Umberto Eco recherchait, en 1994, la «langue parfaite». Pour lui, Dieu s’adressa à Adam dans une langue parfaite, transparente, immédiate. «Après le Déluge, toute la terre parle encore une langue unique, associée à l’idée de concorde universelle».
L’espace Schengen couvrait toute la planète.
«L’orgueil va pousser les hommes à bâtir une tour haute comme le ciel, la tour de Babel. Pour les punir, Dieu brouille la langue adamique, de sorte que les hommes ne se comprennent plus entre eux.»Umberto Eco.
C’est le fermeture des frontières.
L’idée de la tour de Babel, voilà l’origine de tous les problèmes planétaires !
Le buzz à propos de l’affaire politico-économico-médiatique de la dite réforme de l’orthographe a occupé largement l’espace médiatique. Elle s’est ajoutée au reste et n’a fait qu’entretenir ce climat de bouillonnement nauséabond de déprime et de révolte dans lequel on a l’impression que l’on souhaite nous laisser macérer. Le côté très politique est évident.Mais, restons en là sur ce point et tentons de voir le problème sur un autre plan.
Revenons aux objectifs de l’Education nationale. Pendant longtemps, on a considéré que son rôle était de :
- Faire acquérir une Instruction et une culture générale (Ministère de l’Instruction publique) à tous les enfants et adultes de la République.
- Donner une éducation citoyenne pour permettre la cohabitation de tous en bonne intelligence, dans le respect de chacun (Ministère de l’Education nationale).
- Assurer l’apprentissage de l’utilisation des outils de base permettant la réalisation de ces projets et la possibilité d’entrer dans le monde du travail: lire, écrire, compter, juger, échanger…
Avec le temps, la politique et les nécessités économiques ont fait évoluer l’équilibre entre ces trois piliers.
- L’augmentation de la démographie, l’ouverture de l’Ecole à tous, le brassage de plus en plus important des cultures et des langues d’origine, le manque de financement.., ont rendu de plus en plus difficile la réalisation des deux premiers objectifs.
- Les difficultés économiques, et le chômage qui en résulte, ont rendu de plus en plus brûlant la nécessité de développer en priorité le troisième pilier. L’Ecole est devenue, à tous les niveaux, aux yeux des politiques, de l’institution, des parents et des jeunes, le lieu qui doit amener en priorité, le plus vite et efficacement possible, dans le monde du travail, au détriment du reste, considéré, parfois même, comme un luxe bourgeois de moins en moins utile puisque «Google» sait tout pour vous. La culture serait laissée à la charge des parents et des individus; elle est devenue un discriminant dans l’aptitude à devenir de vrais Homo sapiens !
L’école doit remplacer Pôle Emploi !
- Cette distinction entre culture et pratique se retrouve quand on aborde l’apprentissage d’une langue étrangère, de l’école à l’université. On reproche à cet enseignement de fabriquer des étudiants incapables de parler la langue, condition devenue de plus en plus indispensable pour rentrer dans le monde du travail. Or, «L’Ecole» considère qu’une langue est inséparable de la culture, de l’histoire, du mode de vie, qui animent un pays. Pour apprendre seulement à parler la langue du supermarché, du commerce ou de l’entreprise, inutile de faire 10 ans d’étude, un stage de quelques semaines, une immersion de quelques mois, et le tour est joué! Cela suffit-il pour «comprendre» l’atmosphère du pays, sa sensibilité, ses raisonnements, imprégnation indispensable quand on veut entreprendre des démarches politiques, économiques ? Absolument pas ! Bien des échecs commerciaux et diplomatiques viennent de là !
C’est dans ce contexte que l’orthographe, et son évolution, peuvent être abordées.
Si on considère surtout la pérennisation de l’objectif culturel, alors, le fait de vouloir apporter des modifications pour suivre l’évolution de la langue, dans le milieu littéraire codifié par l’Académie française, peut se comprendre. Est-ce vraiment souhaitable dans le contexte actuel ? Les modifications proposées jugées simplificatrices le sont-elles vraiment ? On peut en douter !
