Le sourire de Madame L.

Étant Palois, ma banque se trouve dans l’agglomération. L’autre jour en me rendant à l’agence dont je dépends, Madame L. chargée de l’accueil avait triste mine. Son sourire habituel n’était pas au rendez-vous. Elle m’apprit que très prochainement, son poste allait être supprimé.

Cette banque qui est sans doute une des plus puissantes du pays a décidé de se tourner vers le numérique. Toutes les opérations que je pouvais faire auparavant au guichet devront se faire en ligne. Finies les commandes de chéquier, par exemple en se rendant à l’agence, le renouvellement de la carte bancaire se fera par voie postale etc. Pour obtenir une rendez-vous avec une ou un conseiller, il faudra passer par internet. Oui par internet plutôt que par téléphone parce que si vous utilisez ce moyen, la communication sera non seulement payante, mais il vous faudra taper 1 ou 2 ou 3 selon votre intention et si vous désirez avoir un interlocuteur, ce sera encore plus long et plus cher.

Alors si je prends l’exemple de ma banque c’est parce que je ne comprends pas bien pourquoi cette évolution à un moment où les bénéfices des banques progressent, et où le dividendes qu’elles versent n’ont jamais été aussi élevés. J’ai du mal à croire qu’il faille encore augmenter ces chiffres. Et pourtant, j’ai appris que tandis que le bénéfice net est de 2,81 milliards d’euros pour 2018, à l’horizon 2020 cette banque, la Société Générale, envisage la suppression de 300 agences et de 900 emplois. J’observe également que les frais bancaires qui me sont prélevés sont aussi en augmentation constante.

J’ai parmi mes relations deux banquiers, l’un est en retraite et juge que les banques sont insatiables et qu’il leur faut toujours augmenter les bénéfices. Il ajoute que durant sa carrière il n’avait jamais constaté une telle avidité. L’autre encore en activité m’explique que les taux d’intérêt étant devenus historiquement bas, il faut bien aux banques trouver des moyens de gagner de l’argent. Ce dernier se soucie bien peu du cas des personnes âgées qui, dépourvues de moyens informatiques, ne pourront se débrouiller seules et faire connaître leurs besoins. C’est ainsi affirme-t-il de manière péremptoire, c’est l’évolution de notre société. Le côté humain lui échappe et il assume.

Belle évolution en effet. Ce n’est pas tant que cela me pose un problème insurmontable de m’adapter, du moins à mon niveau, à cette nouvelle manière de faire, mais cela correspond à une forme de déshumanisation de notre vivre ensemble. Ils parlent, ceux qui emploient les bons termes, de dématérialisation. A l’évidence ce sera quand il n’y aura plus de Madame L. pour vous sourire. Une société froide et sans âme.

Pau, le 2 janvier 2019

par Joël Braud

Où il y a excès de force, il y a oppression d’autrui. (Proverbe mandchou)

La digitalisation des services publics, comme privés, avance à marche forcée. Demander une carte grise, une bourse scolaire, s’inscrire à Pôle emploi, remplir sa déclaration d’impôts… est déjà possible, parfois obligatoire.

Dans les chaînes des opérations administratives, commerciales, financières, recherches d’info…, bientôt dans le diagnostic et la thérapeutique,…

l’homme devient hors d’atteinte, transparent, invisible.

Ce devrait être, nous dit-on, une amélioration formidable de la vie des usagers: finis les files d’attente, l’incompatibilité des horaires des guichets, opérations administratives simplifiées, accès facilités à l’information…, aux achats,…, aux relations…, un gain de temps ainsi généré pour travailler plus peut-être, donc réduire la pauvreté, espérons les inégalités, sans compter la disparition de bien des erreurs humaines du fait d’une technologie qui ne peut pas se tromper, par définition (sauf ceux qui la manipulent !).

Ce serait une source d’économies potentielles importantes car cela permettrait de nombreuses suppressions d’emplois, des baisses de charges sociales…, merveilleux !

Engagez-vous : numérisez, dématérialisez, qu’ils disaient !

Malheureusement, si les aspects mis en avant sont largement positifs pour les uns, allons !, la majorité, ce n’est pas aussi idyllique pour les autres, les inadaptés, les sans-grade. Non seulement le numérique a bouleversé la structure sociale humaine, fait perdre des repères, modifié en profondeur notre manière d’interagir entre nous, mais il a mis fin aux relations humaines de proximité, tout ce qui fait l’essence même d’une espèce sociale.

