«Errare humanum est, perseverare diabolicum»

gvJacques Delors, dans un forum, à Paris, a mêlé sa voix à ceux qui dénonçaient la politique d’austérité imposée par la commission de Bruxelles. Il s’en est pris à ces idées «néolibérales» mises obstinément en œuvre par ladite Commission.

Des lectures très intéressantes viennent conforter ce point de vue:

  • Les premières émanent de Jean-Claude Guillebaud: journaliste au quotidien Sud Ouest, au journal Le Monde et au Nouvel Observateur, il a dirigé Reporters sans frontières. Il a été lauréat du prix Albert-Londres en 1972.
  • Les secondes, de militants du collectif Roosevelt.
  • Les troisièmes sont les écrits d’Emmanuel Petit, professeur d’économie à l’Université Montesquieu-Bordeaux 4.
  • Les dernières, de «l’éternel Darwin»!

En ce qui concerne ces auteurs, je préviens le lecteur qu’ils ne sont ni léninistes, ni staliniens, ni trotskistes, même pas communistes ou front de gauche, peut-être, pour le premier, «Guillebaudiste» comme moi !

Pour le premier, en Europe ou aux USA, la plupart des économistes indépendants répètent, sur tous les tons, que cette austérité est «dévastatrice, alors qu’on la présente comme salvatrice, elle aggrave jusqu’au coma la maladie qu’elle prétend combattre. Comment est-il possible que les responsables de la Commission, soient incapables de saisir ce qu’un enfant de 12 ans pourrait comprendre?» Certes, l’aveuglement idéologique existe, mais, à ce stade, c’est de «la cécité pathologique»!

«Aucun pays au monde n’a pu réduire ses dettes en s’appauvrissant»

Pareille divagation de l’entendement est connue depuis fort longtemps.

«Errare humanum est, perseverare diabolicum».

Un siècle avant notre ère, Cicéron qualifiait «d’insensé» celui qui persévère, le christianisme médiéval a rajouté «diabolique».

«Les néolibéraux ne se rendent pas compte qu’ils ne font qu’emprunter la pratique des staliniens d’avant-hier. Dans l’ancienne langue de bois marxiste, on répétait que si les économies des pays communistes ne fonctionnaient pas, c’était parce qu’«elles n’étaient pas assez communistes»! Recopie néolibérale d’aujourd’hui : les défaillances des économies viennent du fait qu’elles ne sont «pas assez»privatisées et déréglementées. Ainsi, les diafoirus de Bruxelles ne cessent de répéter que si la politique d’austérité ne produit pas de résultats, c’est qu’elle n’est «pas assez austère». «La sottise politique n’a décidément pas d’âge!»

Carlos Ghosn, PDG de Nissan et de Renault gagne de son propre aveu 10,5 millions d’euros par an, soit 875.000 euros par mois, 80 fois le SMIC !

On ne parle que de «l’argent roi»: profits des grandes entreprises, pactoles distribués aux patrons, prébendes (profits tirés d’une charge) multilples et variées. Plus la pauvreté s’accroît, plus la goinfrerie des gagnants nous est racontée, montrée, filmée. «Plus que l’obscénité, l’indécence ou l’idéologie à dénoncer, ce sont plutôt les psychiatres qu’il faudrait appeler à la rescousse; la rapace financière peu différente d’une pathologie mentale, est susceptible de générer, chez les adultes intelligents, des conduites immatures.»

Etait-il mature ce ministre socialiste venu de Villeneuve-sur-Lot ?  Etait-il doué de raison ce «French Doctor» pour courir derrière de gros chèques donnés par des dictateurs africains ? L’actualité nous offre de bien meilleurs exemples encore !

A quoi servent ces sommes aussi énormes ? A s’acheter un deuxième château, une troisième Ferrari, un dixième appartement, un deuxième jet privé ? A ouvrir un quinzième compte en Suisse, à Singapour ou au Lichtenstein ? A garantir l’avenir des enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, nièces, neveux et maîtresses ?

Pour les militants du collectif Roosevelt : «Le retour de la croissance est un mirage.» L’Allemagne est retombée en récession. Le Japon est à deux doigts du chaos, la bulle immobilière explose en Chine. Aux Etats-Unis, la croissance est revue à la baisse. «Miser sur la reprise de la croissance, c’est la méthode Coué.»

Le cœur du problème vient du déséquilibre grandissant entre ce qui va aux salaires et ce qui va aux bénéfices.

«La crise n’est pas une crise de l’Etat providence mais une crise du Capitalisme»

«Nous n’avons jamais été aussi riches; la solution n’est pas l’austérité mais la justice sociale, un nouveau partage des revenus, du travail, de l’accès à la culture et du pouvoir. La part des salaires représentait 67% du PIB des pays occidentaux en 1980. Elle est tombée à 57%; recul considérable ! Pour maintenir la consommation on a poussé les salariés à s’endetter. On a distribué, par la dette privée, ce qu’on ne donnait pas par les salaires. Sur 30 ans, 150% du PIB qui aurait dû aller aux salariés et donc aux caisses de Sécu et à l’Etat, via la TVA, sont allés vers les marchés financiers.»

Pour Emmanuel Petit, la réflexion est plus intellectuelle :

« De nombreux travaux en philosophie ou en neurosciences ont montré que la prise de décision bénéfique pour l’individu provient de la complémentarité de la raison et de l’émotion, alors qu’actuellement, en économie, l’émotion est jugée nuisible à la décision rationnelle. »

Ce «care» est une philosophie morale qui propose une vision de l’individu capable d’empathie, canal de transmission de la moralité. Cela revient à renoncer à l’idée que l’agent économique est forcément dirigé vers l’enrichissement personnel.

«Richesses»! Un concept à redéfinir ! Contrairement aux économistes la richesse ne s’entend pas uniquement en termes monétaires mais en termes de bien-être. On parle de richesse intérieure. La satisfaction passe par un réseau social de qualité, des institutions justes, un système de santé performant, une culture générale, et pas seulement une multiplication des richesses matérielles, sans impact sur les indices de bien-être.

Cette notion de care est la résurgence de la conception de Charles Darwin.

En 1871, dans «La descendance de l’homme», il note que la marche conjointe du progrès, de la rationalité, des instincts sociaux, du sentiment de sympathie, l’essor des sentiments moraux de l’organisation communautaire, permettent de constater que la sélection naturelle n’est plus la force principale qui gouverne le devenir des groupes humains; elle a laissé place dans ce rôle, à l’éducation.

La société est un niveau supérieur hiérarchique à l’individu; c’est elle qui est soumise à la sélection naturelle; la qualité compétitive pour le groupe est la cohésion et l’entraide. Cette tendance évolutive est appelée civilisation, naissance de l’éthique.

Le néolibéralisme, hérité du spencérisme, est resté au stade de l’homme primitif, menant une vie semi-animale solitaire; l’individualisme était la seule façon de subsister. Des milliers d’années ont passé, l’homme est devenu social : désormais, l’union fait la force, la survie est liée à celle de la collectivité. La liberté individuelle ne peut s’exprimer totalement au sein d’une collectivité; une régulation est indispensable. Le libéralisme pur et dur , par l’exploitation outrancière des hommes et de la nature à laquelle il aboutit, est incompatible avec la notion d’humanisme.

«Au total, on peut s’interroger sur l’impuissance d’un ordre sociétal qui ne parvient plus à produire des élites dotées d’un minimum de raison raisonnable. Ce sont les psychiatres qu’il faudra bientôt appeler au chevet des démocraties et des entreprises.» Jean-Claude Guillebaud.

– par Georges Vallet

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