La poule et l’oeuf (ou alternativement)

L’œuf vient de la poule comme la poule vient de l’œuf. Mais une question véritablement existentielle s’incruste dans nos têtes dès que ce constat est posé. Oui, mais qui de l’œuf ou de la poule est venu le premier ? J’ai attendu que Noël qui est plutôt le temps des chapons, soit passé pour poser une question qui ne tarabuste pas que moi mais qui me hante à mesure que nous nous approchons de Pâques, une saison où les oeufs tendent à prendre le dessus

Supposons que tout ait commencé par la poule. Au commencement était la poule. Bien, mais d’où venait-elle ? Du néant mon bon Monsieur, diront les uns. La poule est une créature de Dieu diront les autres. La poule était un canard qui nageait mal dans une vie précédente, affirmeront d’autres encore. Pas facile de se faire une opinion. Et si c’était l’œuf ? Comme la poule il pourrait venir du néant mais plus facilement, sa forme aérodynamique s’y prêtant mieux. Il pourrait aussi avoir été directement créé par Dieu qui inventa également les omelettes, car l’omelette vient de l’œuf, plus personne ne le conteste. Ou avoir été bon élève dans une vie précédente avec sa tête bien faite à la Fabergé. Qui sait ? Et le coq au fait ? C’est bien de débattre sur la chronologie poule-œuf, mais sans coq, point d’œuf non plus. Et de lui, on ne parle jamais. Evidemment, l’œuf ne vient pas du coq. Mais imagine-t-on la terrible situation dans laquelle les poules nous placeraient si tout d’un coup tous les œufs ne donnaient que des coqs. C’est vertigineux. C’est sûr, il nous faudrait plus de transparence dans les œufs, afin qu’on puisse savoir à l’avance ce qui nous attend. Une omelette républicaine ou un poussin démocratique ?

A gauche, on pense dur comme fer que l’œuf était là le premier. Un œuf, ça se tond puis ça se partage. Un aliment essentiel, nécessaire à tous, obligatoire à la survie de l’espèce. On ne plaisante pas avec l’œuf quitte à sacrifier la poule en exigeant d’elle de pondre deux fois par jour. Il en va de l’égalité non pas entre la poule et l’œuf qu’à la rigueur on pourrait admettre, mais entre les omelettes. La même pour tous. Et vos gueules les poules ! Certains les plus à gauche sont même convaincus que la poule aux œufs d’or existe vraiment et qu’il est donc légitime de lui extorquer sa production de gré ou de force. Evidemment, les poules bien que dotées de petits cerveaux, finissent par se rendre compte qu’elles ne pourront plus garder le moindre poussin auprès d’elles et se mettent à rechercher le plus infime trou dans le grillage qui leur permettrait de s’évader sous les cieux plus accueillants du poulailler du voisin. C’est bête une poule et ça n’est pas reconnaissant. Attachons-leur les pattes. Bonne idée, mais ce n’est pas facile de pondre avec les pattes attachées et la tête en bas. Alors tordons leur le coup et mangeons les !

A droite on déclare que la poule est à l’origine du monde. Comme on est aussi laïque, on ne dit pas que la poule vient directement du Ciel, mais on le laisse penser. Il faut protéger la poule qui produit de si beaux œufs qui eux-mêmes donneront d’autres poules sélectionnées et magnifiques. Elles croîtront en nombre, de manière à préserver l’espèce tout en permettant la réalisation d’un nombre toujours plus grand d’omelettes qu’il faudra néanmoins mériter, les fainéants en étant privés. Ceci dit, on leur laissera quand-même les œufs les moins frais et quelques plumes, afin qu’ils n’aillent pas se servir directement dans le poulailler, ce qui ferait désordre. Il faudra donc ainsi se résoudre à plumer les poules mais en les laissant vivantes tout en leur promettant des jours meilleurs. Certains pensent en effet que les plumes repoussent et travaillent sur la question au niveau européen.

A l’extrême droite, on pense que tout vient du coq et que ce débat entre poule et œuf est inutile et stérile. Et que le coq français doit retrouver très vite un poulailler bien fermé et solide qui le protège à la fois des renards européens et  des poules d’origine très subalterne dont les voisins ont garni leurs poulaillers où elles crèvent de faim. On pense à peu près la même chose à l’extrême gauche, sinon qu’il faudrait d’abord plumer et rôtir les vieux coqs qui font la loi dans le poulailler et mettre à leur place des coqs tout rouges qui mettraient les poules au pas et qui sauraient chanter l’Internationale tous les matins à 5 heures, afin d’éduquer les masses de poussins.

