« Pas de vagues »

C’est peu de dire que ce hashtag « #pas de vagues » a fait sensation ces derniers jours. Il résulte d’une forme de révolte des enseignants et fait suite à un incident grave dans un lycée de Créteil. Les profs, par ce moyen, crient leur ras-le-bol. Ils accusent leur hiérarchie de ne pas suffisamment les protéger. Mais sont-ils eux-mêmes aussi innocents qu’ils le prétendent ?

En premier lieu vous m’autoriserez à faire part ici de mon expérience professionnelle, il y a maintenant pas mal de temps. A l’époque, j’étais sollicité par l’IUFM* (Institut Universitaire de formation des Maîtres) de Pau pour rencontrer les élèves professeurs en fin de cycle, à la veille de leur prochaine affectation. Pour la plupart, ils savaient qu’il allaient se retrouver à exercer leur métier dans l’académie de Versailles ou de Créteil ; là où l’on envoie les jeunes parce c’est trop dur pour les anciens. Frais émoulus, sans expérience, ils auront dans ces établissements à problèmes toutes le chances de se décourager. Puisque le sujet concernait la sécurité, il y avait réunis devant ces élèves, un magistrat, un policier et un gendarme. Je me souviens que dans mes propos j’expliquais quels étaient les motifs d’une plainte, quelles étaient les démarches à effectuer pour déposer plainte et enfin comment se déroulait une procédure judiciaire. J’insistais tout particulièrement sur le fait que la victime d’une infraction pénale décidait seule et de façon autonome de déposer plainte et ainsi de déclencher ce que l’on nomme l’action publique, c’est à dire le processus de poursuites judiciaires.

Très vite j’étais repris par un enseignant de l’IUFM qui expliquait avec beaucoup d’insistance aux élèves qu’ils ne pouvaient se livrer à un dépôt de plainte sans en avoir préalablement référé à leur hiérarchie et sans avoir obtenu tout aussi préalablement l’accord de celle-ci pour le faire.

Tout indique aujourd’hui, à la lecture de ce hashtag, que nos braves enseignants, de tous niveaux d’ailleurs, facultés, lycées, collège et école primaire ont respecté cette prescription qu’ils soient de Pau ou d’ailleurs. Si l’on est arrivé à la situation que l’on connaît maintenant n’est-ce pas dû à cette mainmise de la hiérarchie sur les enseignants d’autant plus prégnante qu’elle va jusqu’à les empêcher d’exercer leurs droits ? Parce qu’il s’agit bien d’un droit contenu dans le code pénal que celui de déposer plainte de sa propre initiative. Pour le faire il existe plusieurs conditions : l’existence d’une infraction pénale et un préjudice subi. Nulle part il n’est fait état dans la loi, que cette démarche ne peut se faire qu’avec l’aval de sa hiérarchie.

On peut donc logiquement s’interroger sur cette exigence de ne « pas faire de vagues ». En effet porter plainte comporte le risque que les faits soient divulgués sur la place publique et ainsi portent atteinte à la réputation d’un établissement scolaire. Un bon chef serait un chef qui n’a pas de problèmes, soucieux principalement de ne pas ébruiter une affaire et de rester dans la façade et le déni. C’est, paraît-il, ainsi que l’on a le plus de chances de progresser dans la hiérarchie. L’éducation nationale n’est en réalité pas la seule administration concernée par ce phénomène, on pourrait citer l’hôpital et la police, et tant d’autres.

Dans les faits, il est impossible que le règlement intérieur d’un établissement scolaire comporte une contrainte de ce genre faite aux enseignants ; si c’était le cas, ce serait illégal et à classer dans ce que l’on pourrait qualifier « d’abus de pouvoir ». Mais si ce n’est pas écrit, cela fait partie des prescriptions imposées aux enseignants comme la réaction de ce prof de l’IUFM de Pau en a apporté la preuve.

