La digitalisation des services publics, comme privés, avance à marche forcée. Demander une carte grise, une bourse scolaire, s’inscrire à Pôle emploi, remplir sa déclaration d’impôts… est déjà possible, parfois obligatoire.
Dans les chaînes des opérations administratives, commerciales, financières, recherches d’info…, bientôt dans le diagnostic et la thérapeutique,…
l’homme devient hors d’atteinte, transparent, invisible.
Ce devrait être, nous dit-on, une amélioration formidable de la vie des usagers: finis les files d’attente, l’incompatibilité des horaires des guichets, opérations administratives simplifiées, accès facilités à l’information…, aux achats,…, aux relations…, un gain de temps ainsi généré pour travailler plus peut-être, donc réduire la pauvreté, espérons les inégalités, sans compter la disparition de bien des erreurs humaines du fait d’une technologie qui ne peut pas se tromper, par définition (sauf ceux qui la manipulent !).
Ce serait une source d’économies potentielles importantes car cela permettrait de nombreuses suppressions d’emplois, des baisses de charges sociales…, merveilleux !
Engagez-vous : numérisez, dématérialisez, qu’ils disaient !
Malheureusement, si les aspects mis en avant sont largement positifs pour les uns, allons !, la majorité, ce n’est pas aussi idyllique pour les autres, les inadaptés, les sans-grade. Non seulement le numérique a bouleversé la structure sociale humaine, fait perdre des repères, modifié en profondeur notre manière d’interagir entre nous, mais il a mis fin aux relations humaines de proximité, tout ce qui fait l’essence même d’une espèce sociale.
Le 0 et le 1, peu affectifs, deviennent nos interlocuteurs obligatoires.
Les retombées négatives, nombreuses, sont négligeables pour la politique dominante :
+A la suppression de très nombreux emplois (flexi), la formation rémunérée du personnel exclu, à d’autres qualifications, ne semble pas encore au point (sécurité). Comme il est inconcevable de réduire les heures de travail ou de payer des gens sans emploi, on a favorisé une masse de contraintes chronophages paralysantes et de nombreux nouveaux boulots, très fortement rémunérés, qui ne servent à rien, nuisibles même.
Béatrice Hibou, directrice de recherche, spécialisée en économie politique au CNRS, constate, et elle est loin d’être la seule, une bureaucratisation accélérée du monde du travail : «Même nous, les chercheurs, on passe plus de temps à remplir des formulaires, à se conformer à des procédures, à s’envoyer des e-mails dans tous les sens pour prendre des décisions, qu’à vraiment faire de la recherche», regrette-t-elle.
David Graeber, évoqué dans Sud Ouest, soutient :
«plus un travail est utile à la société moins bien il est payé»
Absurdes et vides de sens : ces jobs d’enfer – Le Monde
https://www.lemonde.fr/m…/dans-l-enfer-des-jobs-a-la-con_4907069_4497916.html
«Qui sait à quoi consacre ses journées un consultant en concertation ? Et un chief of happiness officer («responsable du bonheur» dans une entreprise) ? Ou encore le manageur du management ?»
Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, or,
«Tu fais quoi dans la vie ?» Leur réponse, des tentatives d’explications mâtinées d’anglicismes, eux-mêmes imbriqués dans un langage commercio-managérial, est généralement suivie d’un grand silence» et incompréhensibles.
Quel est l’intérêt, et quel gaspillage, de payer un travail qui consiste à interroger les résidents d’une maison de retraite sur leurs préférences en matière d’activité sachant qu’il n’est absolument pas question de mettre quoi que ce soit en place ? A quoi servent les «experts politiques, conseillers financiers et commerciaux, tous ces gens des fondations, des laboratoires spécialisés, souvent lobbyistes, qui a longueur de temps nous disent ce qu’il faut faire, prédisent l’avenir selon eux !
Et enfin, il y a les « petits chefs incompétents » supposés servir de support au chef d’entreprise, en réalité nuisibles car ils se chargent de créer des tâches inutiles ou des ordres inappropriés qu’ils donnent à des subalternes souvent bien plus expérimentés.
+L’impact sur l’environnement, la pollution, l’effet de serre, n’est jamais évoqué, pourtant :
La production croissante du matériel numérique et son utilisation intensive entraîne une consommation vertigineuse d’énergie électrique.
Comme l’explique Richard Ferrère informaticien du laboratoire de mathématiques de l’Université de Besançon :
« Derrière un clic, il y a toute une infrastructure que l’on ne voit pas, des appareils, des réseaux bien matériels que la magie de l’immédiateté et la taille réduite des objets ont fait oublier. Un data center moyen consomme près de quatre mégawatts par heure».