L’évolution pourtant est irrémédiable, elle a toujours existé mais à un rythme qui permet l’assimilation ; le français n’y échappe pas ; c’est une langue vivante qui n’est pas une vraie langue latine, comme l’italien, l’espagnol ou le portugais ; l’histoire montre que le territoire de la future France a été, plus que les autres, une zone de passage et de séjours, souvent très longs, de populations venant du N, de l’E (germains, Celtes), du S (romains grecs, arabes) ; elles y ont laissé de profondes empreintes indélébiles ! Les apports des nombreux migrants de l’histoire plus récente ont contribué à l’enrichir plus qu’à la désorganiser. Ce qui rend incontournable notre langue, sa richesse, sa subtilité… c’est l’enchainement des lettres, des mots, des nuances apportées par les accents, la ponctuation…, ce sont les rythmes, dièses, bémols, soupirs…, de la musique, la tonalité des langues asiatiques; la phrase structure et diffuse la complexité du message, elle fait apparaître une émergence qui est plus que la somme de ses parties : les non-dits, le sens et le contenu de la pensée de celui qui l’écrit. Rester fidèle à ces valeurs c’est continuer à justifier l’emballement des étrangers pour l’utiliser.
Parmi les «conseils» proposés, je n’ai rien trouvé qui envisage de mettre en péril la terminologie scientifique dont les racines grecques et latines donnent le sens du mot, c’est heureux !
Si c’est l’outil de base, généralement et quotidiennement utilisé sur le terrain des relations de tous les jours, que l’on veut «simplifier», les mesures avancées sont complètement ubuesques car le choix proposé est hors de la portée conceptuelle et pratique de la pensée de bien des utilisateurs actuels.
Alors que l’Académie française demande de «lire entre les lignes» (étymologie du mot intelligence), les utilisateurs sont souvent incapables de «lire les lignes» !
Bien des fautes commises ne sont pas des fautes lexicales mais des fautes grammaticales, ce qui est plus grave encore, car c’est la pensée qui n’est plus articulée dès qu’on confond, par exemple, participe passé et infinitif, présent, conditionnel ou futur ! Hélas, c’est bien ce qui dépasse complètement beaucoup d’auteurs des contenus des millions de mails ou de SMS qui circulent en permanence ! La pauvreté du vocabulaire employé, la destruction du sens de la phrase donc de la compréhension réciproque sont à la base, dans le langage écrit et parlé, des conflits et de la violence.
Ce qui aurait été vraiment judicieux aurait été de proposer des mesures pour limiter le langage technologique anglo-saxon dans le monde numérique, nouvelle espèce invasive qui sème la panique, à la fois au niveau de l’orthographe et de la compréhension, comme : kahoot, download result, adobe voice, popplet, share, un pad, freelancers, win-win, stakeholders, les geeks, phishing, ping call….
Rien n’est prévu non plus pour limiter l’utilisation des sigles rendant incompréhensibles aux non initiés la lecture de nombreux textes qui les concernent pourtant dans leur vie pratique !
Le fossé entre le monde académique et le monde de la «rue»est un gouffre !
Que les difficultés soient grandes pour éviter les fautes, c’est évident ; que les difficultés soient grandes pour redonner de l’efficacité à nos méthodes d’apprentissage, c’est aussi évident, mais cela ne doit pas être une raison pour supprimer ces obstacles ; pour ma part, je suis partisan de changer le moins possible et très progressivement pour favoriser l’assimilation ; la difficulté doit être un motif pour s’efforcer de se rapprocher du sans faute, objectif vers lequel chaque être humain doit tendre par une recherche constante pendant toute la vie.
Comme pour la démocratie, la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, c’est un effort continuel, un combat permanent ; le but n’est presque jamais atteint mais doit animer en permanence notre vie ; c’est la spécificité humaine.
Par contre, cela ne doit pas être :
- Un motif de raillerie avilissant et blessant.
- Un objet de sélection, à l’école, du type 4 points de moins par faute dans une dictée ou un redoublement pour un élève aux résultats satisfaisants par ailleurs mais nul en orthographe. Des méthodes et des moyens, doivent être mis en jeu pour en diagnostiquer les causes, elles sont multiples; il faut les traiter le mieux possible, y compris celles d’origine sociale.
Le numérique pourrait être un auxiliaire précieux car il devient de plus en plus le moyen de communication; les correcteurs d’orthographe devraient être plus complets, accessibles, efficaces et généralisés. Des exercices ludiques avec autocorrection et explications, pendant les activités périscolaires devraient être généralisés.
Summum de l’utopie, j’en conviens, on pourrait concevoir, comme pour les contrôles d’alcoolémie avant de démarrer une voiture, d’empêcher un message de partir tant que le promoteur n’a pas corrigé son texte, y compris pour les SMS, avec une raisonnable indulgence à définir !! Moins de textes seraient envoyés, combien de bêtises aux conséquences graves pourraient être évitées !!!
– par Georges Vallet
crédit photo : sandawe.com