Le 0 et le 1, peu affectifs, deviennent nos interlocuteurs obligatoires.

Les retombées négatives, nombreuses, sont négligeables pour la politique dominante :

+A la suppression de très nombreux emplois (flexi), la formation rémunérée du personnel exclu, à d’autres qualifications, ne semble pas encore au point (sécurité). Comme il est inconcevable de réduire les heures de travail ou de payer des gens sans emploi, on a favorisé une masse de contraintes chronophages paralysantes et de nombreux nouveaux boulots, très fortement rémunérés, qui ne servent à rien, nuisibles même.

Béatrice Hibou, directrice de recherche, spécialisée en économie politique au CNRS, constate, et elle est loin d’être la seule, une bureaucratisation accélérée du monde du travail : «Même nous, les chercheurs, on passe plus de temps à remplir des formulaires, à se conformer à des procédures, à s’envoyer des e-mails dans tous les sens pour prendre des décisions, qu’à vraiment faire de la recherche», regrette-t-elle.

David Graeber, évoqué dans Sud Ouest, soutient :

«plus un travail est utile à la société moins bien il est payé»

Absurdes et vides de sens : ces jobs d’enfer – Le Monde

https://www.lemonde.fr/m…/dans-l-enfer-des-jobs-a-la-con_4907069_4497916.html

«Qui sait à quoi consacre ses journées un consultant en concertation ? Et un chief of happiness officer («responsable du bonheur» dans une entreprise) ? Ou encore le manageur du management ?»

Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, or,

«Tu fais quoi dans la vie ?» Leur réponse, des tentatives d’explications mâtinées d’anglicismes, eux-mêmes imbriqués dans un langage commercio-managérial, est généralement suivie d’un grand silence» et incompréhensibles.

Quel est l’intérêt, et quel gaspillage, de payer un travail qui consiste à interroger les résidents d’une maison de retraite sur leurs préférences en matière d’activité sachant qu’il n’est absolument pas question de mettre quoi que ce soit en place ? A quoi servent les «experts politiques, conseillers financiers et commerciaux, tous ces gens des fondations, des laboratoires spécialisés, souvent lobbyistes, qui a longueur de temps nous disent ce qu’il faut faire, prédisent l’avenir selon eux !

Et enfin, il y a les « petits chefs incompétents » supposés servir de support au chef d’entreprise, en réalité nuisibles car ils se chargent de créer des tâches inutiles ou des ordres inappropriés qu’ils donnent à des subalternes souvent bien plus expérimentés.

+L’impact sur l’environnement, la pollution, l’effet de serre, n’est jamais évoqué, pourtant :

La production croissante du matériel numérique et son utilisation intensive entraîne une consommation vertigineuse d’énergie électrique.

Comme l’explique Richard Ferrère informaticien du laboratoire de mathématiques de l’Université de Besançon :

« Derrière un clic, il y a toute une infrastructure que l’on ne voit pas, des appareils, des réseaux bien matériels que la magie de l’immédiateté et la taille réduite des objets ont fait oublier. Un data center moyen consomme près de quatre mégawatts par heure».

Des bateaux câbliers posent des millions de km de câbles au fond des océans : Inox, cuivre, polyéthylène, plastique…, ils participent à l’élaboration de ces fibres optiques, ainsi que les GES produits !

Outre les impacts directs sur l’environnement comme les excavations de grandes quantités de terre, le défrichage de sols, l’élimination de la végétation et la destruction des terres fertiles, cette course aux matières premières a des conséquences humaines et sanitaires désastreuses (guerres pour le contrôle des ressources…)

Le coltan utilisé dans les téléphones portables passe par des compagnies minières hors la loi et vendu à Nokia, Motorolla, Sony, Siemens…(L’échappée 2008).

En bout de chaîne de destruction des déchets, les enfants et les femmes sont exposés sans protection aux vapeurs toxiques des métaux lourds et des dioxines émises par le brûlage des déchets.

C’est actuellement ce qu’on est prêts à accepter pour pouvoir supprimer des emplois.

On préfère notre bourse à la vie des pauvres, en Afrique ou ailleurs.

+Il y a aussi un aspect financier non négligeable ; tout le monde ne peut pas se payer le matériel numérique qui se renouvelle sans cesse ; ces achats se font, pour beaucoup, au détriment de l’alimentation ; elle devient une malbouffe déséquilibrée du type sandwich, restauration rapide ou plats industrialisés (obésité, diabète).

