Tel est le titre de l’ouvrage de Jean-Louis Levet publié en mars 2012 aux éditions Jean-Jaurès. Le titre de la réunion publique du 25 avril autour de son intervention était proche : « Les outils pour restaurer la compétitivité de notre pays »
Martine Lignières-Cassou et Georges Labazée ont certainement senti qu’il était nécessaire de montrer que les parlementaires socialistes s’occupaient des problèmes fondamentaux du pays. Ce dernier a d’ailleurs égrené les interventions du Conseil général des Pyrénées Atlantiques dans le domaine de l’économie régionale : Lindt à Oloron, Miel Michaud (un leader mondial), chimie (Toray), aéronautique (Turboméca, Messier qui a un plan de charge de 10 à 15 ans). Quant à la Présidente de la Communauté d’agglomération de Pau, elle n’a pas manqué de souligner la réussite de la Cité multimédia qui accueillait la réunion. Il est probable qu’une grande partie de la population ne connaît pas cet ensemble, ni les réalisations au sein d’Indusnor.
Jean-Louis Levet précise d’abord ce qu’est le rôle d’un économiste : ce n’est pas de prédire l’avenir mais de dessiner des scénarios entre lesquels les décideurs choisiront. Il ajoute que le mot « crise » qui revient constamment ne lui parait pas aussi approprié que le mot « transformation ».
Il rappelle que l’économie mondiale se structure en quatre échiquiers. Sur le plan mondial, une centaine de grands groupes se partagent quelque 50% des échanges. Le phénomène principal intervenu lors des dernières décennies est la déréglementation de la finance qui a permis une grande extension du secteur financier. Le second échiquier est continental : Alema, Asie, UE concentrent en leur sein la majorité de leurs échanges (70% pour l’UE). Le troisième échiquier est évidemment national tandis que le quatrième est constitué des territoires. Il constate que plus on est dans une logique d’attractivité en matière de coût, plus le nomadisme est élevé (Philips est un exemple). L’Union européenne s’est focalisée sur le marché unique, puis sur la monnaie commune, pas sur un projet politique.
La France connaît une désindustrialisation galopante depuis les années 80. La cause en est une myopie stratégique et un manque de cohérence. Il épingle les credo qui ont été lancés : ne jurer que par l’internet et la finance puis préconiser les entreprises sans usines, puis tout miser sur la haute technologie et les services de proximité. La France se place sur un plan intermédiaire, que ce soit entre le nord et le sud ou en termes de qualité. Elle dispose de trois atouts : une économie mixte permettant l’anticipation, un socle social protecteur et des avantages comparatifs dans différents domaines : espace et aéronautique avec les succès inespérés d’Ariane et d’Airbus, luxe et agroalimentaire. Mais elle éprouve des difficultés à passer d’une économie de la quantité à une économie de la qualité et de la créativité. Elle devrait suivre deux principes.
1) Il n’y a pas de secteur condamné : par exemple le textile qui a créé 3000 emplois dans la région Rhône-Alpes avec des textiles techniques, le mobilier avec des création de design, la mode avec un passage de 2 à 12 collections par an dans la confection, l’exportation de 80 millions de chaussures, l’électroménager qui s’adapte aux usages de différents pays.
2) Il convient d’investir à la fois dans les industries matures et celles de demain. On doit affronter les difficultés à travailler ensemble. Par exemple, les relations entre les grands groupes et les PME devraient passer d’une relation verticale à une relation en réseaux. Les différents rapports (Datar sur les pôles de compétitivité, J.-L. Beffa sur l’innovation, Juppé-Rocard sur le grand emprunt) et les créations comme le Fonds Public d’Investissement n’ont pas de cohérence claire.
Un pacte de compétitivité devrait poser des principes. La compétitivité est le résultat de conjonctions. Il faut donc une coordination et une logique coopérative. Il faut éradiquer les gâchis, comme l’absence de formation ou d’emploi pour 15% des jeunes. Une convergence de l’Allemagne et de la France (qui représente 60% de l’industrie européenne) est préférable à une imitation de l’Allemagne. Plus de démocratie en Europe est nécessaire.
Au cours du débat qui a suivi son exposé, J.-L. Levet répètera qu’un pays est compétitif lorsqu’il est capable d’accroître le bien-être de sa population. Mais son regard lucide et détaché n’est pas apprécié des nombreux représentants syndicaux dans la salle qui lui opposent la souffrance des travailleurs (perspectives de licenciements dans le transport, maladies liées à l’amiante ou à des émanations) et les injustices sociales. Il reconnaît qu’en trente ans la part des salaires dans le budget des entreprises a baissé tandis que la rémunération des actionnaires a été multipliée par trois. Le chômage structurel est passé de 2% dans les années 70 à 9% en 2007. Il propose que les impôts sur les sociétés soient dégressifs avec la part consacrée aux investissements. Il souligne qu’une logique de long terme peut être suivie par des fonds de pensions gérés par les salariés, comme c’est le cas au Québec. Il souhaite que l’Europe puisse parler d’une voix unique et forte au sein des organisations internationales, qu’elle puisse lever des fonds, avoir une politique de taux de changes, exercer un droit de la concurrence adapté. Pour la France, il constate une fois encore le déficit de stratégie et de prospective. Il distingue le contrôle des politiques publiques de leur évaluation.
G. Labazée invite les syndicalistes à suivre le travail des sénateurs sur la sécurité sociale et promet de recevoir les délégués avant les décisions du Conseil départemental le 25 mai. M. Lignières-Cassou s’oppose à une vision manichéenne de l’entreprise. Pour elle, il y a une multiplicité de situations.
Ce débat illustre les attentes de l’opinion et la tension actuelle au sein de la gauche, notamment à l’occasion du vote de la loi sur les accords compétitivité-emploi.
– par Jean-Paul Penot