« Les idées mènent le monde » le grand raout prévu dans quelques jours au casino de Pau est promis à un nouveau succès. C’est un événement très attendu dans l’hiver culturel palois. Comme pour le bœuf bourguignon, la recette est infaillible : on fait venir les pointures parisiennes, de préférence les plus visibles sur le petit écran, on ajoute une bonne pub et l’affaire est dans la poche. De ce rendez-vous un tantinet mondain et plébiscité, tout le monde devrait se réjouir … professionnels du livre : éditeurs et libraires, encore qu’il y en ait, « les petits », qui se plaignent d’être relégués au sous-sol du Casino où ils n’accueillent plus qu’amis et sympathisants, la majorité des participants ne faisant pas le détour. Mais qui se soucie des « petits » ?
D’ailleurs « les idées mènent-elles le monde » ? Si oui, alors nous vivons des temps terribles ; car autour de nous les idées –faut-il les appeler ainsi ?-, les plus dangereuses triomphent. Cette montée du « populisme », vocable simplificateur pour désigner une volonté de repliement, un désir d’exclusion et une logique d’intolérance s’agit-il d’idée ou de pulsion aveugle ? Comment qualifier cette onde de choc qui déferle rejetant les élites et leurs « idées » justement, tous ceux qui pensaient avoir bricolé un bonheur universel dans le laboratoire de la mondialisation : l’élection de Trump dans le plus puissant état du monde puis de Jair Bolsonaro dans un pays qui a connu une dictature féroce ou encore de l’autoritaire Hongrois, Victor Orban, dans un pays hanté par son passé stalinien, du philippin Rodrigo Duterte aux déclarations incohérentes, de nos voisins italiens dans une alliance contre nature entre extrêmes et jusqu’à nos amis allemands qui font entrer dans leurs parlements des élus ouvertement nazis… Tous ont été élus démocratiquement et il ne suffit plus de taper du pied ou de pleurer des larmes de crocodiles. Demandons-nous pourquoi nous en sommes là et que nous réserve demain. Oui ! Il y a beaucoup à dire sur cette situation nouvelle… Ces idées mènent-elles le monde désormais ?
« Demain, un autre Monde ? » C’est le titre de ces journées cette année. C’est un truisme banal ; le « ? » final est inutile car le monde, évidemment, sera différent demain d’aujourd’hui. Nous le savons tous, le monde sera un « autre Monde » car le changement est une vérité qui s’impose à l’homme de toute éternité. On ne peut pas en refuser la perspective, croire en un monde immobile, rejeter le mouvement ou vouloir revenir en arrière. Le titre « Demain, un autre Monde ? » introduit à une proposition vide de sens, ramenée à un rendez-vous provincial et mondain.
A la question posée il manque l’adjectif interrogatif « Quel ». « Demain quel autre monde ? » cela aurait été un titre valide. Il aurait ouvert le débat sur les champs des possibles. On voit bien que le souci des organisateurs n’est pas d’opter pour le questionnement mais de conforter chacun dans ses convictions ; de rester dans la sphère du politiquement correct et de faire le plein des salles du Casino. Comme sous un robinet d’eau tiède : évitons de nous brûler ou de nous geler. En réalité, nous aimons les éclats, les coups de gueule, les excès car ces tribunes ont cet emploi…
Il faut s’en réjouir, il y a des personnalités imprescriptibles qui seront présentes à ces journées comme Egdar Morin, une des consciences morales de notre époque, on écoutera avec intérêt aussi Alexandre Adler fin connaisseurs des mécanismes politiques les plus secrets de la planète ou Daniel Cohen économiste et pédagogue (il y en a, la preuve !). Mais pour le reste, nous attendions un meilleur casting.
Regis Debray par exemple, il vient de sortir « L’angle mort » aux éditions du Cerf, mais son passé ne le rend pas politiquement correct, Michel Onfray, sa lettre à Macron en fait une persona non grata de plus c’est un athée militant et pourquoi pas Marcel Gauchet, Emmanuel Todd, Catherine Clément, Francis Wolff, Alain Badiou, André Glucksman, Michel Serres, Luc Ferry, Gilles Keppel, Eric Zemmour, etc… Tous des pointures dérangeantes, des penseurs véritables, des esprits brillants, profonds ou décapants dont nous ne partageons pas forcément les idées –loin s’en faut pour beaucoup d’entre eux.
Le plateau palois est bien fade au regard de ses ambitions. C’est le monde parisien qui vient se balader en province ; nous dispenser la bonne parole car on ne pourra pas interroger, débattre, couper, le « médiateur » occupant le devant de la scène ; conception archaïque dans un univers où chacun prend la parole dans les réseaux sociaux, estimant –à tort ou à raison- avoir son mot à dire, posséder sa solution au problème avide de s’exprimer.
L’art de la critique est aisé, il ne faut pas en abuser. Plus facile à dire qu’à faire, nous rétorquera-t-on et il faut en convenir, oui ! Il y a de nombreuses contingences matérielles à l’organisation d’une manifestation de ce type. Après tout c’est déjà ça : ce rendez-vous d’automne existe. Il est barré sur l’agenda et nous y serons. Mais, disons-le, même si on ne reviendra pas en arrière, l’ancienne formule du salon du livre était moins prétentieuse et plus sympa…
Pierre Vidal