Pour le fonctionnement il faut être capable de gérer non seulement les abonnements, taxes… et le fonctionnement normal des appareils mais aussi les nombreuses anomalies qui ne manquent pas de survenir, se méfier des dangers consécutifs à des réponses imprudentes dans bien des domaines, faire face aux déviances dangereuses pour les jeunes, et parfois les adultes aussi, à la protection des données, considérer le temps nécessaire, souvent de plusieurs jours, au dépannage par la famille ou les professionnels (dépenses supplémentaires).

+La fracture numérique n’est pas imaginaire, elle fait partie des injustices ; la différence entre les territoires, quant à l’accès aux services attendus est une réalité.

+La fracture sociale, autre injustice, est évoquée dans «Valeurs mutualistes, magazine des adhérents au groupe MGEN».

Selon le baromètre du numérique 2016, 15% environ de la population se dit dans l’incapacité de déclarer ses revenus, de télécharger ou de remplir un formulaire en ligne. Le numérique redouble alors la complexité des démarches à faire.

Une récente étude de France Stratégie estime que 14 millions de Français soit 28% de la population, sont «éloignés du numérique», qu’ils soient «non-internautes» ou «internautes distants». Pétitions, contributions, consultations publiques, informations…tous ces nouveaux modes de participation à la vie citoyenne deviennent hors de portée de bien de nos concitoyens

L’illectronisme devient une nouvelle exclusion sociale.

Pour Laurence Allard, sociologue des usages numériques et chercheuse à à l’IRCV-Paris 3 «Ce néologisme, équivalent de l’illétrisme pour le numérique, implique de définir une panoplie très large de connaissances et d’aptitudes à avoir, ce qui est compliqué lorsque de nouveaux usages émergent sans cesse!»

Si le phénomène touche davantage les non-diplômés, les ruraux, les personnes isolées, ou ayant des bas revenus, les jeunes générations, surtout en difficulté d’insertion, à l’aise sur les réseaux sociaux, rencontrent des difficultés quand il s’agit de mettre en œuvre des connaissances plus élaborées.

«Pour Pascal Plantard anthropologue de l’usage des TIC : «la fracture numérique est un révélateur des inégalités sociales et économiques qui résistent aux idéologies mouvantes et volatiles de la société de l’information.»

Une telle évolution ne surprend pas ; elle est conforme à la politique ambiante qui favorise ceux qui travaillent, ont la santé, les moyens intellectuels et financiers ;

ceux qui peuvent s’accrocher à la corde du système individualiste libéral.

Pourtant les abandonnés de la numérisation représentent une perte non négligeable pour le commerce: 19% des Français sont considérés comme «abandonnistes» et 55% d’entre eux renoncent à des achats ou des démarches liées aux loisirs.

Une solution raisonnable, indispensable au minimum, est fournie par le défenseur des Droits, Jacques Toubon ; il demande que les services publics offrent une alternative humaine à la numérisation des démarches administratives.

Services publics et numérique. Jacques Toubon : « Je demande une …

https://www.notretemps.com/…/services-publics-et-numerique-jaques-toubon-je-dema…

signé Georges Vallet

crédits photos:essentiel-santé-magazine.fr

Ode au numérique

3d_sans_lunettesLa livraison de la semaine passée sur ce site est exceptionnelle. D’une part en raison de contrastes saisissants, d’autre part en raison de l’attention portée à un sujet qui n’est pas spécialement local, le numérique.

Pour ce qui est des contrastes, on constate que c’est un ancien commissaire qui fustige la police en épinglant plusieurs affaires récentes et un autre contributeur qui a connu la douceur des «bidules», ces longues matraques que maniaient les « forces de l’ordre » lors de grandes manifestations pacifistes (6 morts au métro Charonne) qui prend la défense de la police. Maintenant, c’est un nul en informatique qui entreprend une défense et illustration du numérique alors qu’Oscar, le maître d’œuvre du passage du site en une nouvelle formule et l’expert de l’internet qui souligne les dangers de la numérisation envahissante de nos sociétés.

Oscar n’a pas tort de montrer les dangers de ce changement. Comme la révolution industrielle porteuse de bien être, mais qui a apporté la pollution, le travail à la chaîne, le chômage de masse, l’abrutissement de bien des travailleurs, la révolution numérique a ses contreparties. Au nombre desquelles on peut ranger le délitement des rapports personnels, les troubles du rythme circadien pour les personnes addictives à l’écran, la mondialisation des échanges. Sans compter la surveillance illégale, la perte de souveraineté, le piratage des droits d’auteur et des comptes bancaires, la propagation de virus. On peut se demander si le monde virtuel ne connaîtra pas des épidémies comme l’humanité en a connu avec la peste et le choléra.

