Géothermie à Lons: Un projet de recherche de fonds (3)

Capture d’écran 2013-09-21 à 07.58.30Le projet géothermique de Lons peut-il faire avancer la géothermie haute énergie en France? C’est bien à cette question que doivent répondre les experts qui attribuent les fonds pour les Investissements d’Avenir. C’est un projet techniquement et économiquement extrêmement difficile ( voir : Un projet de recherche de fond (1)). Les professionnels ne croient pas à un succès économique et émettent même des doutes quant à sa faisabilité technique (voir : Un projet de recherche de fonds (2))  

Ce projet traite de la géothermie haute énergie, totalement différente de celle qui est déjà très développée chez les particuliers (pompes à chaleur) où de la moyenne température, utilisée pour chauffer les grands ensembles urbains (bien développée en région parisienne). Ici on vise principalement la production électrique (il faut des utilisateurs, industriels et particuliers, très nombreux et très concentrés pour envisager l’utilisation de la chaleur résiduelle, le réseau de transport étant un problème technico-économique important)

En géothermie haute température il existe bien sûr des lieux extrêmement privilégiés, là où l’activité volcanique est présente. L’Islande est un exemple d’un pays qui a su profiter de cet atout. En Guadeloupe, à Bouillante, on a aussi développé ce mode de génération électrique. On dispose d’eau chaude à 200°C a partir de puits à seulement 1000 m de profondeur. On voit l’immense différence avec le projet de Lons, les coûts et les problèmes augmentant exponentiellement avec la profondeur.

Et Bouillante n’atteint pas la rentabilité…

A Soultz-sous-Forêts en Alsace, depuis de nombreuses années (1987) on expérimente cette géothermie. C’est un projet très important qui associe la France et l’Allemagne dans le cadre européen. Plus de 80 millions d’euros y ont déjà été dépensé depuis près de 20 ans, et des résultats concrets ont été obtenus. Il s’agit d’un niveau granitique fissuré dans lequel on fait circuler de l’eau. Il se situe à 5000m de profondeur et la température y est de 200°C. Plusieurs essais successifs y ont été faits avec des puits de plus en plus profonds. Deux puits producteurs ont été forés de part et d’autre d’un puits injecteur. L’eau injectée se déplace au travers des fissures vers les puits producteurs tout en se réchauffant. La centrale électrique de 1,5 MWe a été mise en service en juin 2008, permettant de confirmer la faisabilité de ce type de production électrique. Evidement, on est loin, très loin, d’une rentabilité économique. Ce sont bien sûr les investissements et les coûts d’exploitation liés à la sub-surface qui sont déterminants.

Que peut apporter un projet tel que Lons dans la mesure où la faisabilité est déjà prouvée à Soultz?

En terme d’efficacité de la récupération de chaleur, Lons est moins bien placé que Soultz puisque la température statique de fond y est plus de 20°C plus faible. D’autre part l’architecture d’un doublet de puits tel que décrit dans les articles précédents est un plus mauvais échangeur qu’un réservoir fissuré et des puits comme à Soultz (voir schéma). De plus, la réalisation des forages de Lons sera bien plus difficile, et donc bien plus coûteuse que les puits légèrement déviés de Soultz. Ce sera encore pire en terme de coûts de fonctionnement, car les équipements et le fonctionnement au fond seraient bien plus complexes. Et tout ceci sans parler des incertitudes majeures telles que l’impossibilité de connaître précisément la pression statique dans les réservoirs, qui pourrait être un facteur majeur empêchant tout simplement la réalisation des puits.

On voit donc que ce projet, est beaucoup plus difficile et risqué que le pilote de Soultz. De plus, il n’apportera pas d’enseignement significatif supplémentaire pour cette technologie.

Reste un point majeur qu’il faut aborder, c’est celui du développement industriel de cette technologie.

Si on en croit la plaquette publicitaire de Fonroche, le potentiel sur le bassin de Pau/Lacq serait de 10 centrales pour 50 MWe avec création de 250 emplois. Au niveau français la filière serait évaluée à 1 milliard d’euros de CA et 10 000 emplois directs. Fonroche Géothermie vise 100 MWe à l’horizon 2030. On peut noter l’incompatibilité de ces prévisions avec le projet de Lons, même si celui ci était un succès et tenait son planning (début production en 2019 avec une période d’observation de deux ans minimum). Mais au delà de cette remarque on voit mal comment de telles exploitations pourraient atteindre un équilibre économique, même avec les prix d’achat de l’électricité subventionnés.

Mais avant tout il restera toujours un handicap majeur au développement en France de cette production d’énergie renouvelable, c’est l’incertitude sur ce que l’on va trouver en terme de réservoir et ses caractéristiques. La géophysique, malgré tous ses progrès, a d’autant plus d’incertitude que la profondeur des cibles augmente et de toute façon ne pourra pas prévoir les caractéristiques physiques des réservoirs, en particulier leur perméabilité, facteur déterminant. On retrouve là une partie du risque que gèrent les compagnies pétrolières, mais leur modèle économique est totalement différent.

