Joseph Peyré dans mes bagages

Au panthéon béarnais, le bon roi Henri et son clone contemporain prennent à eux deux une place si importante qu’il est bien difficile pour d’autres de s’y faire une niche. Ainsi des figures remarquables de notre région sont tombées dans un oubli regrettable. C’est le cas du grand écrivain Joseph Peyré, relégué au purgatoire des bonnes plumes, en bonne compagnie de celle de ses amis : Frison Roche, Kessel ou Mac Orlan (excusez du peu…) Pourquoi cet oubli ? Sans doute l’enfant d’Aydie a-t-il eu le tort d’avoir eu un grand succès populaire et d’avoir bercé les rêves de nombreux adolescents des années soixante. Le succès cela ne pardonne pas dans la coterie littéraire… Ou encore lui a-t-on tenu rigueur de prises de positions politiques peu orthodoxes ? Les positions dissonantes sont mal vues dans ces cercles où sévit une ligne officielle et inflexible… On peut aussi penser que les thèmes abordés par Peyré : désert, tauromachie, montagne, ne sont plus dans l’air du temps… Disons-le : hélas !

Le neveu de l’écrivain, Pierre Peyré, se bat pour que justice soit rendu à son oncle et que l’on remette cet excellent auteur à sa place. A ce propos, un colloque sera organisé à l’UPPA au cours du mois d’octobre prochain et on annonce la venue d’universitaires originaires d’Espagne, pays qui a toujours célébré l’écrivain lui rendant ainsi la passion qu’il lui accordait. Ce qui montre au passage que Pau n’est pas seulement « une ville anglaise » et que de grands esprits se sont sentis attirés par ce qui se passait de l’autre côté des Pyrénées -« tras los montes ».

Au fait, savez-vous que Pau est jumelée avec Saragosse… ? Et depuis combien de temps le maire de la cité aragonaise –métropole du nord de la péninsule- a-t-il été invité en Béarn par les hérauts locaux de l’Europe ? N’est-ce pas un atout qui mériterait d’être mieux joué ? Une proximité dont il faudrait user ? Mais gardons-nous des illusions : la vieille défiance des élites béarnaise à l’égard de l’Espagne n’est pas prête de disparaître.

Revenons donc à Joseph Peyré : bouclant mes bagages pour un séjour à Madrid, cette « capitale du monde » comme l’écrivait Hemingway, je cherchais un livre pour occuper le temps du voyage. En fouillant ma bibliothèque je trouvais un petit ouvrage délicieux ; recueil de nouvelles méconnu de l’écrivain béarnais : « De cape et d’épée ». Je l’ouvris juste pour voir, et je le lus d’une traite avant mon départ –il faut en trouver un autre maintenant !

C’est un ouvrage terrible en fait, cruel souvent qui décrit l’Espagne de 1935, au bord du gouffre, à travers le prisme de la tauromachie ou plutôt des avanies du « milieu taurin » de ses vedettes ou des modestes avec une prédilection pleine de tendresse pour ces derniers. C’est donc un livre d’aventures dérisoires, de dialogues ciselés et de portraits vivants de gens égoïstes, irresponsables ou terrorisés qui au milieu du désordre tragique de la vie qu’ils mènent, savent se transcender dans les instants cruciaux : face au « fauve » -comme il le dit-, mais aussi à la blessure, à la ruine et en définitive à la mort.

Tout cela est très bien documenté, car Peyré vécut dans le milieu taurin, il embarqua lui-même dans les « coches de cuadrilla » pour suivre la route du toro, il se lia aux vedettes du moment -Cagancho notamment- et sut aussi partager le quotidien misérable de tous les seconds couteaux de ce monde cruel. Ainsi la presse espagnole le baptisa le « Hemingway français » et il remporta le prix Goncourt avec « Sang et Lumières » en 1935. Il avait écrit son livre à Madrid après avoir été témoin direct de l’exil madrilène de l’escroc Stavisky, de la fin du règne d’Alphonse XIII, chassant le loup dans la sierra madrilène avec les riches impresarios. Il consigne dans ses « carnets », hélas inédits, toutes les manies, les turpitudes et aussi la grandeur d’âme des vedettes des arènes.