Mais je voudrais peindre un tableau plus revigorant. En commençant par souligner une initiative locale, celle d’une équipe de gens d’horizons divers installée à Hélioparc qui se propose de promouvoir le numérique dans le piémont pyrénéen occidental. Parmi cette équipe se trouve notre contributeur Emmanuel Pène. Il serait naturel qu’après la presse locale, notre site publie un reportage sur cette initiative qui peut avoir un impact notable sur l’économie régionale.

Des sites nationaux peuvent aussi avoir un impact de cet ordre. Je viens d’en faire l’expérience avec deux catégories d’artisans que j’ai pu faire venir très rapidement en cette période estivale grâce à un site proposant jusqu’à 5 devis émanant d’artisans locaux. Leur travail me paraît sérieux et leurs tarifs raisonnables. Voilà de quoi redonner du travail aux Français et aider à sortir de la stagnation. 123 partez si vous avez des réparations ou des aménagements que vous différez!

Il a été question ici de blablacar et d’autres sites de covoiturage. Il n’est pas niable qu’il s’agit d’un moyen de réduire l’usage immodéré de la voiture, de partager une ressource avec celles et ceux qui n’en disposent pas, voire d’enrichir des rapports sociaux. Les contreparties signalées me paraissent minimes en comparaison des avantages. Fustiger les écologistes (et plus largement les politiques) de ne pas avoir vu venir cette mutation ne me paraît pas justifié. D’une part parce que les écologistes ont toujours prôné le recours à d’autres modes de transport et d’utilisation de l’énergie. D’autre part parce que l’on ne peut faire grief aux politiques de ne pas savoir trier dans la masse énorme des innovations et des brevets. Il n’est pas évident de savoir à l’avance ce qui sera accueilli avec succès par la société et ce qui sera rejeté. En revanche, être à l’affût de ces changements et à l’écoute de celles et ceux qui les portent et évaluent les nouveaux besoins fait évidemment partie de leurs missions.

Au-delà de cette écoute figure la persévérance dans le soutien à ces initiatives. C’est à cette aune qu’il faut considérer l’appui donné par les précédentes municipalités et instances locales au projet de cité multimédia, aux pôles de compétitivité comme Aerospace Valley. La reconversion de la poste, notamment en milieu rural doit aussi être un sujet d’attention.

Reste la contribution à l’indice de bonheur prôné par quelques (encore rares) économistes. Le bonheur est difficile à définir et encore plus à mesurer, certes. Mais la possibilité de diffuser rapidement des conseils, des informations ou des avertissements peut s’avérer précieuse. Je pense qu’en matière d’alimentation, de santé, de prévision d’événements météorologiques graves les techniques modernes sont des atouts considérables. Elles peuvent aussi jouer un rôle en matière de solidarité et de justice. Des sites comme Avaaz ou Change ont obtenu des résultats notables grâce à internet, ce n’est pas douteux.

Je ne peux pas laisser oublier dans ce débat le plan affectif. Certes, dans le passé, des efforts ont été déployés pour faire au mieux avec les techniques anciennes. La nouvelle publication des lettres de Louis Pergaud, l’auteur de «La guerre des boutons» à sa Delphine (parfois plusieurs fois par jour) est un exemple émouvant de ce qu’a pu faire il y a un siècle la poste aux armées dans une guerre d’obus plutôt que de boutons. Mais, aujourd’hui, pauvre Pierrot un peu manchot qui a laissé partir sa Colombine à l’autre bout du monde, a la joie au cœur de l’avoir entendue sur son téléphone futé (smart) et d’espérer que demain il la retrouvera sur Skype. Et quels parents ou grands-parents, même ignorants des problèmes posés par la compression d’images et de données ne se réjouissent pas de rester à l’écoute de leurs proches et de voir leur solitude desserrée ?

– Jean-Paul Penot

Le numérique : Miracle ou Mirage ?

GV Capture Puisque le sujet est dans le vent de notre actualité alternative, je livre un texte mis en attente depuis pas mal de mois; une contribution de plus au débat.

