Le Hédas, cœur de la béarnitude ? Praubë Biar !

1 – Une initiative culturelle de M. Bayrou

La République / L’Éclair d’avant-hier mardi, reçus hier, m’ont fait découvrir le projet grandiose de M. Bayrou, avec pour titre Le Hédas, futur cœur battant du Béarnais. Je joins cette page pour ceux qui ne l’auraient pas lue. On peut aussi se reporter à l’article correspondant sur Internet : http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2018/07/09/pau-le-quartier-du-hedas-futur-coeur-battant-de-la-culture-bearnaise,2382285.php.

D’emblée, on redécouvre l’irrésolution (tactique ?) de M. Bayrou, qui, 25 ans après le Proclam de Pau, est toujours incapable de trancher entre les trois noms de béarnais, gascon et occitan. D’où le commentaire du journaliste :

Occitan, béarnais, gascon : la bisbille dessert la langue ?

Si Bayrou répète que « l’ensemble des acteurs du monde culturel béarnais, gascon et occitan » s’est retrouvé autour de ce projet « partagé », il confie que l’élaboration s’est jouée depuis un an et demi, dans la « discrétion, pour éviter les surenchères, spéculations et bêtises des esprits partisans ».

« J’espère convaincre de bonne foi, quel que soi [sic] le nom qu’on lui donne et la manière de l’écrire, c’est la même langue, la même culture. Il faut se battre ensemble pour la défendre. On verra comment on la nomme, je voudrais d’abord qu’on la parle, même sans en connaître les règles et les nuances ». On imagine les puristes s’étrangler

Au demeurant, la même nouvelle distillée deux jours avant avait le mérite de la franchise : http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2018/07/07/le-quartier-du-hedas-a-pau-future-capitale-de-l-occitan,2381175.php : Le quartier du Hédas, future capitale de l’occitan.

Féru de ma « bêtise d’esprit partisan », je réagis, tant que les nouveaux démocrates ne m’auront pas réduit au silence.

2 – Et d’abord, un rappel historique

M. Bayrou s’étant affiché comme historien avec son Henri IV, le roi libre (1993), sans doute appréciera-t-il les informations qui suivent et qu’il n’a sans doute pas eu le temps de chercher par lui-même pour lever ses doutes, à partir de certitudes bien établies :

– la première mention du mot gascon pour nommer cette langue est dans un acte notarié du 29 novembre 1313, conservé aux Archives de Navarre à Pampelune et concernant un moulin à La Bastide-Clairence ; alors que les Leys d’amors publiées à Toulouse en 1356 n’auront aucun nom propre pour désigner leur langue, dite banalement « notre roman » ;

– en visite chez Gaston Fébus à Orthez de fin novembre 1388 à février 1389, Froissart n’a que « gascon » pour nommer la langue de Fébus lorsqu’il ne s’exprime pas en français ;

– la variété gasconne parlée en Béarn est nommée pour la première fois « bearnes » dans une délibération des États du 1er mars 1533, en réaction à la lettre écrite en français par laquelle le roi Henri II accrédite l’évêque de Rodez pour les présider en son nom : les États protestent et prient l’évêque d’en autoriser la traduction en bearnes avant de les insérer dans les registres (A. D. Pyr.-Atl. C. 681, f°. 92 r°) ;

– en juin 1967, le premier numéro de la revue Per nouste de l’association béarnaise de même nom qui vient de naître s’affiche par ces mots :

Et le numéro s’ouvre par un éditorial « Qui sommes-nous ? », signé par « L’Équipe de “PER NOUSTE” ». La nouvelle association se déclare « Section départementale de l’I.E.O » et précise aussitôt : « Son seul but : Faire connaitre par l’enseignement et l’Action populaire la langue et la civilisation d’Oc : pour nous, le Gascon et le Béarnais. ».

En 1977, Michel Grosclaude, « Membre de l’Association PER NOSTE », publie chez l’éditeur Omnivox une méthode d’enseignement du gascon avec disques d’accompagnement, Lo gascon lèu e plan. Le Pr. Pierre Bec, président de l’I.E.O., en écrit la Préface qui débute ainsi : « Après l’Occitan lèu-lèu e plan, de Gaston BAZALGUES, qui a ouvert la présente collection, voici maintenant son pendant gascon : Lo Gascon lèu e plan, de Michel GROSCLAUDE. » On ne peut dire plus clairement que l’Occitan et le Gascon ne sont pas la même chose !

Notre passé, c’est cela : une langue nommée « gascon » depuis plus de 700 ans, ou encore « béarnais » en ne considérant que les variétés parlées (naguère…) sur le territoire de l’ancienne province de Béarn.