En ce qui concerne la géothermie pour production d’eau chaude, et pour pallier ce risque, il existe un fond national d’assurance qui permet de le limiter. Mais le risque financier entre un puits « sec » à 1000 ou 1500 m et un puits sec à 6000 m  est sans commune mesure (Sur Lons on parle d’un coût de puits de 32 millions d’euros) Cette assurance s’appliquerait-elle à des projets comme Lons?

Pourtant, la géothermie reste une énergie de très grande qualité car elle n’a pas le handicap de l’intermittence comme la plupart des énergies renouvelables. Il paraît bien plus judicieux aujourd’hui, si on a trop d’argent, de développer un pilote industriel en Alsace où les conditions seront moins difficiles, et mieux connues, de manière à estimer avec plus de précision les coûts (mais est-ce suffisant comme enjeu?). Ou mieux encore d’en observer les développements aux Etats Unis qui dispose de sites favorables, où les coûts sont plus bas, et les sites déjà forés dans le cadre d’exploitation pétrolière ou gazière nombreux. C’est là qu’on verra se développer cette production d’énergie lorsqu’elle approchera de la rentabilité financière.

Pour ce qui concerne le projet de Lons, il serait assez étonnant que la recherche de fonds pour ce projet aboutisse.

Si c’était malgré tout le cas, la probabilité d’un succès du projet paraît infime.

–  par Daniel Sango

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     

Géothermie à Lons : Un projet de recherche de fonds (1)

puits      

La Société Fonroche a le projet de réaliser un puits géothermique à Lons. Le fluide à haute température, générerait de l’électricité, et l’eau chaude résiduelle pourrait être utilisée pour le chauffage urbain. Mais ceci n’est qu’un projet. Le nombre de verrous techniques et économiques est tel que la probabilité d’aboutir paraît limitée.

De manière à obtenir l’information la plus exacte possible sur ce sujet très technique, je me suis entretenu avec M JP Soulé, Directeur de Fonroche Géothermie.

La France possède déjà divers équipements géothermiques en fonctionnement depuis de nombreuses années. Deux principaux types d’utilisation de la géothermie industrielle existent:

– La géothermie basse température qui consiste à faire circuler de l’eau entre deux puits et obtenir une eau chaude destinée au chauffage urbain.

– La géothermie haute température où une eau plus chaude est recherchée (160°C au moins) en vue de production électrique. Dans cette deuxième catégorie on trouve l’installation de Bouillante en Guadeloupe, où on récupère une eau à 200°C à environ 1000m de profondeur (proximité volcanique) et celle de Soultz en Alsace qui utilise une eau à 200°C circulée dans des roches fissurées situées à 5000m de profondeur environ.

En France métropolitaine, le gradient géothermique (évolution de la température en fonction de la profondeur) varie suivant les régions. Il est plus élevé en Alsace, dans le Massif Central, et en Aquitaine.

C’est une des raisons pour lesquelles Fonroche a choisi l’Aquitaine, et plus précisément la région paloise pour ce projet. La deuxième raison, d’une importance majeure, est qu’un nombre important de puits ont été forés dans la région, permettant d’avoir des connaissances sur la géologie et les réservoirs.

Le projet a pour objectif de produire 350 m3/h de fluide à 175°C, ce qui permettrait la génération de 5,5 MWe (On notera que dans la DUP, le projet parle d’une température limite inférieure de 150°C pour la génération électrique).

Les réservoirs de la dolomie de Mano et de Meillon ont été exploités pour produire du gaz dans la banlieue sud paloise pendant de nombreuses années. C’est dans ces réservoirs situés à plus de 5000m de profondeur que sera placé l’échangeur de fond qui permettra le réchauffage du fluide. La température statique attendue au niveau du réservoir est de 180°C.

Le principe consiste a faire circuler un fluide qui va se réchauffer au cours de sa descente et dans l’échangeur de fond. Celui-ci serait constitué par un drain horizontal de 2000 m environ entre 5 et 6000m de profondeur verticale, intercepté en son extrémité par une déviation du puits (voir schéma). Cependant, avec un tel circuit concentrique dans un puits il n’est pas possible d’obtenir la température souhaitée du fluide en sortie puits. En effet durant la remontée, le fluide chaud montant se refroidit au contact de l’annulaire froid où circule le fluide descendant (Il est surprenant que Fonroche ait présenté un projet avec circulation concentrique, et donc un seul puits, alors qu’il est assez évident que cette architecture ne peut convenir). Il paraît donc indispensable de forer deux puits, l’un pour la descente du fluide, l’autre pour la remontée. C’est l’orientation actuelle du projet.

