Le projet géothermique de Lons peut-il faire avancer la géothermie haute énergie en France? C’est bien à cette question que doivent répondre les experts qui attribuent les fonds pour les Investissements d’Avenir. C’est un projet techniquement et économiquement extrêmement difficile ( voir : Un projet de recherche de fond (1)). Les professionnels ne croient pas à un succès économique et émettent même des doutes quant à sa faisabilité technique (voir : Un projet de recherche de fonds (2))
Ce projet traite de la géothermie haute énergie, totalement différente de celle qui est déjà très développée chez les particuliers (pompes à chaleur) où de la moyenne température, utilisée pour chauffer les grands ensembles urbains (bien développée en région parisienne). Ici on vise principalement la production électrique (il faut des utilisateurs, industriels et particuliers, très nombreux et très concentrés pour envisager l’utilisation de la chaleur résiduelle, le réseau de transport étant un problème technico-économique important)
En géothermie haute température il existe bien sûr des lieux extrêmement privilégiés, là où l’activité volcanique est présente. L’Islande est un exemple d’un pays qui a su profiter de cet atout. En Guadeloupe, à Bouillante, on a aussi développé ce mode de génération électrique. On dispose d’eau chaude à 200°C a partir de puits à seulement 1000 m de profondeur. On voit l’immense différence avec le projet de Lons, les coûts et les problèmes augmentant exponentiellement avec la profondeur.
Et Bouillante n’atteint pas la rentabilité…
A Soultz-sous-Forêts en Alsace, depuis de nombreuses années (1987) on expérimente cette géothermie. C’est un projet très important qui associe la France et l’Allemagne dans le cadre européen. Plus de 80 millions d’euros y ont déjà été dépensé depuis près de 20 ans, et des résultats concrets ont été obtenus. Il s’agit d’un niveau granitique fissuré dans lequel on fait circuler de l’eau. Il se situe à 5000m de profondeur et la température y est de 200°C. Plusieurs essais successifs y ont été faits avec des puits de plus en plus profonds. Deux puits producteurs ont été forés de part et d’autre d’un puits injecteur. L’eau injectée se déplace au travers des fissures vers les puits producteurs tout en se réchauffant. La centrale électrique de 1,5 MWe a été mise en service en juin 2008, permettant de confirmer la faisabilité de ce type de production électrique. Evidement, on est loin, très loin, d’une rentabilité économique. Ce sont bien sûr les investissements et les coûts d’exploitation liés à la sub-surface qui sont déterminants.
Que peut apporter un projet tel que Lons dans la mesure où la faisabilité est déjà prouvée à Soultz?
En terme d’efficacité de la récupération de chaleur, Lons est moins bien placé que Soultz puisque la température statique de fond y est plus de 20°C plus faible. D’autre part l’architecture d’un doublet de puits tel que décrit dans les articles précédents est un plus mauvais échangeur qu’un réservoir fissuré et des puits comme à Soultz (voir schéma). De plus, la réalisation des forages de Lons sera bien plus difficile, et donc bien plus coûteuse que les puits légèrement déviés de Soultz. Ce sera encore pire en terme de coûts de fonctionnement, car les équipements et le fonctionnement au fond seraient bien plus complexes. Et tout ceci sans parler des incertitudes majeures telles que l’impossibilité de connaître précisément la pression statique dans les réservoirs, qui pourrait être un facteur majeur empêchant tout simplement la réalisation des puits.
On voit donc que ce projet, est beaucoup plus difficile et risqué que le pilote de Soultz. De plus, il n’apportera pas d’enseignement significatif supplémentaire pour cette technologie.
Reste un point majeur qu’il faut aborder, c’est celui du développement industriel de cette technologie.
Si on en croit la plaquette publicitaire de Fonroche, le potentiel sur le bassin de Pau/Lacq serait de 10 centrales pour 50 MWe avec création de 250 emplois. Au niveau français la filière serait évaluée à 1 milliard d’euros de CA et 10 000 emplois directs. Fonroche Géothermie vise 100 MWe à l’horizon 2030. On peut noter l’incompatibilité de ces prévisions avec le projet de Lons, même si celui ci était un succès et tenait son planning (début production en 2019 avec une période d’observation de deux ans minimum). Mais au delà de cette remarque on voit mal comment de telles exploitations pourraient atteindre un équilibre économique, même avec les prix d’achat de l’électricité subventionnés.
Mais avant tout il restera toujours un handicap majeur au développement en France de cette production d’énergie renouvelable, c’est l’incertitude sur ce que l’on va trouver en terme de réservoir et ses caractéristiques. La géophysique, malgré tous ses progrès, a d’autant plus d’incertitude que la profondeur des cibles augmente et de toute façon ne pourra pas prévoir les caractéristiques physiques des réservoirs, en particulier leur perméabilité, facteur déterminant. On retrouve là une partie du risque que gèrent les compagnies pétrolières, mais leur modèle économique est totalement différent.
En ce qui concerne la géothermie pour production d’eau chaude, et pour pallier ce risque, il existe un fond national d’assurance qui permet de le limiter. Mais le risque financier entre un puits « sec » à 1000 ou 1500 m et un puits sec à 6000 m est sans commune mesure (Sur Lons on parle d’un coût de puits de 32 millions d’euros) Cette assurance s’appliquerait-elle à des projets comme Lons?
Pourtant, la géothermie reste une énergie de très grande qualité car elle n’a pas le handicap de l’intermittence comme la plupart des énergies renouvelables. Il paraît bien plus judicieux aujourd’hui, si on a trop d’argent, de développer un pilote industriel en Alsace où les conditions seront moins difficiles, et mieux connues, de manière à estimer avec plus de précision les coûts (mais est-ce suffisant comme enjeu?). Ou mieux encore d’en observer les développements aux Etats Unis qui dispose de sites favorables, où les coûts sont plus bas, et les sites déjà forés dans le cadre d’exploitation pétrolière ou gazière nombreux. C’est là qu’on verra se développer cette production d’énergie lorsqu’elle approchera de la rentabilité financière.
Pour ce qui concerne le projet de Lons, il serait assez étonnant que la recherche de fonds pour ce projet aboutisse.
Si c’était malgré tout le cas, la probabilité d’un succès du projet paraît infime.
– par Daniel Sango