Personne ne peut nier qu’au niveau: personnel, familial, travail, politique, commercial, financier, environnemental…, les conditions de vie se compliquent sur la forme et ne s’améliorent pas sur le fond : l’individualisme et le sectarisme sont partout. On prône la concurrence, la loi du plus fort, du plus beau, du plus fortuné….. Et tout cela conduit aux rivalités, à la violence, aux carnages partout dans le monde. Alors que les avancées considérables de la connaissance auraient dû apporter aide, réconfort, facilité de vie, partage des richesses produites… on assiste à une dérive conduisant à la haine, à l’élimination des plus faibles, des minorités de toutes sortes, par tous les moyens les plus insidieux et les plus sophistiqués.
Des responsables ? Ils sont nombreux et variés, mais finalement ils se rejoignent car, de près ou de loin, tout se tient.
Parmi eux, on n’évoque jamais, par exemple, l’importance jouée par les grandes écoles de commerce et de la finance.
La lecture de l’expérience vécue par Florence Noiville dans la prestigieuse école qu’est H.E.C., de l’enseignement et de la formation reçus, de ses premières années professionnelles, m’amène, comme elle, à me demander si toutes ces écoles de management réparties dans le monde entier, celles qui ont formé et forment encore les élites de la finance et du commerce international, n’ont pas été une cause non négligeable des catastrophes économiques et financières qui minent maintenant la planète entière. Ces élites sont en effet, en ce moment, à la tête des grandes structures décisionnelles et opérationnelles.
Non seulement elles ont été incapables de prévoir que l’économie libérale sans garde-fous menait à un monde qui déraille complètement, mais elles continuent à engranger des jeunes générations de matière grise qui, bien formatées et sûres d’elles, nous mènent à un désastre humaniste et humanitaire.
Les grands MBA américains (Master of Business Administration) sont d’ailleurs en plein examen de conscience; dans la crise, reconnaissent-ils, les leaders que nous avons formés n’ont rien vu venir, ils n’ont rien senti, rien anticipé, rien compris !
Pour adapter une formule prêtée à F. Bayrou et évoquée dans A@P :
«Ils ont fait trop de place à la reproduction et pas assez à la création» !
Les arguments développés dans : «J’ai fait HEC et je m’en excuse» (Florence Noiville. Librio IDEES) sont révélateurs de la programmation d’une civilisation en péril.
«Dans la lumière du matin, tandis que nous approchions du Taj Mahal, je vois Tarun émerger de la brume ; il sortait du nuage de pollution qui résulte des émanations du dioxyde de soufre rejetées par les usines chimiques d’Agra et les tanneries de la région. La rivière Yamuna, à sec, ressemble à une décharge publique.»
C’est le miracle indien, ce grand pas pour la croissance, ce désastre pour l’humanité.
Elle ne se contente pas de constater les résultats, elle en explique le mécanisme.
«Je me souviens de la première présentation des «résultats financiers»… quand j’étais depuis peu «financial analyst» chez Control Data, entreprise américaine de Mineapolis ayant une filiale parisienne à Marne-la-Vallée ; avant même que j’arrive au bottom line l’un des patrons m’a interrompu :
«Listen, Florence, how can we make more profit ?
The rest, we don’t care about !».
La crise de 2009 ne peut guère être dissociée du mode de formation des élites économiques et financières. Elle découle largement de la mise en œuvre de techniques apprises dans les business schools, en phase avec l’esprit d’un capitalisme débridé.
Elle évoque les propos entendus de la directrice d’une entreprise de formation, à propos de l’enseignement à HEC :
• Il stoppe la formation humaine et morale des étudiants.
• Il met aux commandes des managers nourris d’élitisme et de culture de la performance.
• Il survalorise la réussite économique.
• On apprend plus à briller dans l’instant qu’à construire sur le long terme.»
«L’économie mondiale toute entière repose aujourd’hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. Jamais dans le passé une pareille accumulation de promesses de payer ne s’étaient constatée.» Maurice Allais, prix Nobel de Sciences Economiques en 1988, dans le Figaro, pendant la crise financière asiatique.
« Il y a deux manières de conquérir et d’asservir une nation, l’une est par les armes, l’autre par la dette. » disait John ADAMS.
Il devrait être de la responsabilité des formateurs de transmettre aux futurs dirigeants des techniques mais aussi des principes de valeurs. Si rien n’est fait, on continuera d’apprendre aux meilleurs à penser le monde selon un modèle dont on voit tous les jours qu’il ne fonctionne pas.
L’éthique ou la morale des affaires a peu de place, semble-t-il, dans les programmes.
> Dans le Financial Times, un article expliquait que 300.000 Américains tout en haut de l’échelle gagnent autant que les 150 millions se trouvant en bas.
> En matière d’évolution de la pauvreté, la France se situe au 30e rang sur 41, avec un taux en hausse, entre 2008 et 2012, de 15,6% à 18,6%, ce qui correspond à « une augmentation nette d’environ 440.000 enfants pauvres ».
Quelle poudrière sociale allons-nous laisser en héritage à nos enfants !
> «Jamais on nous a invités à réfléchir au coût environnemental de la croissance ni à la responsabilité de l’entreprise en matière de protection, de valorisation, d’attention portée à la nature.»
Le gain toujours, et après nous, le déluge…
Des grandes écoles dans le monde, s’interrogent, nous dit-elle :
- A Harward les MBA «institutionnalisent leur non-pertinence», «cultivent des compétences de plus en plus vides et superflues».
- Au Canada, Mac Gill: «Conventional MBA programs train the wrong people in the wrong ways with the wrong consequences».
- En France, à HEC, le cours d’éthique est facultatif, celui sur le commerce équitable a été annulé l’an dernier. Une école de commerce est faite pour enseigner les fondements du commerce, ceux-là mêmes qui régissent les échanges depuis l’Antiquité !
- Un collectif d’étudiants français, le Peps (Pour un Enseignement pluraliste dans le Supérieur en Economie), réclame une refonte de l’enseignement de la matière, plus ouverte aux sciences humaines, tandis qu’un économiste australien, Steve Keen, fait paraître ces jours-ci «l’Imposture économique» aux Editions de l’Atelier, violente charge contre la prétention de sa discipline à prendre le contrôle des politiques sociales à travers le monde.(1)
«On assiste à une «désintellectualisation» de nos sociétés. Elle va de pair avec une lecture de l’existence collective réduite au droit, à l’économie et à la technique.» Marcel Gauchet.
Il serait temps de réhabiliter des «humanités»: philosophie, psychologie et sciences humaines, histoire économique, éthique….., de vrais savoirs en somme, pas des techniques désincarnées. Les grandes écoles, pour demain, doivent proposer une ouverture sur des modèles de réussite différents et porteurs de sens. Il leur incombe, à elles aussi, de repenser la question du lien entre finance, capitalisme et société.
Après tout, ne dit-on pas que la réussite est entre les mains de celui qui ose !!!
(1)Lire «les économistes sont-ils des imposteurs» par Aude Ancelin publié dans le Nel.Obs du 01/11/2014
– par Georges Vallet
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