La tauromachie et les manies qui l’entourent, sont pour lui la métaphore d’un monde qui s’effondre. Nous étions en 1934 et les Français dans sa position n’étaient pas si nombreux… Il n’y en avait pas d’autres, en fait, les Jean Cau, Cocteau ou Montherlant, viendraient beaucoup plus tard arpenter ces sentiers que Peyré foula le premier. Il le fit avec un regard très moderne, très particulier qu’il exprime bien dans l’épilogue de « De cape et d’épée » : « C’est de cette épreuve de l’homme que j’ai voulu parler. Elle ne débute d’ailleurs pas au seuil du cirque. J’en ai fait le parcours, observé les approches, depuis le monde obscur, les marges, les seuils nocturnes de la ville, jusqu’au « rond » de sable fatal »

Finalement je crois que je vais le prendre avec moi, mon Peyré, pour le relire sur la route de Madrid, vers la San Isidro… Car peut-être vais-je croiser dans les ruelles du quartier Santa Ana les descendants ou les fantômes errants de ses misérables héros qui vivaient « De cape et d’épée ». Ainsi, je saurais reconnaître ces personnages modestes et pitoyables mais parfois lumineux qui ne m’ont pas quitté depuis l’enfance…

Pierre Vidal

Crédit photo : France Bleu.fr

Catalogne : Enfin le drapeau blanc !

credit : el Periodico de Catalunya

Il y a 35 ans, pour le compte de mon employeur, je montais une filiale à Igualda, petite bourgade industrielle, située entre Barcelone et Lerida. Il y a 35 ans, je découvrais que toute la population parlait une langue nouvelle pour moi : le catalan. Si j’arrivais à imposer l’espagnol dans les conversations, c’était uniquement accepté parce que j’étais français.

Les Catalans d’alors n’aimaient pas Madrid. De vieilles blessures nombreuses : la proclamation d’indépendance du « Président » Companys, le 6 octobre 1934, qui ne dura qu’une demi-journée. La volonté de vivre en république et non sous l’emprise des Bourbons, symbole de la perte lointaine d’indépendance du pays catalan, il y a plusieurs siècles déjà. La guerre civile espagnole qui se termine dans le réduit catalan. La fuite des élites. La main de fer franquiste qui tombe sur une Catalogne qui a osé lui tenir tête. L’anarchisme viscéral d’une partie de la population d’alors, source d’inspiration pour la CUP, d’aujourd’hui. Un tableau compliqué à comprendre.

Et Madrid, la royale, idéalement placée au centre des régions qui composent l’Espagne. Madrid l’orgueilleuse vers laquelle tout conduit. Madrid qui ne veut pas traiter d’égal à égal avec Barcelone. Pourtant, les deux villes ont la même taille de population : environ 3 millions d’habitants. Madrid qui met en place des statuts d’autonomie dans de nombreuses régions mais au fonctionnement chaque fois différent. Comme si l’organisation territoriale de la région Bretagne, Nouvelle Aquitaine et Occitanie devaient différer. Source de contentieux.

Madrid, qui sous Zapatero, passe un contrat fiscal favorable au Pays Basque et n’en fait pas de même pour la Catalogne. En schématisant : Victoria (capitale administrative du Pays Basque) préleve l’impôt et ne reverse à Madrid qu’un cote-part agrée pour les dépenses « nationales » pendant que Barcelone prélève l’impôt, reverse le tout à Madrid qui renvoie à Barcelone ce qu’elle pense lui devoir. Une simplification de présentation, pour un sujet complexe qui est l’une des sources majeurs du malentendu Barcelone-Madrid.

