Hestiv’Oc camp retranché

Pour cette édition 2017 Hestiv’Oc a été transféré de la place Royale au stade Tissié. Il n’est pas certain que ce transfert ait diminué les nuisances sonores, s’il les a déplacées. Mais ce n’est pas le propos de cet article. On peut tout de même se demander pourquoi le transfert n’a pas eu lieu près de la gare, sur le site de l’ancienne SERNAM, par exemple, ou derrière la ligne de chemin de fer.

Ce qui a pu frapper le visiteur réside dans le dispositif de sécurité mis en place : plots de béton, grillages, inspection des sacs. Dans la situation actuelle, il le faut bien et il est hors de question de critiquer cette mise en place. Mais elle a un coût et elle se répand. J’ai vu ainsi des chicanes mises en place sur la route traversant un village de Bigorre un jour de fête. Ce coût est supporté par les contribuables de ce pays, ainsi que beaucoup d’autres, comme la surveillance dans les aéroports et les gares, les retards qu’infligent de tels contrôles, sans parler des dommages subis par les personnes lors des attentats. Un autre coût provient de la surpopulation carcérale. Sait-on que l’entretien d’un prisonnier coûte à l’Etat près de 40.000 euros par an ? Et que l’on laisse se délabrer des bâtiments publics (les commissariats, par exemple) alors que l’on fait des plans pour multiplier les prisons ? Ne vaudrait-il pas mieux développer les peines de substitution susceptibles de traiter la délinquance, comme l’assistance aux personnes victimes des chauffards, plutôt que de concentrer la population carcérale dans une promiscuité génératrice de frustrations et de radicalisation ? D’autant que les conditions de vie dans les prisons font honte au pays des Droits de l’Homme, à tel point que la France a été condamnée par des instances internationales à ce sujet. Une autre perspective serait de conclure des accords avec des pays acceptant contre rétribution de détenir des prisonniers ? A l’inverse des reconductions à la frontière qui ont cours, l’efficacité serait garantie par la réclusion et ne s’adresserait qu’à des personnes coupables. L’effet dissuasif sur les familles ne serait pas négligeable.

Mais revenons à Hestiv’Oc. Cette manifestation touche peu, on s’en doute, la communauté d’origine étrangère. Ce ne sont pas les « migrants » d’origine parisienne qui pourrait blâmer qui que ce soit à ce sujet. Mais on peut regretter qu’il n’y ait pas plus de mixité et que le communautarisme s’installe durablement en France. Il faut réfléchir aux moyens de susciter des vocations positives pouvant attirer les jeunes, aux moyens de créer plus d’échanges, plus d’intérêt pour les cultures différentes. A ce propos, si le programme d’Hestiv’Oc présentait quelques conférences, la manifestation du stade Tissié ne laissait guère de place à la culture au milieu des buvettes. Et que penser du grandiloquent « festival des enfants » qui ne proposait qu’une ronde pour petits bambins et un essai d’échasses ?

Et si le quartier de l’Ousse des bois faisait mieux et attirait un public ouvert, tolérant et prônant le respect des personnes dans une manifestation festive ? Convaincre jeunes et familles qu’il y a place pour la dignité, l’espoir et la joie dans ce pays serait un investissement qui vaudrait bien les blocs de béton, non ?

Paul Itaulog

Langues régionales et municipalités

Mairie Pau Hestiv OcDéfendre ou développer les langues régionales apparaît aux yeux de beaucoup de monde comme incongru, inutile ou démodé. Pourtant, parmi ceux-là, nombreux sont ceux qui vont voir un concert de Nadau, ou qui sont fiers d’écouter un Jean Lassalle chanter « Aqueres Mountagnes » à l’assemblée nationale. Si on parle du Pays Basque, il est évident que l’euskara joue un rôle social voire économique qui dépasse la simple communication. En réalité, on touche là à des notions plus profondes, mélange d’identité, de patrimoine, et de vie en société. La première question est donc quelle est l’importance réelle des langues régionales ou plutôt pourquoi est-ce important de sauvegarder une langue régionale ? Il est ensuite intéressant de regarder comment sont gérées, aujourd’hui ces langues par les collectivités locales, et en particulier par les municipalités : qui décide des politiques et qui les met en œuvre ? Enfin, au travers du constat qui est fait, en particulier dans les collectivités du Béarn et de Gascogne, d’une délégation complète de ces politiques à des associations privées militantes, nous tenterons de proposer des solutions pour une reprise en main citoyenne dans les municipalités.