Alors aujourd’hui, il faut bien considérer que si la situation a dégénéré au point de permettre des situations comme celle du lycée de Créteil, la soumission des professeurs y est pour quelque chose. Dans les hashtags, il dénoncent des mesures insuffisantes en regard de la gravité des faits dont ils disent avoir été victimes. Un simple conseil de discipline aux conclusions bien indulgentes est souvent évoqué. Cet entre-soi a une tendance regrettable à se substituer à l’action de la justice. Une sanction prise par un conseil de discipline n’efface pas l’action publique ; autrement dit, le fait pénal demeure. Ils pouvaient donc déposer plainte. L’intervention de la justice dans ces cas aurait eu un effet autrement plus dissuasif qu’un simple conseil de discipline. Oublions les déclarations tonitruantes des sociologues et autres psychologues qui affirment que la répression est contre productive. Certains affirment, et ils sont de plus en plus nombreux, que ce sont leurs déclarations à ces messieurs je-sais-tout qui est, elle, contre productive.

Il est par ailleurs étonnant de constater que des enseignants qui ont reçu pour mission d’éduquer des jeunes afin de faciliter leur intégration dans la société, soient à ce point ignorants de l’organisation sociale que garantit la République. Le fonctionnement de la justice entre à l’évidence dans le cadre de cet enseignement. Ignoreraient-ils pour eux-mêmes ce qu’ils ont mission d’enseigner ?

Pau, le 29 octobre 2018

par Joël Braud

*Devenu depuis 2013 l’ESPE –École Supérieure du Professorat et de l’Éducation

Refus de plainte

La mésaventure de ce SDF, Kip, qui, à Pau, a été agressé, a reçu l’écho de nombreux organes de presse nationaux. Il aurait été préférable que l’image de notre ville soit plus honorable. Cependant cet événement serait-il significatif du désengagement d’un service de l’État ?

On pourrait, en effet, dresser la liste des organes de presse qui ont évoqué cet événement : 24 H matin. Fr – France Bleu Béarn, La République des Pyrénées, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, France-Soir, Le Parisien, La Provence, Ouest-France, La Dépêche et Sud Ouest. Excusez du peu !

Les faits sont simples mais méritent d’être rappelés. Kip, selon son surnom est un SDF connu. Le samedi 24 février 2018, il est victime de violences, dans la rue, par un individu qui s’acharne sur lui. Il est blessé et, le lendemain, dimanche, il décide de se rendre, dans la matinée au commissariat pour y faire enregistrer sa plainte. Là premier refus, on lui dit qu’il est trop tôt. Deuxième tentative un peu plus tard, là, deuxième refus au prétexte qu’il n’a pas de certificat médical. Le troisième refus sera motivé par le fait qu’il ne connaît pas son agresseur. Et le quatrième refus pour un autre motif.

Ça fait beaucoup. Surtout que les raisons invoquées n’ont pas lieu d’être. Rien n’interdit à la police d’accompagner une victime à l’hôpital, par exemple, pour qu’il lui soit délivré un certificat médical. S’il faut connaître l’auteur de l’infraction dont on est victime, il n’y aura plus de plainte contre inconnu. Pourtant c’est bien au service enquêteur de rechercher l’auteur. On ose imaginer que c’est parce qu’il s’agit d’un SDF que la police n’a pas voulu recevoir la plainte. Mais c’était sans compter sur la présence d’un journaliste qui a su donner à cette affaire une suite médiatique. A partir de là la directrice départementale a parlé d’un « loupé ». La formule est bien complaisante. Enfin ce SDF a ensuite été reçu comme il se devait par des policiers qui, « honteux et confus », lui ont offert des croissants.

Personnellement j’ai eu à connaître d’une autre affaire qui s’apparente à celle-ci. Il s’agit d’une personne âgée (90 ans), un peu sourde, qui constate chez elle la disparition de bijoux. Il n’y a pas eu d’effraction et elle n’explique pas ce qu’elle considère comme un vol. Je lui conseille d’appeler la commissariat et de suggérer qu’un relevé d’empreintes pourrait se révéler utile. Le lundi 5 mars 2018 au matin elle appelle la police et là on lui dit qu’elle doit se déplacer rue O’Quin. Elle répond que son état de santé ne le lui permet pas. Elle entend mal et sans doute a-t-elle fait répéter son interlocuteur. En tout état de cause, sans autre forme, on lui raccroche au nez.

La meilleure façon de faire baisser les statistiques sur la délinquance est certainement de ne pas enregistrer les plaintes et de dissuader les plaignants. Mais au moment où on nous vend cette nouvelle police dite : « police de la sécurité au quotidien » il est permis de s’interroger sur le sens que l’on veut donner aux mots et surtout au mot proximité.

Pau, le 13 mars 2018

par Joël BRAUD

Crédit image : soccemascouche.com