Après ou à côté des Végans qui désormais se marquent eux-mêmes au fer rouge dans leur délire victimaire, des « climatocatastrophistes » qui attribuent aux dérèglements climatiques les crus terribles des ruisseaux de l’Aude, nous sommes désormais confrontés au « metooisme » qui fait régner la terreur en particulier, mais pas seulement, dans les milieux du spectacle et chez les artistes. Les médias « officiels » orchestrent ces vieilles idées, ces thèmes ripolinés et la baguette du chef d’orchestre est tenue par « Le Monde », journal derrière lequel tous s’alignent : c’est si facile d’avoir une caution, si reposant d’avoir un kit de prêt à penser. Cela évite de réfléchir par soi-même.
Évidemment ces « mouvements » ont des bases bien réelles et des objectifs louables. Ce sont des combats critiquables parfois mais respectables et au bout du compte utiles. Le problème c’est qu’ils opèrent de manière intolérante, sectaire et globale. Ils sont, pour leurs militants les plus radicaux, une véritable raison d’être, un but fanatique et causent des dégâts qui peuvent paraître pour leurs auteurs comme collatéraux mais qui s’avèrent dangereux et se retournent en fait contre les causes qu’ils prétendent défendre. Cela fait l’affaire de ceux qui manipulent ces cœurs purs et bien intentionnés… Tous les mouvements intolérants qui se sont crus autorisés à s’abstenir de débats et de contradictions plutôt que d’entamer un travail de conviction ont terminé dans le mur ; celui de Berlin par exemple… Le XXème siècle vit le triomphe de la pensée globale, totalitaire et cela s’est bien mal terminé.
On ne saurait contester les objectifs du mouvement « me too » par exemple : lutter contre la violence sexiste. Les femmes qui les premières portèrent plaintes contre le harcèlement qu’elles soient actrices ou ouvrières mexicaines eurent droit la « une » du Times Magazine et furent célébrées comme les femmes de l’année. Bien ! Très bien franchement ! La première réaction de la presse, de justice, de la société américaine dans son ensemble. La France a suivi le mouvement et les hommes victimes eux aussi de violences le rejoignirent. Ils ont leurs places eux aussi. Tout cela n’est pas prêt de s’arrêter et occupe désormais le devant de la scène médiatique. Mais cette avant-scène ne devrait-elle pas être mieux partagée ? Jeter l’opprobre est-ce résoudre le crime, faire en sorte qu’il ne se reproduise plus ?
Le procédé « mee too » repose sur la dénonciation, « balance ton porc » c’est le nom qu’a pris le mouvement en France. Même si c’est inévitable pour atteindre ses buts on peut s’interroger sur la solidité morale du système et sur les risques qu’il ferait courir à la société dans son ensemble s’il se généralisait ; s’appliquant à d’autres causes qui peuvent avoir, elles aussi, leur bien fondé. Une société qui reposerait sur la dénonciation, pour la bonne cause, dans sa recherche du bien cela poserait tout de même problème. C’est la fameuse question : la fin justifie-t-elle les moyens ? Il semble qu’elle mérite d’être posée ?
En écoutant Fabienne Jacob récemment dans l’émission « La grande libraire » sur la 5 d’autres effets pervers de cette dure campagne sont apparus. Modérée, toute en nuances, l’auteur.e d’ « Un homme aborde une femme » (BUCHET-CHASTEL ; 23/08/2018) ne met pas –elle non plus- en question l’objet de cette campagne. Elle regrette simplement que les femmes ne soient plus regardées, enviées, désirées ne serait-ce qu’instant au coin d’une rue. Ainsi dans les nouvelles séries de « Netflix » les hommes n’ont plus le droit de regarder une femme plus d’une poignée de secondes. Cela ressemble à la campagne anti-tabac qui a vu Sartre perdre sa cigarette –signe identitaire qui nous semblait éternel- désormais gommée sur les photos le représentant…
Fabienne Jacob évoquait un récent séjour dans le nord des Etats Unis où les femmes ne sont plus regardées par les hommes. Ce sont des regards vides, transparents, anodins que les hommes portent désormais dans les rues sur la femme. Elle le dit ainsi « l’Amérique apporte sa pasteurisation et je le déplore, la rue française s’américanise, les hommes ont de plus en plus peur de regarder les femmes ; dans une rue d’Amérique du Nord aucun homme ne regarde une femme, il regarde une focale, il vous traverse, il vous transperce mais il ne vous regarde pas. La rue doit rester un endroit où l’on est regardé et regardant où l’on fait l’expérience de l’élan de soi vers l’autre et de l’élan de l’autre vers soi. Cette rue-là est en perte de vitesse ». Et elle ajoute dans une interview à la Cause Littéraire : « Je souhaite que Me too et l’engagement féministe des femmes et des hommes nous permettent de circuler dans une rue sûre peut-être, mais toujours inspirante. Propice à d’innombrables scènes. Ou de non-scènes. Qui sait ».
Pierre Vidal
Photo : Fabienne Jacob