Au centre, on commence par ne pas être d’accord entre centristes, afin que les idées du centre puissent couvrir un spectre le plus large possible de gauche à droite du poulailler. Donc il faut à la fois des poules et des œufs et ne pas perdre de temps en se demandant d’où ils viennent bien que la question mérite cependant d’être posée, si on y réfléchit. Mais est-ce le moment d’y réfléchir quand il y a le feu au poulailler. Non, bien sûr. C’est le moment d’agir et d’envoyer le coq s’occuper des poules qui le veulent bien. Car chacun est libre tant qu’il y a des œufs et on sait bien que les méthodes autoritaires promises à droite, comme le laxisme de gauche ne sauraient garantir la survie de l’espèce. Donc les centristes qui ont toujours raison avant tout le monde mettent la poule de droite au milieu des œufs de gauche et plus personne n’y comprend rien.

Et puis, il y a les écolos. Eux pensent qu’à la fin de toute façon, les poules crèveront de faim à cause du maïs OGM qu’elles n’aiment pas. Ou qu’il n’y aura plus de quoi fabriquer des enclos et que donc, elles retourneront à l’état sauvage. Certains affirment qu’il ne faut pas manger des œufs, parce que c’est mauvais pour le cholestérol qui bien que renouvelable et biodégradable, ne constitue pas une ressource énergétique facile à exploiter. Et qu’avec des herbes en salade ou en cigarettes, on peut se débrouiller. La poule est donc condamnée d’avance et les œufs avec elle. Et tous ceux qui pensent le contraire sont aveugles et idiots ou parfois les deux. De toute façon ils ne comprennent rien à la science. Les écolos qui ne sont jamais d’accord entre eux non plus, ne débattent  ni des poules, ni des œufs, ni des coqs, sauf qu’il faut cependant en protéger l’espèce, mais en la laissant à  l’appréciation des renards qui eux s’en lèchent les babines. Mais avouez que ce n’est pas facile de convaincre tout le monde de l’importance de la réintroduction progressive du renard dans son milieu naturel, le poulailler des autres. Tout en protégeant soigneusement ses poules à soi nourries à la bonne herbe et qui ont aussi le droit de se marier entre elles et d’élever des canetons produits par GPA, au nom de la survie de l’espèce.

Comme vous le voyez, le débat risque de durer encore et pour longtemps dans notre pays et dans les colonnes d’ A@P. Il alimentera de longues dissertations qui ne parviendront jamais à en clarifier les options. Elles sont pourtant simples et pratiquées depuis des temps immémoriaux dans nos fermes béarnaises. Plus les poules peuvent courir libres de toutes entraves dans les prairies environnantes, mieux elles se portent. Il faut certes les « rentrer » chaque soir dans le poulailler où elles accourent d’ailleurs de bonne grâce, afin de les protéger de toutes sortes de prédateurs. Pas besoin non plus de 36 coqs. Il en faut un, qu’il soit grand ou petit , dressé sur ses ergots ou bedonnant, même s’il à l’air un peu crétin, du moment qu’il ne fait pas de mal aux poules et chante chaque matin, de bonne humeur, c’est tout ce qu’on lui demande. Quant aux œufs, il faut prendre la peine « d’aller se les chercher ». Tout là-haut dans la grange, derrière la botte de paille. Ou sur le tas de foin. Ou cachés derrière une barrique au fond du chai. Les œufs ça ne vient pas tout seul dans l’assiette normalement. Mais les poules heureuses, ça fait de beaux œufs dont bonnes filles, elles ne manquent jamais de signaler l’apparition en chantant à tue-tête. A chacun d’en mériter un pour faire son omelette et à la fermière de savoir en porter assez en couveuse pour garantir la poule au pot du dimanche, mais aussi celles des dimanches suivants. Et si des plus malins ou des plus chanceux trouvent plus d’un œuf à la fois, grand bien leur fasse. Les plus gloutons sont-ils les plus heureux ?

Le coq, lui, bien que de plus en plus  coriace avec le temps, finira de toute façon en marinade. C’est le destin des grandes gueules. Souhaitons-nous pour 2015 que le nôtre soit de mériter à la fois la poule et l’œuf, à condition de cesser de se poser des questions sans réponses et de se lever chaque matin pour aller les chercher.

Pas les questions, les œufs !