3 – Hic et nunc : choisir et le dire honnêtement

Mais il est permis d’avoir en vue l’avenir qu’envisageait le Pr. Patrick Sauzet dans l’éditorial du n° 11 d’octobre 1998 du bulletin Institut occitan : « …l’occitanisme est difficile parce que ce n’est pas un retour, une régression, mais un projet. C’est parce qu’il n’y a jamais eu d’Occitanie qu’il est intéressant de la faire. Sans la vue large de l’espace occitan, nous ne sommes que des patoisants. » Si tel est le but poursuivi par M. Bayrou, la moindre des honnêtetés est de le dire haut et fort.

Mais s’il est sincère dans son attachement à l’héritage béarnais comme à la mémoire d’Henri IV, alors, qu’il dise haut et clair que la langue romane autochtone des Pyrénées-Atlantiques — qu’il présida — a pour nom « gascon » et que ses variétés de l’ancien Béarn ont légitimement le droit de se nommer « béarnais ». Et laisser l’occitan aux terres de l’ancien Languedoc, terme que le Moye âge avait latinisé en Occitania.

4 – Questions concrètes autour du Hédas

Cette langue gasconne et béarnaise étant l’âme de notre identité culturelle, je suis stupéfait de constater le silence total fait sur le du sens du mot Hédas, nom d’un maigre affluent du Gave qui servit longtemps d’égout du centre de Pau. J’en appelle à trois grands lexicographes dont la connaissance est indispensable pour qui veut garder notre culture :

Frédéric Mistral, Lou Tresor dóu Felibrige, t. II, 1886

HEDAS, s. m. Le Hédas, égout qui passe à Pau, v. merdari.

Ce mot, comme le mot hedulh, a pour radical le rom. fet, fétide, lat. fœtidus.

HEDULH, s. m. Odeur fétide, en Guienne, v. pudentour. R. (rom. fet, fétide).

MERDARI, MARDARI (a.), MERDARIC (l.), (rom. Mardaric), s. m. Torrent qui sert d’égout à une localité : le Merdari, à Saint-Péray (Drôme) ; le Merderie, à Orange ; le Mardaric, à Digne ; le Maldaric, affluent du Payré (Ardèche) ; le Médéric, à Thueyts (Ardèche), v. remerdié ; […]

Vastin Lespy, Dictionnaire béarnais ancien et moderne, 1887

Fetor, infection : Fetor deus retreyts. arch. L’infection des latrines. — Lat. « fœtor. ». [En l’écrivant en minuscules, Lespy classe Fetor comme de l’ancienne langue.]

HEDE (Aspe), HEDI, puer. — Lat. « fœtere. »

HEDIENT, qui sent mauvais, fétide.

HEDOU (Aspe), mauvaise odeur, puanteur, infection. — Voy. Fetor.

HEDOUS, , fétide, infect.

HEDOUSAMENT, « puamment », avec puanteur.

Simin Palay, Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes, 3ème éd., 1980

hedà,-dì; v. — Puer (vieux). Le Hédas, ruisseau de Pau.

hédẹ,- (As. Bar.). — C. hedà.

hedién,-te, hedoùs,-e; adj. — Puant,-e, fétide.

hedoù; sf. — Fétidité, odeur puante.

hedoùs,-e. — V. hedién.

hedousamén; adv. — D’une manière fétide.

hedùlh (L.); sm. — C. hedoù.

Autrement dit, lou Hedas que put ! (Le Hédas pue !) Tout un symbole !

Accessoirement, si Récaborde évoque pour moi un collègue cheminot de ma mère dans les années 1940 et l’abbé Robert Récaborde († 1998), son fils si je ne me trompe, c’est le rugbyman et résistant François Récaborde (1902-1951) qui a donné son nom à la place Récaborde du quartier du Hédas. Mais sait-on qu’il s’agit d’un patronyme basque  et non béarnais ou gascon : « l’étymologie de ce nom provient de l’agglutination des mots erreka borda qui signifie : la grange du ruisseau ou du ravin ; ce patronyme précise la localisation de la demeure ancestrale. »

5 – … et questions sur l’« association de préfiguration »

À lire les articles de presse déjà cités, M. Bayrou a tiré de son chapeau une « association de préfiguration » dénommée La Ciutat, avec pour président M. Jacques Roth assisté par trois vices-présidents, MM. Vincenç Javaloyès et Jean-Loup Fricker et Mme Claudie Monin plus un membre sans fonctions précises, M. Jérémie Bazet. Belle armée mexicaine, avec probablement à la clé de substantielles “indemnités” payées par le contribuable…

On n’en sait pas plus, mais il est probable que c’est le résultat de manœuvres secrètes menées, dans la « discrétion, pour éviter les surenchères, spéculations et bêtises des esprits partisans » (je cite M. Bayrou d’après le journal). Comme par hasard, sur cinq personnes nommées, trois au moins sont connues pour leur liens avec l’occitanisme.

Et si je me réfère au livre de l’occitaniste Michel Grosclaude, Dictionnaire étymologique des noms de famille gascons (1992), seul M. Bazet a un nom gascon, localisé en Bigorre.