D’après le Larousse, une langue est « un système de signes verbaux propre à une communauté d’individus qui l’utilisent pour s’exprimer et communiquer entre eux ». Ainsi, outre l’aspect utilitaire de communication, une langue est aussi reconnue comme un marqueur d’une communauté ; c’est donc aussi un élément identitaire, ce qui est mis en avant par la socio-linguistique. L’évolution défavorable des langues régionales en France, à laquelle la langue béarnaise n’a pas échappé, a conduit à une quasi-disparition de la valeur utilitaire de celle-ci, désormais cantonnée à certaines familles, aux générations âgées, au folklore, ou à quelques groupes de militants. En revanche, la valeur identitaire de la langue est restée. Les Béarnais y sont d’ailleurs très attachés, comme on le voit au travers des succès commerciaux de Nadau ou des tee-shirts « adishatz » pour ne citer qu’eux.

L’histoire est une dimension importante d’une langue, en ce que sa profondeur et son importance historique renforcent sa légitimité présente. On peut ainsi noter que le béarnais revendique des siècles d’utilisation dans les textes de loi ou de coutumes locaux, depuis au moins le XIIIè siècle et jusqu’à la révolution française. Gaston Fébus écrivait dans cette langue comme il écrivait en français, et les gouvernements municipaux de Morlaas, Orthez, ou même Bayonne ou Bordeaux utilisaient quasi-exclusivement le gascon dans leurs écrits au moyen-âge. Le béarnais fut langue officielle au parlement de Navarre jusqu’au rattachement par Louis XIII à la France, et même après la révolution française et la généralisation du français, de nombreux écrivains, ouvrages, almanachs, continuèrent à être publiés.

Héritage de l’histoire, les langues régionales ont donc aussi une valeur patrimoniale, ce qui d’ailleurs fut consacré par l’introduction de l’article 75-1 de la constitution française le 23 juillet 2008, qui dit de manière laconique : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». On notera au passage que le législateur n’a pas souhaité mettre les langues régionales au même niveau que le français, qui lui, à l’article 2, est « LA langue de la République »

Tout cela participa à faire de ces langues un élément de l’identité parfois renaissante des communautés régionales. Cet effet est particulièrement fort dans certaines régions comme le Pays Basque ou la Catalogne, ou la langue est devenue un fédérateur et un catalyseur d’un développement culturel, social et économique. Cela peut être critiqué, on peut être contre, mais il faut reconnaître, que, dans le cas du Pays Basque, les effets bénéfiques dépassent largement les inconvénients, du moins tant que les extrémismes ne s’expriment pas violemment, ce qui est le cas en France pour le moment.

Et le Béarn ? Il n’a pas su tirer profit de son patrimoine culturel comme le Pays Basque. Certes, ce dernier et la Catalogne bénéficient d’une aide culturelle en provenance de leurs homologues du nord de l’Espagne, et qui représentent tout de même les deux régions parmi les plus riches de ce pays, mais cela n’explique pas tout. Les Béarnais n’ont pas compris qu’ils avaient là un patrimoine d’exception, et ont laissé ce chapitre de leur identité à quelques associations militantes, au folklore et aux bouquinistes spécialistes de régionalisme. Les responsables politiques ont ainsi, à l’exception de quelques indiens éparpillés sur les coteaux, délaissé ce champ qu’ils jugeaient peu vendeur, ou ont fait mine de s’y intéresser en distribuant quelques subventions ou en favorisant telle initiative ou évènement. Pour cela, voulant éviter d’avoir à gérer ce sujet directement, ils ont massivement délégué à des associations militantes de défense des langues régionales, non seulement l’action publique elle-même, mais aussi la réflexion et la stratégie sur le développement de ces langues. Pour le béarnais/gascon/occitan (appellation « consensuelle » décidée au conseil général 64), ce sont ainsi dans l’écrasante majorité, des associations ou organismes liés au mouvement « occitaniste »,  mouvement qui, il faut le reconnaître, a su développer un réseau d’associations important dans tout le sud de la France, ainsi que les calandretas, écoles en occitan pour les enfants, ce qui a fini par donner l’impression qu’en dehors d’eux, nulle politique en faveur du béarnais n’était possible.