Avec le numérique, l’individu se ré-approprierait sa vie, choisirait ses relations sociales, pourrait faire des révolutions ! Ne dépendrait plus de son environnement immédiat, disposerait de plus en plus de temps libre. L’espoir du monde médical serait infini, pour son intérêt et celui des patients. Grâce aux satellites et robots, l’observation, la connaissance et l’exploitation de l’Univers est en vue. Avec Internet, nous pouvons déjà commander nos billets de train en ligne sans avoir à aller à la gare, nous n’avons plus besoin de nous déplacer pour communiquer ; (aurons-nous toujours besoin d’aller à la gare ?), pour travailler même, pour chercher du travail (quand il y en aura !), faire nos achats, avoir un accès à l’actualité et trouver n’importe quelle information instantanément ; le téléphone portable permet de sauver des vies humaines…. et de remonter les pistes de coupables potentiels ! Les TIC vertes vont résoudre les problèmes écologiques; on va transformer l’homme dans toutes ses composantes: santé, intelligence, mémoire, immortalité.

Serait-ce le miracle du grand aboutissement de l’évolution humaine ?

«L’individu se réapproprierait sa vie,…» Merveilleux, si on ne pense pas au danger pour les jeunes, public mal protégé : addiction, pornographie, pédophilie, cyber intimidation, contenus violents et haineux, rumeurs, etc. Des suicides ont lieu. Les parents sont dépassés. 50% des médicaments vendus en ligne, sont contrefaits, selon l’OMS.

La cyberdéfense n’est pas fiable à 100% ! Des hackers chinois ont eu accès à 56 plans d’armes américaines en service ou des prototypes (Washington Post, 28 mai). Ajoutons le cyberespionage militaire, commercial, la disparition de la vie privée, etc.

Internet: Le monopole d’Etat sur les jeux a disparu en juin 2010. Trois ans après, les mises atteignent 9 milliards d’euros. Les Français jouent leur pouvoir d’achat dans les jeux en ligne. La croyance au miracle !

Cette technologie «fait gagner du temps», et transforme cette denrée rare en ressource abondante ! Plus le numérique gagne du terrain, plus le quotidien s’accélère; le rythme des vies devient une course folle, les actions se font dans l’urgence .«Nous n’avons plus de temps, alors même que nous en gagnons toujours plus, l‘accélération est devenue le nouveau visage de notre aliénation.» Hermut Rosa.

Les retombées sont considérables dans le monde du travail et le milieu familial.

En Europe, 54% des emplois sont menacés par la robotisation et l’automatisation des tâches (Institut Bruegel, think tank bruxellois) : emplois industriels, activités de services, notamment les postes administratifs, du fait de la progression des logiciels et de leur efficacité.

La déstabilisation de l’entreprise, de plus en plus gérée par le numérique, devient la norme: impossible de prévoir les techniques de production de demain. Il faut sans cesse innover, se renouveler sur des cycles de plus en plus courts. Cette réorganisation continuelle bouleverse les manières de produire ; la gestion capitaliste détruit continuellement ce qu’elle produit, pour produire autre chose. La spéculation des actionnaires à la milliseconde près ne permet plus à l’entreprise de connaître ses véritables ressources….

Les travailleurs doivent s’adapter, l’exigence de mobilité et de flexibilité les oblige à se plier à ces processus de précarisation.

Cette contrainte devient la ruine de la vie privée, la destruction de la famille par les séparations, le désarroi des enfants ; la santé physique et psychologique est de plus en plus alarmante : suicides, dépressions….

Notre fonctionnement mental et notre structure familiale ne parviennent plus à s’adapter. C’est la disjonction du biologique et du technologique qui se produit en attendant le transhumanisme.

L’école doit suivre cette nouvelle économie. Les savoirs instrumentaux et les compétences flexibles remplacent la culture émancipatrice et les connaissances nécessaires à la construction personnelle et à la vie en société. En fabriquant le travailleur-consommateur, les réformes vont dans le sens de ce que demande l’entreprise. Elles formatent plus qu’elles ne forment. Il s’agit de produire du «capital humain», clé de la réussite dans l’économie de l’immatériel.