Des bateaux câbliers posent des millions de km de câbles au fond des océans : Inox, cuivre, polyéthylène, plastique…, ils participent à l’élaboration de ces fibres optiques, ainsi que les GES produits !
Outre les impacts directs sur l’environnement comme les excavations de grandes quantités de terre, le défrichage de sols, l’élimination de la végétation et la destruction des terres fertiles, cette course aux matières premières a des conséquences humaines et sanitaires désastreuses (guerres pour le contrôle des ressources…)
Le coltan utilisé dans les téléphones portables passe par des compagnies minières hors la loi et vendu à Nokia, Motorolla, Sony, Siemens…(L’échappée 2008).
En bout de chaîne de destruction des déchets, les enfants et les femmes sont exposés sans protection aux vapeurs toxiques des métaux lourds et des dioxines émises par le brûlage des déchets.
C’est actuellement ce qu’on est prêts à accepter pour pouvoir supprimer des emplois.
On préfère notre bourse à la vie des pauvres, en Afrique ou ailleurs.
+Il y a aussi un aspect financier non négligeable ; tout le monde ne peut pas se payer le matériel numérique qui se renouvelle sans cesse ; ces achats se font, pour beaucoup, au détriment de l’alimentation ; elle devient une malbouffe déséquilibrée du type sandwich, restauration rapide ou plats industrialisés (obésité, diabète).
Pour le fonctionnement il faut être capable de gérer non seulement les abonnements, taxes… et le fonctionnement normal des appareils mais aussi les nombreuses anomalies qui ne manquent pas de survenir, se méfier des dangers consécutifs à des réponses imprudentes dans bien des domaines, faire face aux déviances dangereuses pour les jeunes, et parfois les adultes aussi, à la protection des données, considérer le temps nécessaire, souvent de plusieurs jours, au dépannage par la famille ou les professionnels (dépenses supplémentaires).
+La fracture numérique n’est pas imaginaire, elle fait partie des injustices ; la différence entre les territoires, quant à l’accès aux services attendus est une réalité.
+La fracture sociale, autre injustice, est évoquée dans «Valeurs mutualistes, magazine des adhérents au groupe MGEN».
Selon le baromètre du numérique 2016, 15% environ de la population se dit dans l’incapacité de déclarer ses revenus, de télécharger ou de remplir un formulaire en ligne. Le numérique redouble alors la complexité des démarches à faire.
Une récente étude de France Stratégie estime que 14 millions de Français soit 28% de la population, sont «éloignés du numérique», qu’ils soient «non-internautes» ou «internautes distants». Pétitions, contributions, consultations publiques, informations…tous ces nouveaux modes de participation à la vie citoyenne deviennent hors de portée de bien de nos concitoyens
L’illectronisme devient une nouvelle exclusion sociale.
Pour Laurence Allard, sociologue des usages numériques et chercheuse à à l’IRCV-Paris 3 «Ce néologisme, équivalent de l’illétrisme pour le numérique, implique de définir une panoplie très large de connaissances et d’aptitudes à avoir, ce qui est compliqué lorsque de nouveaux usages émergent sans cesse!»
Si le phénomène touche davantage les non-diplômés, les ruraux, les personnes isolées, ou ayant des bas revenus, les jeunes générations, surtout en difficulté d’insertion, à l’aise sur les réseaux sociaux, rencontrent des difficultés quand il s’agit de mettre en œuvre des connaissances plus élaborées.
«Pour Pascal Plantard anthropologue de l’usage des TIC : «la fracture numérique est un révélateur des inégalités sociales et économiques qui résistent aux idéologies mouvantes et volatiles de la société de l’information.»
Une telle évolution ne surprend pas ; elle est conforme à la politique ambiante qui favorise ceux qui travaillent, ont la santé, les moyens intellectuels et financiers ;
ceux qui peuvent s’accrocher à la corde du système individualiste libéral.
Pourtant les abandonnés de la numérisation représentent une perte non négligeable pour le commerce: 19% des Français sont considérés comme «abandonnistes» et 55% d’entre eux renoncent à des achats ou des démarches liées aux loisirs.
Une solution raisonnable, indispensable au minimum, est fournie par le défenseur des Droits, Jacques Toubon ; il demande que les services publics offrent une alternative humaine à la numérisation des démarches administratives.
Services publics et numérique. Jacques Toubon : « Je demande une …
https://www.notretemps.com/…/services-publics-et-numerique-jaques-toubon-je-dema…
signé Georges Vallet
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