Mais ceci ne suffit toujours pas pour obtenir une température suffisante. En effet si on circule à des débits aussi élevés (350m3/h)  l’eau refroidit les environs de l’échangeur de fond, il s’établit une température en circulation plus basse de plusieurs degrés, voire dizaine de degrés, que la température statique initiale (180°C) et donc une température de sortie trop faible.

Le projet envisage de « compléter » cette circulation par une injection de l’ordre de 100m3/h dans le réservoir Mano, associée à une production d’eau du réservoir Meillon du même ordre de grandeur (cette eau produite permettant de remonter la température du fluide en établissant des échanges par des « boucles convectives » à l’intérieur des réservoirs). L’idée serait que ce fluide injecté dans le réservoir supérieur « circulerait » dans chacun des réservoirs et aussi, peut-être, entre les réservoirs, du Mano vers le Meillon…

A ce point de l’exposé, les choses deviennent encore plus complexes…

Cela impliquerait, en phase d’exploitation, une forte surpression en face du réservoir Mano (pour injecter) et ensuite une dépression significative au niveau du Meillon pour produire, avec le complément d’un pompage dans le puits pour évacuer le fluide jusqu’à la surface.

Dans ce projet, la liste des verrous technologiques est longue.

Tout d’abord la faisabilité de l’ouvrage n’est absolument pas garantie. En effet, un facteur déterminant est la pression qui règne aujourd’hui au niveau des réservoirs. Il est fait l’hypothèse que malgré la déplétion liée à l’exploitation du gaz, la pression est remontée (ou ne s’est pas trop abaissée) pour être  hydrostatique (équilibrée par une colonne d’eau). Cela n’a rien de sûr, et ce n’est que lorsqu’on arrivera dans la couche que l’on saura. Si ce n’est pas le cas, la réalisation d’un drain sub-horizontal et du second drain serait extrêmement difficile pour ne pas dire impossible.

Et ne parlons pas de l’équipement du puits, des contraintes thermiques sur les tubages, tubings, et autres joints coulissants.

Le pompage dans un puits avec un fluide haute température corrosif n’est pas fiable, d’autant qu’on parle de débits élevés.

L’architecture de ces puits nécessite de gros diamètres pour permettre des circulations de débits de 8400 m/jour (tubage du drain horizontal 9 5/8 de pouces soit environ 25 cm). L’appareil de forage serait donc un appareil ultra lourd (750 Tonnes) que Fonroche envisage d’acheter car il y aurait un marché  pour cette activité, en commençant par un puits en Alsace.

La durée de réalisation de ce doublet de puits serait d’un an…minimum.

Il faut rajouter les problèmes d’exploitation, entre autres :  la corrosion liée à un fluide salé contenant H2S et CO2, la haute température et les problèmes de dépôts, la pompe centrifuge immergée, les mesures des débits de fond injectés, …etc.

Quant à la compatibilité des caractéristiques des réservoirs (localisations, hauteurs, perméabilités, fissuration naturelle, …etc. ) avec les objectifs du projet, c’est l’inconnu. Ce n’est que lorsque les réservoirs seront traversés que l’on saura.

Aujourd’hui, nous sommes encore très loin d’une réalisation, le projet n’est pas réellement lancé. Fonroche et ses partenaires (en particulier le BRGM ) font des études sur leurs fonds propres.

Le premier obstacle majeur sera celui de l’obtention d’une subvention de 40 Millions d’euro dans le cadre des Investissements d’avenir. Sans subvention, le projet s’arrêtera là.

Si la subvention était obtenue, suivront deux années d’étude (géologie, réservoirs, etc…) pour améliorer les connaissances des réservoirs et essayer de lever les nombreux verrous technologiques. (2014/2015)

Le forage prendrait ensuite une année (au moins !) 2016.

Suivrait une période d’essais pour confirmer ou infirmer les capacités du puits à produire les quantités d’eau chaude demandées à la température souhaitée.

Ce n’est qu’ensuite que seraient lancées études et construction des installations de surfaces nécessaires à la génération électrique.

La production électrique, pourrait débuter, au mieux, en 2019.

Le coût total du projet est estimé à 83 Millions d’euro.

Sa rentabilité doit être assurée uniquement par la production électrique.

L’utilisation d’eau chaude ne pourrait intervenir que bien après (clients, construction réseau de distribution, etc.)

Il faut noter que ce projet s’inscrit dans un développement plus vaste de ce type de géothermie que souhaite mener Fonroche en Aquitaine et en France. La société a d’ailleurs obtenu un permis de recherches et exploitation géothermique couvrant la région d’Oloron à Tarbes.

Après cet exposé sommaire de la situation du projet, il est nécessaire de s’interroger sur sa faisabilité de ce projet, et sur les chances de voir se développer cette géothermie particulière en Aquitaine.

Ce seront les thèmes de nos prochains articles.

– par Daniel Sango

On trouvera un dossier complet de ce projet sur le site de la Préfecture des Pyrénées Atlantiques dans la rubrique concernant les Enquêtes d’Utilité Publique.