qui donneraient plus de visibilité et d’homogénéité. Ce qui allégerait le travail de ces instances et raccourcirait le temps de traitement des dossiers, souvent insupportables pour les deux parties.
Il serait souhaitable que des propositions concrètes sur tous les points du projet de loi soient faites et débattues. Notre site peut s’ouvrir sur des témoignages. AP a déjà publié un article par un observateur averti (La réforme du code du travail : un danger pour l’emploi ?, AP du 29 février) sur un point crucial du texte : l’éventualité d’un maquillage de la situation financière d’une entreprise afin d’entrer dans les critères définissant les limites du licenciement économique. Cette éventualité n’est pas à écarter ; mais le danger serait-il moins grand s’il n’y avait pas de critères et de règles ? Par ailleurs toutes les entreprises n’ont pas la capacité de jouer sur des filiales à l’étranger pour fausser leurs comptes. Bien des chefs d’entreprise ne font pas des licenciements de gaieté de cœur. Et s’il est évidemment antinomique qu’une entreprise qui licencie se mette à embaucher, il n’est pas exclu qu’elle le fasse pour des recrutements d’un autre type ou ultérieurs. Toute la question est de savoir si globalement il y aura plus d’embauches parce que le droit du travail est plus « flexible ».
Il n’est pas douteux que chefs d’entreprise et actionnaires sont extrêmement sensibles au manque de souplesse de la situation de l’emploi en France. On peut les créditer de sincérité dans leur réticence à embaucher. Mais la promesse non tenue de créer 1.000.000 d’emplois avec les pactes de compétitivité et de responsabilité jette une ombre. C’est cette ombre qu’il faut dissiper.
On ne peut plus dire « Pour l’emploi, on a tout essayé ». Il faut sortir du marasme. Mais pas les yeux fermés. Des garanties doivent être apportées afin que les efforts consentis par la nation ( pas seulement les 30 milliards des pactes avec le patronat) soient fructueux. Les comptes publics et les exclus du système méritent de l’attention et ces derniers doivent être entendus.
Paul Itaulog