Croyants et non croyants, chacun à sa manière, se retrouvent dans la même prière :
«Energie qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié
que ton règne vienne.
Donne nous «notre plein» de ce jour.»
Certains, plus écologistes, ajoutent :
«mais délivre nous de la tentation de ce mal pour des siècles et des siècles.»
C’est une profonde recomposition du religieux qui se joue aujourd’hui, entraînée par la connexion de l’individu à un monde globalisé. Chacun croise désormais une multitude de cultures et de religions qui peuvent être, entre autres, en contradiction les unes avec les autres ; ce qui pose problème quant à la plausibilité de leur vérité.
En réaction à ce croisement culturel généralisé on assiste à l’émergence d’un mythe, celui d’une tradition primordiale disparue, dont toutes les religiosités contemporaines porteraient trace : le point de rencontre en quelque sorte.
Les grands monothéismes n’apportent plus de bonnes réponses car ils ont émergé à une époque ou la terre était plate, au centre du monde, le ciel immobile… La notion
d’infini était négative, associée au hasard, aux épidémies, à l’horreur… à une nature effrayante. Construire une cité, tracer ses murs, c’était créer un environnement régulé,
fini et rassurant.
Nous expérimentons aujourd’hui l’inverse ; nous savons que nous vivons sur un globe fini, et qui peut mal finir ! La rationalité fait peur, la ville devient menaçante, le diable est en costume-cravate… Et la nature fait l’objet d’un culte. L’infini devient une valeur positive, dont la complexité et la diversité sont l’expression ; diversité qu’il faut
absolument maintenir.
Globalement les religions classiques s’affaiblissent car elles perdent leur unité : de nombreuses fractures les pulvérisent en schismes, elles se transforment en groupes modérés prêts à évoluer alors que d’autres, purs et durs, refusent tout compromis. On continue bien à s’intéresser à la Bible mais d’un point de vue culturel; hélas, les résultats des découvertes contredisent souvent les écrits !
Serait-ce la fin du religieux ?
Absolument pas, la structure religieuse n’a jamais cessé d’exister ; elle est particulièrement enracinée chez l’être humain. L’homme est un mythomane. Depuis quelques décennies on assiste à une forme de recomposition religieuse, pas à une disparition. Cette nouvelle religion établit un lien entre l’individu et l’Univers.
«Le culte de l’énergie a remplacé celui de Dieu.» – Raphaël Liogier, sociologue des religions.
Pour les croyants, Dieu est le grand souffle primordial, l’énergie cosmique; il éclairele monde, il est la Lumière, il est l’astre. Il a donné l’impulsion de départ à la vie terrestre. L’énergie est partout, en tout, et englobe tout dans l’Univers. Cette énergie créatrice a un but. Elle fait croître les plantes, vivre les animaux et agir les êtres humains. Elle est présente en nous, en toutes choses, en nos actes, en nos pensées. La peur de la mort, de la disparition définitive, est «insupportable» donc «impossible»!
Les non-croyants reprennent volontiers cette approche de l’énergie, mais sans y mettre un autre nom ni une finalité. Pour eux, l’énergie est l’essence même de l’univers, comme le montre la célèbre équation d’Einstein E=mc² décrivant l’équivalence masse-énergie. Dans la nature, la lutte pour la survie est une
compétition entre des systèmes vivants cherchant à s’assurer un apport continud’énergie utile. Rien n’est prévu d’avance. L’exubérance créatrice n’est pas
seulement en amont mais permanente, de l’amont vers l’aval ; l’homme culturel définit lui-même son objectif, c’est-à-dire l’humanisme.
La mort n’est pas une disparition, c’est une recréation en puissance!
Ce «culte» de l’énergie serait-il la résurgence actualisée du culte du soleil? Serions-nous les descendants spirituels des Egyptiens ou des Aztèques?
Un fait est certain, ce nouveau culte est, de loin, celui qui est le plus suivi dans le monde ; on trouve des adeptes dans tous les pays, dans toutes les religions, dans toutesles politiques…
Comme dans tout hommage à une divinité, il y a des dogmes, au premier rang desquels on trouve le mouvement, la fluidité, la connectivité, la production, la
consommation. Ce qui est négatif c’est le blocage, l’immobilité. Positif en revanche : le brut, l’authentique, ce qui est potentiellement transformable! La manière de vivre
intègre ce mouvement, c’est l’expérience. Il faut multiplier, accumuler les expériences.
Ce n’est plus la transcendance qui donne un sens à la vie, c’est la mobilité.
« La fascination immobilise, l’immobilité fascine; mon corps exige marche, action, agitation parfois. Libre, ma chair ne cesse de danser selon le pouls, le coeur, lesouffle, l’amour, l’inspiration. La vie bouge; même quand je dors, je frémis. L’aise frissonne. La cruauté sociale ne connaît que deux supplices: la mort et l’enchaînement, double mode d’immobilité » M.Serres
La vérité énergétique est en nous. La terre vue d’en haut est une fourmilière où tout s’agite, dans tous les sens, de plus en plus vite, laissant échapper des nuages de polluants. La grosse différence est que le résultat global de cette apparente agitation est positive pour la fourmilière, pas pour l’homme. A la radio, dans les films, à la télé, on parle de plus en plus vite, on passe, sans aucun rapport de continuité, d’un sujet à un autre ; les invités ne sont là que pour répondre en quelques secondes à un sujet majeur ! Le temps presse !! Ne vous énervez surtout pas car c’est très mal vu: « on fait notre métier !!» Dans les entreprises, on s’agite; il faut faire croire, souvent, qu’on est actif donc efficace ! Les nouveaux rites impliquent de communiquer à tout prix, tout le temps, avec le maximum d’autres fidèles. Tout ralentissement risque de fairesurgir le mal: la censure, les frontières, la clôture, la loi, l’intériorité, la matérialité, la centralité, l’individualité, le corps…»
Comme dans toutes les religions, les tendances intégristes et radicales s’efforcentd’imposer aux autres, par la force parfois, leur vision anachronique, extrémiste et destructrice : on évoque par exemple, la croissance infinie !
« Par la dispersion des ordures matérielles et sensorielles nous effaçons la beauté du monde » Michel Serres
Les ritualisations modernes ne passent plus nécessairement par les anciennes églises. Elles sont dans les meetings, les entreprises, les places boursières, les réseaux sociaux, etc. On les retrouve aussi dans la symbolique du feu, les expositions du corps dans la nature, le sport, la volonté d’exploitation pour la production de chaleur ou d’électricité.
On veut être heureux ici et maintenant, pas dans un au-delà ni dans une vie future.
Les obstacles entre croyants entre eux, entre croyants et athés, sont encore importants ; la reconnaissance de l’omniprésence de l’énergie, son côté positif,
bénéfique, surtout utilisée avec modération, est unanimement accepté. Souhaitons que cette convergence devienne la possibilité d’un «vivre ensemble» apaisé, au moins dans notre vie sur terre.
– par Georges Vallet
Crédit photosc: novitche.blogspot.com