Nicholas Carr dans son livre «Internet rend-il bête?» montre que le «multitasking» est antinomique de notre fonctionnement cérébral. Passer d’une activité à une autre coûte erreurs et temps. Les ressources cognitives sont happées par la gestion du processus ; les mécanismes d’apprentissage et de mémorisation sont altérés au niveau neuronal le plus basique. La crise du savoir-lire pourrait engendrer une crise cognitive et culturelle. C’est déjà le cas : distraits par la cacophonie ambiante, les jeunes n’ont ni envie ni la capacité d’aller au-delà d’une compréhension très superficielle des idées, des événements et des problématiques qui façonnent notre univers. Dans une classe, les élèves ont de plus en plus de mal à se concentrer ; il faut des enseignants faisant de véritables show ! De toute façon, tout ce dont l’élève aurait besoin est disponible en un clic ; pourquoi bon mémoriser ! Il suffit de produire des individus ayant une culture générale réduite. Le remplacement des livres par des versions numériques ne laissera plus aux élèves la possibilité de connaître d’autres univers que ceux produits par les marchands de bits.

Se cultiver, s’instruire, relève d’une démarche qui nécessite du temps , des repères, un certain engagement et même……des efforts ! Un vilain mot à l’heure où il faut rendre l’enseignement amusant, fun, mettre du ludique dans l’apprentissage du savoir et savoir-faire. Les industries du loisir pénètrent le système éducatif.

Internet est un marché : informations contre publicité. Quand un internaute clique sur un lien publicitaire, Google gagne de l’argent. Répété des millions de fois chaque seconde, ce sont dix milliards de dollars en 2011 ! Il est devenu la plus grande puissance mondiale !

En 2012, la vente en ligne est en hausse de 19%, au détriment du commerce de proximité. Les maires que l’on accuse d’incompétence dans la gestion des petits commerces n’y sont vraiment pas pour grand chose !

En 2030, Internet représentera 20% du PIB mondial ! La commission européenne ne s’y trompe pas, le développement des TIC est un des axes majeurs de sa stratégie.

Un 1er Ministre avait souligné qu’un quart de la croissance et des créations d’emplois en France se ferait dans le numérique.

Pour la commission, si ce secteur contribuerait bien à un quart de la croissance de l’Union européenne et à 40% de la hausse de productivité, il ne serait porteur que de….4%d’emplois ! Avec les emplois détruits en parallèle, c’est une bien mauvaise voie pour lutter contre le chômage !

Heureusement, il y a les TIC vertes ! Mais !

Une grande partie du matériel est fabriqué dans les pays émergents où l’économie est basée sur l’exploitation des travailleurs et le non respect de l’environnement.

On polluera moins car les autres pollueront plus !

Selon l’Ademe, 20 mails/jour/ personne, c’est, annuellement, des émissions de CO2 équivalentes à 1000 km parcourus en voiture ; les spams ont, en 2009, une empreinte carbone équivalente à celle de trois millions de voitures sur la route chaque année. Cinq milliards d’habitants possèdent des téléphones portables ; ils peuvent contenir 12 matériaux différents. La fabrication d’un ordinateur nécesssite 1500 litres d’eau, 240 kg de combustible fossile et 22 kgs de matériaux différents.

Les TIC vertes n’ont de vert que le nom !

Selon l’Ademe encore, la production annuelle moyenne de déchets d’équipements électriques et électroniques, par Français, s’élève entre 16 et 20 kg. Particulièrement polluants, ces DEEE se multiplient à mesure que la révolution numérique s’étend.

Nous rentrons dans le règne de l’illimité, l’imaginaire de la croissance et du progrès infini. «Les lignes de démarcation entre l’homme, l’ordinateur et l’environnement sont complètement artificielles et fictives» Gregory Bateson: «vers une écologie de l’esprit» Seuil 1977. Naturalisation de la technologie et artificialisation de la nature : plus rien ne permettra d’établir les frontières entre vivant et non vivant. Les limites entre corps biologiques et systèmes électroniques se brouillent.

«Il faudra dire demain où commence et s’arrête l’Homme» Daniel Kaplan.

«On peut envisager des créatures post-humaines» Nick Bostrom.

La réalité a rejoint la fiction !

Fini l’industrie de jadis ; inutile de chercher à la maintenir, il faut investir dans les projets de la Silicon Valley. Les NBIC sont en train de conquérir le monde ; le nouvelles technologies vont bouleverser l’économie ; Google investit sur la santé, la longévité, le nouvel homme ; pour la production d’HGM (humain génétiquement modifié), les projets pullulent comme le clonage reproductif qui permettrait, en s’affranchissant de la reproduction sexuée, de s’auto-engendrer.

Encore bien des défilés en perspective !

 

 

 

par Georges Vallet

 

crédit photos: webscience.blogs.usj.edu.lb