Or, toute association militante est par essence politisée, même si le sens de politique n’est pas à prendre au sens de l’échiquier gauche-droite. Chaque mouvance défend en effet sa vision du monde, et un projet bien particulier. Pour les occitanistes, c’est l’existence et la promotion d’une langue du sud de la France, l’occitan, et de son corollaire, l’Occitanie, pays défini dans ses frontières par l’aire sur laquelle est parlé l’occitan. Les béarnistes ou gasconnistes, ne veulent pas être englobés dans un  occitan dont certains nient l’existence, et défendent un projet caractérisé par la défense du patrimoine existant et d’un certain statu quo. Hors de ces mouvements, une grande majorité qui n’a guère de goût pour ces joutes byzantines sur fond de graphie, des gens qui aiment leur langue et qui ont conscience que cela fait partie de leur identité, mais qui ne se sentent pas légitimes pour la défendre autrement que par quelques joutes verbales ou chants de fêtes..

C’est cet état de fait – abandon des politiques et des actions en faveur des langues régionales à des associations spécialisées mais politisées – que je dénonce. Il y a certes des réussites, comme le carnaval biarnés à Pau, mais en dehors de quelques jours de fêtes, le béarnais et plus largement le patrimoine culturel béarnais, ne mobilise pas grand monde. Le monopole laissé aux associations militantes, et le désintérêt des collectivités locales pour prendre en compte directement ce sujet, font que le béarnais est vu par la plupart des personnes comme un sujet de peu d’importance, ou qui ne concerne pas le citoyen lambda.

De plus, ces associations ont souvent tendance à faire passer leur message et leurs revendications avant la langue elle-même. C’est ainsi que l’on voit régulièrement, lors d’évènements organisés avec l’argent du contribuable, des messages faisant l’apologie de l’Occitanie, drapeau du Languedoc déployé, quand ce ne sont pas des messages purement politiques, « antinucléaires » ou « pro-palestiniens » pour ne citer qu’eux. Ceci contribue encore plus à ce que la population se détourne de ce qu’elle perçoit comme un combat sibyllin.

Certains diront toutefois qu’il convient de laisser ce combat aux acteurs de terrain, et à ceux qui connaissent, donc qui défendent tous les jours la langue. Certes, mais pourrait-on imaginer alors que la politique en faveur de l’emploi fût laissée au patronat seul, ou aux syndicats seuls ; ou que la politique environnementale fût laissée aux seuls écologistes ; ou encore que la politique en faveur du patrimoine fût abandonnée aux associations de mécènes ? Non, bien sûr : le pouvoir public doit prendre en main ces choses-là et définir une action politique ; alors pourquoi en serait-il différemment des langues régionales, et donc du béarnais ?

Les langues régionales ne sont pas en simple artefact de l’histoire. Elles sont un des éléments (certes pas le seul) de l’identité d’un peuple, d’une communauté. Plusieurs régions, au premier titre le Pays Basque, ont su développer une identité forte et un dynamisme culturel jaillissant sur toute la société, basé sur une appropriation de leur langue régionale. Le Béarn a aussi sa langue, le béarnais. La population y est attachée, mais il est insuffisamment mis en avant car les collectivités locales – à de rares exceptions comme certaines initiatives du conseil général 64 – ont délégué la gestion de ces dossiers à des associations militantes n’ayant pas, par nature, vocation à représenter le plus grand monde.

Il est donc nécessaire que les futurs magistrats des municipalités proposent un vrai programme sur les langues régionales, qui ne se résume pas uniquement à laisser faire des associations subventionnées, et permettent surtout que le citoyen s’approprie ce qui lui appartient, car, qu’il parle ou non le béarnais, qu’il la comprenne ou non, qu’il soit d’ici ou qu’il vienne d’ailleurs, c’est bien du patrimoine de tous les Béarnais qu’il s’agit.

Par Emmanuel Pène (www.emmanuelpene.com)

(Ancien Président de l’Institut béarnais et gascon 2006-2009)