Que voilà des gens qualifiés pour défendre l’authentique culture du Béarn ! Et pour se faire une idée de ce que peut penser M. Javaloyès des autochtones béarnais et de leur attachement à leur culture, je mets en Annexe un billet publié par son père en 2004…

Finalement, qu’il s’agisse de la méthode ou de l’impartialité, cela donne une idée de ce que parait être la démocratie pour le président du « Mouvement Démocrate », dit MODEM.

12 juillet 2018

par Jean Lafitte

La réforme

La réforme c’est désormais le mot magique que tous les politiques ont à la bouche chaque instant. La réforme est nécessaire certes mais pour beaucoup elle tourne au cauchemar –pour les plus anciens notamment- car ils ne s’y retrouvent plus. Personne ne conteste la nécessité de réformer tel ou tel aspect de notre société il y a un rythme indispensable dans sa mise en œuvre. C’est de ce rythme dont il est question ici. Les Palois vivent doublement sous cette contrainte à la fois nationale : non seulement c’est le mot magique de la « macronie » -et de ses alliés- mais c’est aussi, localement, une sorte de viatique que l’on impose aux citadins. Nous avions eu pourtant un édile réformateur qui a laissé sa trace avec le zénith, le palais des sports, l’hôpital, le Jaï Alaï, le stade d’Eaux Vives, toutes réalisations dont on peut contester la nécessité et qui ont radicalement changé le visage et la vie de notre ville. En douceur…

Après une période d’inertie, voilà qu’une nouvelle équipe est saisie d’une frénésie de bouleversements, de réalisations qui donnent le tournis. Comme si elle craignait de ne pas durer et qu’elle voulait laissait une trace à tout crin. C’est en avant tout le tram bus, le fameux Fébus, dont la construction traumatise la cité sans que l’utilité en soit encore prouvée : on a le sentiment d’un quitte ou double chèrement payé. Voici que l’on nous annonce de grands travaux place du Foirail, le Mélies, comme « l’orchestre » étaient dans des locaux trop étroits. Mais quid du marché Bio qui attirait de plus en plus de clients ? Il faut ajouter les travaux des Halles poumon du centre-ville qui n’en finissent pas, les abords du stade d’Eaux Vives, le musée qui avait bien besoin, etc. Tout cela s’ajoute à la rénovation très réussie du quartier du Hédas, à la transformation de la place de Verdun, aux aménagements du Hameau. C’est vrai la physionomie de la ville est transformée

Cela fait beaucoup et bien vite pour le citadin de « base ». On voit bien qu’il y a une volonté de s’inscrire dans l’histoire de la ville. Nous ne discuterons pas le poids économique de ces investissements : plaie d’argent n’ait pas mortelle… On espère seulement qu’ils seront financés sans augmentation exagérée des impôts et tout simplement provisionnés. Une telle avalanche de changements, si vite, donne le tournis, il en est de même au plan national et cela explique pour une bonne part les récents sondages.

Sommes-nous prêts à vivre dans une société chamboulée même si on considère que des changements sont nécessaires ? Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation comme nous le dit le proverbe populaire assez censé. Nous vivons dans un pays conservateur et il n’et pas bon d’y brusquer les mentalités. Il faut savoir prendre son temps : informer, entamer une démarche participative, pédagogique et on ne peut pas dire que cela soit véritablement le cas. Les citoyens subissent et acceptent le changement pour l’instant à défaut d’alternatives crédibles. Elles viendront en leur temps alors les généraux jupitériens et leurs émules pourraient être à des déboires qui n’étaient pas inscrits dans leurs plans de bataille.

La nostalgie n’est jamais une bonne solution. Ce n’est donc pas un retour à une « vie pépère » qui est préconisée ici mais un éloge du pragmatisme : nos élus connaissent-ils les conséquences d’une voirie ruinée ? Le transport dans une ambulance en direction de l’hôpital de Pau est un véritable cauchemar et les bouchons dans une ville moyenne comme la nôtre s’accumulent. N’y avait-il pas d’autres choix que celui du Foirail ? La halle de la Sernam, véritable cathédrale de béton, n’offrait-elle pas une possibilité alternative avec, à proximité, de nombreux parkings sans aucune nuisance pour le voisinage ? Prend on assez en compte le problème des deux roues qui se font justement entendre, la passerelle de Mazères étant l’ultime témoignage du mépris à leur égard ? Et la pollution du Gave ? La réduction de l’aide aux associations ? Le déclin du centre-ville ? L’hypertrophie de la périphérie qui menace dangereusement ce cœur historique qui fait notre fierté ?

La réforme comme la modernité ce sont des mots vides de sens en soi. Des concepts à la mode. Ils n’ont de valeur que si on les inscrit dans une perspective. Et surtout lorsqu’ils s’inscrivent dans un rythme en adéquation avec les souhaits du public. Nul ne détient la vérité. Nul ne peut se poser en guide. En démocratie, il faut savoir écouter, parfois réduire la voilure et changer le cap.

Pierre Vidal

Image : Rembrandt, le repas à Emmaüs. vers 1629, musée Jacquemart-André. Paris