Traversée des Pyrénées 2013 : Refuge des Cortalets, au pied du Canigou. Le pic est un symbole pour toute la population catalane qui voit le Canigou depuis loin en Catalogne (espagnole). Il faut le gravir et y dresser l’estelada (drapeau catalan). A ma table, au refuge, une vingtaine de catalans espagnols, de Barcelone et ailleurs. Les enfants sont habillés aux couleurs de l’estelada. La rancoeur contre Madrid est à fleur de peau. Mon interlocuteur reviens, sans cesse, sur Madrid qui a un « pacte financier » injustifié, inacceptable, étouffant pour la Catalogne. Chauffé à blanc par la presse locale, il cite des chiffres impressionnants. Comment faire la part des choses ? Qui sait réellement l’état du déséquilibre fiscal entre Madrid et Barcelone ?

Election au Parlament de Barcelone en juin 2015 : Les indépendantistes obtiennent la majorité des sièges (72) mais pas la majorité absolue des voix (47,8%). Le découpage électoral favorise les zones rurales qui sont plus ancrée dans l’idée d’une Catalogne indépendante alors que les villes, et Barcelone en particulier, sont plus « unionistes ». La représentation au Parlement refléterait mal l’opinion publique qui serait partisan de rester dans le giron de l’Espagne. (A noter en la matière, la quasi absence de sondage sur le sujet de l’indépendance catalane alors que lors du référendum écossais, il n’y avait pas une journée sans que des sondages d’opinion ne soient publiés ! Etrange.)

Vacances du côté de Gérone 2015 : l’estelada inonde toujours plus la Catalogne. L’Espagne est absente du territoire. La guerre des drapeaux est perdue. La Guardia civile est cantonnée dans quelques villes. Les Mossos assurent la sécurité. L’intensité du problème gonfle. Madrid ne bouge pas. Madrid a tord.

Le Président de la Generalitat, Artur Mas, poursuivi par la justice pour corruption, cède sa place à Carles Puigdemont qui avec une majorité hétéroclite (droite catalane+extreme gauche) met en place le référendum d’indépendance interdit par Madrid. Il a lieu le 1er octobre. Résultat : 90,18 % pour l’indépendance (source : la Generalitat)

Pendant ce temps, Mariano Rajoy, le chef du gouvernement espagnol, reste impassible. Il bombe le torse et annonce que seule la loi et la constitution doivent s’appliquer. Des centaines de milliers de catalans manifestent à Barcelone. M. Rajoy leur répond sans sourciller : « la loi, rien que la loi ». Un Rajoy qui n’a rien fait pour prévenir une situation qui se détériore depuis des années. Un Rajoy dont le parti populaire ne pèse plus que 7 ou 8% parmi l’électorat catalan. Un Rajoy à qui les catalans – mais aussi bien d’autres espagnols – attribuent volontiers le qualificatif de fasciste. Mal aimé, ne gouverne t-il pas en minorité ? Une position qui ne simplifie pas sa marge de manoeuvre à Madrid.

Le blocage est complet : Esteladas (drapeau catalan) en Catalogne contre Rojigualda (drapeau espagnol) dans le reste du pays. Populisme contre nationalisme. La nausée.

La nausée jusqu’à ce jour, samedi 7 octobre, où des dizaines de milliers de citoyens espagnols et catalans sont sortis de chez eux pour aller manifester, habillés en blanc, sous le slogan « Parlem – Hablamos ». Reste à voir si Mariano et Carles sont capables de s’asseoir autour d’une table. Rien n’est moins sur.

Bernard Boutin

Estelada au sommet du « Canigou »
Estelada sur la « Pica d’Estats » (plus haut sommet de Catalogne)

Espagne : Le changement, c’est demain !

Congreso_de_los_Diputados-pagina_web-asedio-25A-Anonymous_MDSIMA20130425_0095_13Dimanche 20 décembre, les Espagnols votent pour renouveler leurs représentants aux « Congreso de los Diputados », la Chambre des 350 députés espagnols.

Traditionnellement, depuis l’adoption de la nouvelle constitution à la mort de Franco en 1977, il appartient au parti qui a remporté le plus de sièges de mettre en place le nouveau gouvernement. Le Président du gouvernement devrait donc être soit le Président du PP (Parti Populaire), soit le secrétaire général du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol). Lors des élections de 2011, le PP avait raflé la mise avec 186 sièges (majorité absolue à 176). Le PSOE avait du se contenter de 110 sièges. Le reste des sièges allant à des partis régionaux ou nationalistes. En 2016, tout va changer.

Au cours des dernières années, le mouvement des indignés, le développement des réseaux sociaux, la volonté indépendantiste de l’autonomie catalane, la crise économique et l’explosion du chômage ont bouleversé complètement la donne politique. Résultat : Dans la campagne électorale actuelle, deux nouvelles « têtes », accompagnées d’un nombre important de députés, sont en passe de rentrer au Parlement de Madrid. Demain, ni le PP, ni le PSOE vont pouvoir gouverner seul. Le temps des coalitions arrive. En Espagne, il y a eu un avant 1977 et un après 1977. Il y aura maintenant un avant 2015 et un après 2015.

Le mouvement de indignés a débouché sur l’apparition de PODEMOS et son leader Pablo Iglesias, reconnaissable entre autre à sa queue de cheval, attribut rare en politique ! Un homme charismatique, simple, transversal allant jusqu’à offrir des livres au Roi lors de sa venue au Parlement Européen. Son positionnement le situe à la gauche du PSOE et mord très largement dans son électorat. La nébuleuse* de PODEMOS est créditée, dans le dernier sondage du CIS (Centro de Investigaciones Sociológicas) de 45 à 49 sièges contre 77 à 89 pour le PSOE, dirigé actuellement par Pedro Sánchez. Une addition de voix cependant insuffisante pour atteindre la majorité de 176 voix pour gouverner.

L’autre leader, apparu en octobre 2014 dans les sondages, est centriste : Albert Rivera. Son parti CIUDADANOS s’intercale entre le PSOE et le PP. Lancé en Catalogne, CIUDADANOS, prône l’union entre Catalogne et Espagne. Aux dernières élections régionales catalanes, le 27 septembre 2015, CIUDADANOS est devenu le premier parti d’opposition au Parlement catalan. Un succès qui a marqué les esprits. Si vite, si haut.

Albert Riviera et Iglesias, 35 et 36 ans, rajeunissent** singulièrement le paysage politique espagnol. Ils ont en commun un combat fort : la lutte contre la corruption qui a gangrené au fil du temps les deux poids lourds de la politique : le PP et le PSOE (et accessoirement la Generalitat catalane).

CIUDADANOS est crédité de 63 à 66 sièges dans le futur parlement espagnol. Un nombre de sièges absolument nécessaire tant pour le PP comme pour le PSOE afin de gouverner. A quel parti, Albert Rivera souhaitera t’il se joindre ? Une question sans réponse à ce jour.

Demain, le jeune Président de CIUDADANOS, centriste mesuré, sera idéalement placé pour faire ou défaire le prochain Président du gouvernement espagnol.

– par Bernard Boutin

* La nébuleuse de PODEMOS : Podemos, Compromis, En Comu Podem et En Marea
** L’incroyable rajeunissement de la classe politique espagnole:
PSOE : Pedro Sánchez, né à Madrid en 1972 : 43 ans
CIUDADANOS : Albert Rivera, né à Barcelone en 1979 : 36 ans
PODEMOS : Pablo Iglesias, né à Madrid en 1978 : 35 ans
PP : Mariano Rajoy né à St Jacques de Compostelle en 55 : 60 ans